Il était une fois… les années 70

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Publié 14/02/2006 par Dominique Denis

Antoine Gratton est un virtuose du XXIe siècle, le genre de mec qui manie avec une aisance désinvolte une dizaine d’instruments et autant de styles musicaux, piqués pour la plupart dans le legs des fastes années 70.

Trop souvent, ce genre d’exercice prend des allures d’examen final au School of Rock, mais Gratton évite l’écueil sur son opus 2, Il était une fois dans l’Est (Tacca) balisant un univers qui lui ressemble, composé à parts égales d’humour (le diablement accrocheur Carole à Gogo), de tendresse et d’onirisme, comme en témoignent les étonnants Joni 1 et Joni 2, où la grande dame du folk canadien, Joni Mitchell, apparaît telle une Madonne sur les murs de Montréal.

Il y a deux façons d’aborder Il était une fois dans l’Est. Ou, plus exactement, c’est le genre d’album qu’on découvrira en deux étapes. D’entrée de jeu, quiconque possède tant soit peu de culture pop s’amusera à en déceler les hommages: Joe Cocker, Pink Floyd, Beatles, Badfinger, Queen, Harmonium et Jim et Bertrand, qui font ici bon ménage, tour à tour et parfois simultanément.

Mais le plaisir des clins d’œil cède bientôt à celui, plus durable, que procure l’écriture, tantôt grâce à un «hook» irrésistible (J’veux m’en aller dans le registre folk beat, Carole à Gogo au chapitre du rock and roll à fond les manettes), tantôt en vertu d’une plume qui nous dépeint la douce folie d’un monde qui n’a pas tourné le dos à l’enfance et l’adolescence, ni à leur lot de souvenirs musicaux.

70’s, prise deux

Sur son premier album, Bouille de Lune (Polydor/Universal), la Bretonne Orly Chap, elle aussi, s’est égarée dans les méandres de cette décennie qu’elle n’a pas vécue, mais elle ne ratisse pas aussi large que son homologue québécois.

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Chez elle, l’inspiration provient des géants du glam rock britannique, David Bowie et surtout Marc Bolan, la voix et la belle gueule de T-Rex, dont Orly a même emprunté le chapeau haut de forme et l’élégance androgyne. Dans le genre, bien sûr, elle n’est pas la première Française à revisiter l’époque et ses canons, suivant dans les traces de Noir Désir, Étienne Daho et Indochine.

Pour le meilleur comme le pire, Bouille de Lune est l’œuvre d’un artiste qui prie à l’autel du rock, qui croit à sa capacité d’offrir l’évasion (dans l’imaginaire, dans un personnage) et de danser avec l’amour, quitte à s’y brûler.

Orly y investit une voix qui égratigne et en repoussera quelques-uns, et même si elle bêle parfois plus qu’elle ne chante, on lui pardonne presque, question de le suivre dans cet univers sensuel et fantasmagorique («Souviens-toi de ces nuits d’ivresse/Où j’ai voulu faire mes adieux/Bacchus, je marche sur des morceaux de verre/Et je ne sens plus rien/…Bacchus, cirrhose-moi le cœur»).

S’il ne signale pas l’arrivée d’un talent majeur, Bouille de Lune est le genre de disque qui carbure à la passion et la poésie brouillonne, et qui nous rappelle, jusque dans ses dérapages, que le rock and roll est d’abord et avant tout une affaire de conviction.

70’s, prise trois

Dans le texte de promo qui accompagne L’homme de la rue (Quartz), on nous présente Jean-Claude St-Pierre comme «Un intemporel, dans un monde bien à lui». Mais le monde et le temps en question n’appartiennent pas qu’à lui: ce sont les années 70, encore et toujours, qui sont ici à l’honneur.

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Pas celles de Pink Floyd ou du glam rock précité, mais celles des boîtes à chansons, des cafés-campus, où des bardes hirsutes nous chantaient le début d’un temps nouveau, sans savoir que leur lever de soleil était en fait un crépuscule. Depuis ce temps-là, ils sont une petite poignée à y croire encore, à hanter ce qui nous reste des rendez-vous de l’époque (du genre Les deux Pierrots, à Montréal), bien en marge des modes et des médias.

Et dans cette marge, on déniche de temps à autre l’orfèvre qui cisèle des petites merveilles avec ses mots et ses accords. Jean-Claude St-Pierre est-il cet oiseau rare? De prime abord, on voudrait presque qu’il le soit: le bougre est sympathique, il a le métier, une voix chaude (on pense à Jean-Guy «Chuck» Labelle) et juste et une absence totale de prétention.

Mais tant sur le fond que la forme, L’homme de la rue pèche par manque total d’audace et d’imagination: sur des mélodies télégraphiées, il nous livre ses histoire inspirées «de l’amour et du quotidien».

On y apprend que les sans-abri ont faim, que St-Pierre n’est pas parlable tant qu’il n’a pas pris son premier café du matin, et qu’une peine de cœur, ça fait mal. Tout cela reste au premier degré, truffé de rimes fatiguées («alcool» et «sniffer d’la colle») et de clichés impardonnables.

Dommage, parce que cet album qui fait la part belle aux guitares acoustiques, qui emprunte au blues et au flamenco, aurait pu nous offrir une parenthèse apaisante, si la substance avait été au rendez-vous.

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