Harpagon en Nouvelle-France

L’Avare de Molière

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Publié 02/05/2006 par Pierre Karch

Pour la dernière production de la saison, le Théâtre français de Toronto a choisi de monter L’Avare (1668) de Molière. Comme c’est un des chefs-d’œuvre les mieux connus du dramaturge, je ne résumerai pas.

Scénographie et costumes

La première chose que l’on remarque, quand on entre dans la petite salle «Upstairs» du théâtre de la rue Berkeley, c’est que le plateau incliné est surélevé de presque deux mètres.

Glen Charles Landry a opté pour la transparence. Sous le plateau, on voit une série d’escaliers qu’on emprunte pour monter et descendre à l’intérieur de la maison du bourgeois, mais aussi pour entrer et sortir de ce «manoir» qui ne paie pas d’apparence, car, de toute évidence, son propriétaire ne croit pas aux rénovations.

Mais il s’agit bien d’un manoir qu’entretient un personnel nombreux. Pas de rideaux pour cacher les comédiens lorsqu’ils se retirent dans les coulisses. C’est ainsi, par exemple, qu’on voit la belle Élise (Mélanie Beauchamp) dans sa chambre et Sébastien Bertrand, dans sa loge.

Si j’ai bien compris, on a transposé l’action en Nouvelle-France. Les murs de bois ronds, les troncs d’arbre qui servent de bancs, l’absence de tout objet décoratif semblent l’indiquer. À l’époque, Ville-Marie n’avait qu’un quart de siècle. C’est dire que le luxe n’était pas ce qu’il était en France, à la même date.

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Cela étant, Nina Okens a habillé les personnages de vêtements à la mode, mais en assez mauvais état. Cela aussi se comprend et explique fort bien le jugement qu’Harpagon (Guy Mignault) porte sur son fils Cléante (Sébastien Bertrand) qui porte trop d’attention à sa tenue vestimentaire, en multipliant les rubans.

Personnages

Les jeunes premiers de Molière sont toujours fades. Ils sont beaux, mais insignifiants. Ils ne savent rien faire et sont peu débrouillards. L’amour qu’ils ressentent est tellement superficiel qu’on ne peut s’empêcher de croire qu’il est voué au malheur.

Beaumarchais a eu le courage de le montrer dans Le mariage de Figaro, en mettant en scène les amoureux du Barbier de Séville quelques années après leur mariage. Molière n’est pas allé aussi loin. Mélanie Beauchamp m’a paru être celle qui a le mieux réussi à donner du caractère à son personnage.

Ordinairement, les serviteurs ont un petit rôle, mais essentiel. Dans l’esprit de Molière les gens du peuple étaient plus sages et rusés que les bourgeois. On le voit bien dans cette comédie.

Maître Jacques (Martin Albert) est sans doute un peu lent d’esprit, mais il nous fait très bien voir la vie dure qu’il mène. On l’insulte, on le bat, on abuse de lui en s’attendant à ce qu’il occupe des fonctions aussi différentes que celles de cocher et de cuisinier. Aussi se révolte-t-il.

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La Flèche (Olivier L’Écuyer), dont le nom pourrait en faire un Canadien, joue un rôle important puisque c’est lui qui vole la cassette et réussit à obtenir d’Harpagon qu’il consente à l’union des couples amoureux.

Le comédien qui fait rire le plus est Michel Séguin. C’est un mime de toute première classe qui tient plusieurs rôles avec brio et qui traduit en «piastres» les écus dont il est question dans le texte d’origine.

Et puis il y a Guy Mignault. Encore une fois, il est superbe dans le rôle d’un veuf qui ne regrette pas son épouse, qui ne songe qu’à lui et à son argent, pas nécessairement dans cet ordre, puisqu’il est prêt à se pendre s’il ne retrouve pas sa cassette.

Il est mis à la torture par ses deux passions: l’amour et l’avarice. Mignault entre tellement bien dans son personnage d’avare qu’on sympathise avec sa douleur quand il perd une fraction de sa fortune qu’il faut imaginer immense.

Il parle de son argent et de son or avec tellement d’âme qu’on pourrait le comparer à ses collectionneurs qui nous présentent les œuvres qu’ils ont accumulées au cours des années comme s’il s’agissait de maîtresses.

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En présence de Marianne (Julie Legal), il devient tout chose. Il n’arrive pas à exprimer son amour, car il la voit comme un autre trésor de sa collection et non pas comme une pièce unique.

C’est un véritable délice que de voir tous ces comédiens donner à L’Avare une fraîcheur qui démontre, à n’en pas douter, que le théâtre de Molière, dans ce qu’il a d’essentiel, n’a pas vieilli. Dimanche après-midi, la salle était comble. On a ovationné les comédiens qui le méritaient tous.

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