Hubert Haddad écrit pour fuir le grand désert

Festival international des auteurs d’Harbourfront

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Publié 30/10/2012 par Guillaume Garcia

Né en Tunisie en 1947, Hubert Haddad a grandi en France, dans la banlieue de la capitale. Le regard tourné à la fois vers le bleu de la mer Méditerranée et la grisaille parisienne, le jeune homme commence à écrire aux alentours de ses 20 ans et ne s’arrêtera jamais. L’Express a rencontré cet auteur atypique, touche-à-tout, auteur d’une soixantaine de bouquins et qui à travers la langue française rassemble toutes les langues de la terre.

Auteur de deux volumes «d’apprentissage» de l’écriture, intitulés Nouveau magasin d’écriture et Nouveau nouveau magasin d’écriture, Hubert Haddad a dès le début de sa carrière pris le soin d’intégrer de la réflexion à son travail, et tenter de déconstruire sa manière d’écrire pour l’expliquer aux plus jeunes, aux défavorisés, à ceux qui ont l’écriture comme seul exutoire.

L’écrivain a les pieds sur terre

Très jeune, il fonde des revues littéraires avec des jeunes de centres communautaires en France. Ensemble ils tentent de compiler des codes, des techniques des «trucs» d’écrivain, au fur et à mesure de leurs rencontres. «Je ne savais même pas à l’époque que je faisais des ateliers d’écriture. Ça c’est amplifié (les ateliers d’écriture, ndlr) parce que les institutions ont fait appel aux écrivains pour intervenir dans différents endroits», explique Hubert Haddad.

Ces deux bouquins, plus de 1600 pages en tout, sont une sorte de labyrinthe d’images, de textes, de propositions d’écriture et de stratégie. Ils s’adressent aux personnes qui offrent des ateliers d’écriture, et pourraient être utiles aux écrivains en panne d’inspiration!

«Je ne me suis inspiré d’aucune technique pour écrire mes livres, mais j’ai eu le temps d’en inventer! Avec les ateliers, je voulais voir comment je procédais pour écrire, j’ai tout déconstruit de manière analytique. »

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Romancier, poète, nouvelliste, illustrateur, instituteur, Hubert Haddad est un écrivain «polymorphe», qui refuse de se faire classifier. La seule variable qu’il semble garder dans son œuvre apparaît comme l’ancrage dans la réalité. Celle qu’on ne veut pas forcément voir. Fier d’avoir pu faire changer le regard de professeurs sur des enfants soi-disant irrécupérables, qui pouvaient pourtant écrire de la poésie remarquable, Hubert Haddad s’est inspiré de ces enfants, en Haïti, au Rwanda, pour comprendre le monde. «Du fait de mes origines, de ce que j’ai pu connaître, ça a été très important pour moi. Pour eux, l’écriture est salvatrice. C’est par l’invention qu’ils veulent comprendre leur monde. »

Exalter le français

Outre ce travail de guide, Hubert Haddad a une deuxième mission, faire vivre et danser la langue française. Prix des cinq continents de la francophonie avec son roman Palestine, en 2008, l’écrivain avoue avoir du mal avec les langues étrangères. «J’ai fait de l’anglais, je peux le lire, mais je ne le parle pas. J’ai fait de l’espagnol, je ne le parle pas. J’ai fait un peu d’hébreu, je sais déchiffrer trois mots. Il doit y avoir un blocage. Quand j’étais jeune, on nous a interdit l’arabe, la langue que tout le monde parlait. Comme on m’a interdit une langue originelle, je dois tout réinventer avec le français. Pour moi la langue française c’est comme Babel effondrée, c’est pour ça que la métaphore est très importante pour moi. »

Avec le français comme langue unique, Hubert Haddad s’approprie les autres langues et les imagine dans ses phrases. Invité par le festival international des auteurs à Harbourfront en fin de semaine dernière pour parler, en français, de son dernier recueil Nouvelles de jour et de la nuit, l’écrivain vante les bienfaits de la francophonie.

«Le français n’appartient pas à Paris, il appartient à ceux qui l’écrivent. L’enrichissement de la langue française, il vient d’Haïti, d’Afrique. On va découvrir des génies…»

«Toute cette jeunesse qui a porté la révolution, c’est une jeunesse libertaire, mais il y a des structures régressives qui étaient aux aguets, derrière la dictature et le colonialisme, et qui attendaient leur revanche. Il faut voir ça comme la restauration après la Révolution française; il y a eu des régressions, mais quelque chose était né. Un jour cette liberté se manifestera en Tunisie, mais il va falloir du temps pour que les islamistes se calment. »

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Ces problématiques actuelles, l’islam, le judaïsme, la guerre, Hubert Haddad s’en est inspiré pour deux de ses plus récents ouvrages, Palestine, en 2008, et Opium poppy, en 2011.

«Ça me touche personnellement. J’ai un frère qui était en Palestine, et qui s’est suicidé devant l’impossibilité d’aboutir à quoi que ce soit. Moi je me sens fondamentalement judéo-arabe. Mais ma grand–mère n’a jamais compris qu’Israël existait.

Homme du peuple, homme qui connaît la rue, Hubert Haddad espère un regain d’humanisme dans son pays, la France, après les secousses identitaires des dernières années.

Derrière le faux problème de l’immigration en France existe un vrai problème global, qui est la crise et qui exacerbe les rancœurs, les jalousies et les positions nationalistes. «Il y a un usage politique de l’immigration, on avait déjà vu ça de manière tragique avant la guerre. Aujourd’hui, chasser l’immigrant serait une catastrophe irréversible», lâche l’écrivain.

Écrivain acharné, Hubert Haddad continuera d’observer le monde tant qu’il le pourra, avant de s’enfermer pour écrire, de peur d’être rattrapé par le vide, ce «grand désert», comme il dit. Ce grand désert que ses parents ont quitté quand il avait trois ans, pour découvrir le gris de Paris.

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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