Il y a 110 ans, des soldats ennemis fraternisaient le jour de Noël

Trêve historique

Trève de Noël
Des soldats qui s’affrontaient par les armes la veille fraternisent entre leurs tranchées le 25 décembre 1914. Photo: Cassowary Colorizations, attribution 2,0 générique
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Publié 15/12/2024 par Marc Poirier

Le jour de Noël 1914, quelque chose de bizarre, d’inattendu survient sur le front franco-allemand. En pleine Première Guerre mondiale, des soldats britanniques et allemands qui, la veille, s’entretuaient, quittent leurs tranchées pour fraterniser. Le temps d’une trêve aussi invraisemblable que brève.

Tous les pays engagés dans ce terrible conflit avaient une conviction commune: le conflit serait de courte durée. Certains évoquaient même une fin des hostilités avant Noël. Mais en décembre 1914, il devient évident que ce ne serait pas le cas. On ne pouvait pas encore se douter des horreurs et des carnages qui allaient venir.

Guerre de tranchées

Rapidement, en Europe de l’Ouest, les camps ennemis font pratiquement du surplace. De la Suisse à la Manche, des centaines de kilomètres de tranchées sont creusées. Des fragments de terrain acquis au prix d’énormes pertes humaines se perdent en peu de temps.

C’est une guerre de tranchées implacable qui durera pendant presque tout le conflit.

En décembre 1914, les soldats canadiens n’ont pas encore pris pied en France; le premier contingent du Corps expéditionnaire canadien (nom donné aux troupes du Canada) arrivera en janvier 1915. Quant aux États-Unis, ils n’y seront pas avant l’été 1917.

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Différents corps armés – français, britanniques et belges – font face aux divisions allemandes. La fraternisation spontanée du 25 décembre prend place à deux endroits sur cette longue ligne de front : dans la région d’Artois, dans le nord-est de la France, et près d’Ypres, en Belgique.

Même si l’épisode a fait l’objet de multitudes écrits, pièces de théâtre et films, il était largement méconnu jusque dans les années 1960. Après une guerre qui avait fait plus de 20 millions de morts du côté militaire et civil, et un nombre tout aussi grand de blessés, le temps n’était peut-être pas propice pour rappeler cet instant de camaraderie entre ennemis.

Trève de Noël
Rencontre surréaliste entre soldats allemands et britanniques le jour de Noël 1914. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Un spectacle «extraordinaire»

Il y a une dizaine d’années, une lettre d’un soldat britannique écrite à sa mère depuis les tranchées relatant les évènements a été rendue publique. «Je crois que j’ai vu aujourd’hui [le jour de Noël] l’un des spectacles les plus extraordinaires que quiconque ait jamais vus», témoigne le lieutenant Alfred Dougan Chater.

En regardant par-delà un muret, vers 10 h, Chater raconte avoir vu un soldat allemand agiter ses bras. Deux autres combattants sortent de leur tranchée et marchent vers le camp britannique.

«On allait tirer sur eux quand on a vu qu’ils n’avaient pas d’armes. L’un de nos hommes est allé les rencontrer et, en deux minutes, la zone entre nos deux lignes de tranchées s’est remplie de soldats et d’officiers des deux côtés, se serrant les mains et se souhaitant Joyeux Noël», peut-on lire dans la lettre.

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«On a échangé des cigarettes. On a pris des photos. D’autres en ont profité pour simplement s’étirer sans avoir peur des tirs de mitraillettes pour la première fois depuis des mois. C’était le miracle de Noël, en pleine horreur.»

film
Une scène du film Joyeux Noël, de Christian Caron (2005), sur la trève historique de 1914.

Match de soccer

Chater ajoute qu’il est lui-même sorti de sa tranchée et qu’il a serré la main de plusieurs officiers allemands. Les deux côtés ont profité du répit pour récupérer les cadavres de leurs camarades et les enterrer. Puis, surgit un ballon de soccer.

Un autre soldat britannique qui était sur place, Ernie William, a raconté que le ballon est venu de nulle part, mais il est convaincu qu’il provenait du camp allemand. «Des buts de fortune ont été installés. Un des gars s’est placé devant le but et tout le monde s’est mis à frapper le ballon. Je crois qu’il devait y en avoir environ 200 qui ont participé.»

Ernie William précise que ce n’était pas un vrai match, mais plutôt une mêlée. Il n’y avait pas d’arbitre et on ne comptait pas les points.

D’autres soldats britanniques ont raconté une histoire un peu différente, certains précisant qu’après une heure de jeu, le commandant du bataillon britannique s’est rendu compte de ce qui se passait et a ordonné à ses hommes de revenir dans les tranchées.

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Les Allemands auraient gagné la partie, 3 à 2. Le même score a été rapporté par un soldat allemand, Kurt Zehmisch, dans ses carnets.

Légende ou vérité?

L’histoire est devenue légendaire et a frappé l’imaginaire de bien des gens. Cent ans plus tard, en 2014, une reconstitution du match a eu lieu à Ploegsteert, en Belgique, où le tout se serait déroulé.

Il faut utiliser le conditionnel, car malgré les témoignages parvenus jusqu’à nous, le doute subsiste dans l’esprit de certains historiens. L’un de ceux-ci va jusqu’à dire qu’il n’y a «absolument aucune preuve ferme et vérifiable d’un match [de soccer]». Alors que des photos ont témoigné de la fraternisation, aucun cliché de la partie n’est parvenu jusqu’à nous. .

Les spécialistes soulèvent le fait, par exemple, que le sol de ce no man’s land était jonché de cadavres et trop abimé par les obus pour qu’un tel match puisse avoir lieu. Au mieux, selon l’un des historiens, des soldats auraient botté un ballon ici et là, mais sans qu’un vrai match se soit déroulé.

Pour ces historiens, l’idée d’une partie de soccer ce jour de Noël entre soldats de pays ennemis a été largement exagérée et idéalisée. L’important, souligne un autre historien, c’est le moment de fraternité, et non de savoir s’il y a eu quelques bottés ou un réel match de soccer.

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Comme il a été mentionné, cette brève pause dans les hostilités n’est survenue qu’à deux endroits. Ailleurs sur le front, les combats se sont poursuivis le 25 décembre, et 80 soldats britanniques sont morts ce jour-là.

Trève de Noël
Reconstitution, parue le 9 janvier 1915 dans The Illustrated London News, de la rencontre des officiers britanniques et allemands se faisant face sur le front, le 25 décembre 1914. Photo: A. C. Michael, Wikimedia Commons

Haine de l’envahisseur

Aucune trêve similaire n’a eu lieu là où les troupes françaises et belges affrontaient les forces allemandes. Leur contexte était bien différent de celui des troupes britanniques.

En effet, l’Allemagne occupait des parties de la France et de la Belgique, et les soldats de ces deux derniers pays entretenaient une grande méfiance, sinon de la haine, envers l’ennemi.

Dès le lendemain de Noël, la guerre a repris son cours. Les commandants militaires étaient complètement en désaccord avec ce qui s’était passé. Au cours des trois autres Noëls pendant la guerre, on interdira formellement aux troupes de répéter ce comportement.

Mais le simple fait de penser que des soldats avec mission de tuer l’ennemi aient pu faire taire les fusils pendant quelques heures donne espoir au genre humain.

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