Iran: «On va peut-être vivre un moment Tiananmen»

Entretien avec le philosophe Ramin Jahanbegloo

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Publié 30/06/2009 par Vincent Muller

«L’Iran vit un moment gandhien» selon Ramin Jahanbegloo, philosophe iranien spécialiste du Moyen-Orient, professeur de Science politique à l’Université de Toronto. Accusé par l’Iran de préparer une révolution de velours, il y fut emprisonné durant quatre mois en 2006. L’Express l’a rencontré afin de faire le point sur la situation du pays.

Le président iranien est élu au suffrage universel direct. Il est assujetti au Guide de la République Islamique qui est nommé à vie par l’Assemblée des experts, composée de membres religieux élus au suffrage universel direct.

C’est à la suite d’un référendum national que l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, leader de la révolution islamique de 1979 ayant mis fin à la monarchie du Shah, est devenu le premier Guide suprême, jusqu’à sa mort en 1989. L’ayatollah Ali Khamenei, président de 1981 à 1989, lui a succédé.

Ramin Jahanbegloo nous éclaire sur les particularités de la situation actuelle du pays: «Pour la première fois le Guide suprême s’est mêlé directement aux élections alors qu’il devait être au dessus des partis. Il est en position de crise de légitimité. Khomeiny, lui, n’a jamais été dans cette position», explique-t-il.

Pour quelles raisons s’est il mêlé aux élections?

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Des luttes internes ont crée une crise en mettant face à face les deux principes de souveraineté: la souveraineté républicaine et la souveraineté religieuse. Le régime de la Révolution Islamique n’est pas une monarchie comme à l’époque du Shah, il a été mis en place suite à une révolution populaire. On ne peut pas éliminer la souveraineté populaire qui est un principe républicain et cette souveraineté populaire vient jouer contre le rôle du Guide suprême (mis en place lors de la révolution). En acceptant l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, il crée une crise puisque la base populaire demande de refaire des élections.

Pouvez-vous nous en dire davantage concernant ces luttes internes?

Depuis la mort de Khomeiny il n’y a pas une seule personne qui peut faire la légitimité du pouvoir iranien. La montée d’un islamisme réformiste s’est manifestée avec l’élection, en 1997, de Mohammad Khatami. Les tensions sont de plus en plus importantes depuis cette date. Khatami a échoué à faire passer de nombreuses réformes et, depuis, la lutte entre conservateurs et réformateurs est de plus en plus importante. Il s’agit d’une lutte pour le pouvoir économique et politique qui met en jeu la relation avec les États-Unis et l’Union Européenne.

Le pouvoir a été éclaté à partir de 1997 et s’est radicalisé en 2005 avec l’élection de Ahmadinejad. Les institutions jouant les unes contre les autres, cela rend les choses difficiles pour avoir un président réformiste.

Qui sont les réformistes?

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Ce sont des partisans de la révolution islamique de 1979 qui se sont distancés et ont commencé à critiquer le fond théocratique des institutions iraniennes et à prôner une séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Ils ont une approche plus politique et sociale et sont favorables à une démocratie musulmane. Il y a plusieurs mouvements de femmes, d’intellectuels et d’étudiants qui sont favorables à cela. En 1979 tout le monde était pour le départ du Shah, c’était une lutte contre la dictature. Aujourd’hui, la majorité de ceux qui manifestent n’ont pas vu la révolution il y a 30 ans, ce sont des nouveaux révoltés.

Quelles sont les relations avec les pays voisins et quelles auraient été les conséquences si Moussavi était au pouvoir?

Les rapports avec les pays voisins ne sont pas bons du tout. Ils ont toujours peur de l’Iran, peur qu’il exporte sa révolution. Ce sont eux qui invitent les américains, critiquent la politique de l’Iran. Il y a un contentieux politique et également religieux qui vient du fait que beaucoup de musulmans sunnites considèrent l’Islam chiite (majoritaire en Iran), représenté par les ayatollahs, comme une hérésie. Les ayatollahs ne sont pas tous pour un Islam idéologique, certains considèrent qu’Ahmadinejad est dangereux pour l’Islam chiite et même pour la structure traditionnelle du chiisme qui n’a jamais été révolutionnaire.

Si Moussavi avait été au pouvoir cela aurait probablement été plus facile pour les États-Unis d’entrer en dialogue avec l’Iran grâce à la nouvelle image réformiste que le pays aurait pu avoir. Les rapports avec les alliés Arabes auraient également été meilleurs.

Quelles vont être les répercussions de cette crise sur le Moyen-Orient et sur l’Iran?

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Cette crise politique va créer beaucoup de tensions au Moyen-Orient, entre l’Iran et ses voisins mais aussi entres différentes factions. Si l’Iran allait vers le réformisme cela aurait pu permettre à différents groupes de travailler ensemble dans la résolution du problème israélo-palestinien. Mais là, la paix n’est pas pour demain! Les dirigeants iraniens doivent trouver de nouvelles procédures politiques pour sortir de cette crise. Pour ne pas retomber dans cette situation il faudra trouver des solutions institutionnelles, changer la constitution.

Il est sûr que l’Iran ne peut pas se permettre de se durcir à long terme. On va peut-être vivre un moment Tiananmen qui sera suivi par une stabilisation, un durcissement puis une ouverture.

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