Islam: la France se voile la face

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Publié 11/04/2006 par Yann Buxeda

Le 6 avril dernier, l’Alliance française a accueilli le professeur Jean Baubérot, docteur en histoire et sciences humaines et président d’honneur de la section des sciences religieuses de l’École pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Le spécialiste français de la laïcité s’est prêté pendant un peu plus d’une heure à l’exercice de la conférence, distillant sa connaissance du sujet agrémentée de faits historiques et d’actualité majeurs, sur un thème particulièrement polémique: «Islam et politique en France, quelle intégration?» L’occasion de revenir sur un sujet qui demeure omniprésent en France, tant au niveau médiatique, que politique et social.

Si certains points, faute de temps, n’ont pu être évoqués, comme la publication des caricatures de Mahomet par le quotidien France Soir ou les récentes émeutes de novembre dans les banlieues françaises, une chose est indéniable. À ce jour, Jean Baubérot, titulaire de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité est l’un des spécialistes les plus à même d’analyser la question de la laïcité en France.

Une question extrêmement complexe, qui selon lui, est indissociable de l’histoire de la France et de celle de l’Islam: «Il est impossible de parler d’Islam et de laïcité en France sans évoquer le passé catholique de l’Hexagone. La France, même si l’Église est aujourd’hui séparée de l’État, est un pays culturellement ancré dans le catholicisme de part son architecture, sa culture et ses monuments. La France est un pays laïque mais pas athée, et la différence est majeure.»

Un constat légitime, qui régit toute la dimension géostratégique de l’intégration de l’Islam en France, et d’une manière plus large en Europe. Mais si l’histoire est la base de la compréhension du phénomène, l’actualité permet de l’appréhender avec plus de pertinence, comme le souligne le conférencier: «La véritable histoire de l’intégration de l’Islam en France débute en 1975, alors que les premières vagues d’immigration sont déjà installées. Elles habitent pour la plupart dans des cités de transit, et vu la conjoncture économique, toute personne habitant en France est susceptible de profiter de l’ascension sociale.»

Une ascension qui laisse entrevoir évidemment quelques avantages matériels inhérents au changement de statut, comme le changement du lieu d’habitation. Une mobilité sur laquelle compte le pouvoir politique pour éviter la formation de quartiers communautaires.

Mais avec la fin des Trente glorieuses, la situation se dégrade. La crise pétrolière, que l’on pense alors passagère, s’inscrit dans la durée et provoque une hausse du chômage et un durcissement de la politique d’immigration. Seules les familles déjà installées ont la possibilité de faire venir leurs proches en France, et une certaine ghettoïsation commence à prendre forme alors que la société se fige au fil des mois.

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Une frustration déplacée

C’est à cette période que l’engrenage se déclenche. Le pouvoir politique, préoccupé par l’évolution de la situation, se lance dans la création de Zones d’éducation prioritaires (ZEP) dans ces quartiers à forte concentration de population issue de l’immigration. Un projet à la réussite somme toute relative, puisque ces ZEP ont pour principal effet de déplacer la frustration des jeunes des banlieues.

Ces derniers, principaux bénéficiaires du projet, ont accès beaucoup plus facilement aux études supérieures mais se heurtent à un nouvel obstacle. Le monde du travail, alors en crise, est peu enclin à favoriser l’insertion de ces jeunes diplômés issus de l’immigration. Cette situation, provoquée par un ralentissement économique et une certaine forme de protectionnisme culturel, se prolonge dans les années.

Et c’est sur ces bases que se développe une thèse, défendue notamment par le professeur Jean Baubérot, selon quoi «cette difficulté d’insertion au sein de la machine économique serait l’un des foyers des émeutes de novembre dernier». Mais selon lui, il n’est pas question d’imputer directement l’émergence de cette révolte aux jeunes diplômés. Ce serait plutôt «l’un des facteurs qui aurait contribué à l’embrasement, la frustration d’une minorité se répandant sur l’ensemble de la communauté.»

Un épiphénomène qui, au même titre que l’affaire du port du voile à l’école publique, est aujourd’hui récupéré par une frange des médias français, mais aussi certains courants politiques et intellectuels, qui oeuvrent indirectement pour la stigmatisation de ces crises sociales, creusant chaque jour un peu plus le fossé entre les communautés musulmanes des banlieues et le reste de la société.

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