Haïti: difficile accouchement de la démocratie

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Publié 21/02/2006 par André Lachance

Le report – pour la quatrième fois – des élections présidentielles et législatives qui devaient avoir lieu le 8 janvier illustre la déliquescence de la société haïtienne. Les moins surpris sont les Haïtiens eux-mêmes.

«Défense d’entrer avec vos armes», dit l’affiche scotchée à l’entrée de l’immeuble abritant le Conseil électoral provisoire, route de Delmas, à Port-au-Prince. Affalés sur des chaises déglinguées, quelques employés observent d’un œil morne le va-et-vient du personnel et des visiteurs sous le portique de sécurité, indifférents à la sonnerie qui se déclenche dès que l’appareil détecte un objet métallique. «Bof», me glisse l’un d’eux, quand je lui fais remarquer que les consignes de sécurité ne semblent guère respectées. «On n’a pas été payés depuis quatre mois…»

Ce n’est pourtant pas faute d’argent. Depuis un an, le pays a reçu de l’Union européenne, du Canada et des États-Unis plusieurs dizaines de millions de dollars pour organiser des élections, sans résultats tangibles. Le scrutin, dont le premier tour devait initialement avoir lieu début novembre, a été reporté une première fois au 20 novembre, puis à la mi-décembre, ensuite au 8 janvier et maintenant quelque part fin janvier.

Non sans bonnes raisons, les responsables étant incapables de même distribuer les cartes électorales. Aujourd’hui, à peine 1,4 million sur les 3,5 millions d’électeurs inscrits – 4,5 millions sont pourtant en âge de voter – ont reçu leur carte d’identification biométrique leur permettant d’exercer leur droit de vote. «Ça n’a pas de bon sens, grogne une habitante d’un quartier populaire qui a fait la queue toute la journée pour obtenir sa carte, sans y parvenir. On attend et il ne se passe rien. C’est ça la démocratie?»

Une organisation chaotique

La colère gronde aussi parmi les quelque 30 000 scrutateurs et travailleurs d’élections affectés aux 8 883 bureaux de vote dispersés dans tout le pays, parfois au défi de toute logique: certains paysans doivent marcher une bonne journée pour seulement aller retirer leur carte d’électeur. «Ce sont les étrangers qui ont décidé des emplacements des bureaux de vote, dit l’un d’eux. Ils l’ont fait après avoir survolé les régions en hélicoptère, sans penser que les petits paysans allaient à pied, eux.» Le problème, réel dans certaines régions montagneuses, est néanmoins mineur comparé aux difficultés d’organisation et de concertation rencontrées par les Haïtiens eux-mêmes.

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«Même les membres du Conseil électoral provisoire ne s’entendent pas entre eux, révèle un spécialiste étranger de l’organisation de scrutins. Chacun veut être le chef et dépenser les budgets comme bon lui semble. Pas étonnant qu’ils soient incapables d’organiser des élections.»

Alors que la communauté internationale – qui y entretient à grands frais quelque 8 900 soldats et policiers sous l’égide des Nations unies – fait pression pour que les élections aient lieu le plus rapidement possible, ce qui reste de l’État ne répond plus. La justice est paralysée et les prisons débordent de prévenus emprisonnés depuis des années sans jamais avoir été déférés devant un juge. La Cour de cassation, le plus haut tribunal du pays, a été le témoin en décembre de véritables pugilats entre partisans et adversaires de juges mis à la retraite pour avoir rendu un jugement politique qui avait déplu au président provisoire, Boniface Alexandre.

Un pays en panne

Enseignants et étudiants font la grève à répétition, les premiers parce qu’ils ne sont pas payés, les seconds parce que leurs professeurs ne se présentent plus aux cours. Les hôpitaux publics sont des mouroirs, où l’on ne se rend qu’en cas d’absolue nécessité. À l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti par exemple, sur les 19 enfants nés par césarienne pendant la dernière semaine de novembre, 10 n’ont pas survécu. La nuit, la capitale est pour l’essentiel plongée dans le noir et les rues sont vides. Au mieux, Électricité d’Haïti fournit deux heures de courant à ses abonnés, certains quartiers en étant privés des jours entiers. La distribution d’eau par les services publics est à l’avenant, pratiquement inexistante.

De vastes zones de la capitale, qui recoupent essentiellement les bidonvilles où survivent de peine et de misère des centaines de milliers de pauvres hères, échappent toujours au contrôle de l’État et les chefs de gangs y dictent leur loi. Enlèvements en plein jour, demandes de rançon, assassinats crapuleux et fusillades rythment le quotidien des 2 millions d’habitants de Port-au-Prince. Mario Andresol, le chef de la police, estime que le quart de ses 5 600 policiers sont impliqués dans des activités illégales.

«La corruption est un problème à tous les échelons de la hiérarchie», dit-il. Jusqu’ici, il en a fait arrêter une centaine, soupçonnés d’enlèvements, meurtres et autres vilenies. Prudent, il confie sa sécurité personnelle aux Casques bleus de l’Onu, non à ses hommes…

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Les femmes sont les premières victimes de cette déliquescence. Les viols, notamment contre les mineures, sont en nette progression et les centres d’aide aux femmes signalent que le tiers de ceux-ci sont des viols collectifs. La peur est générale et tout le monde se méfie de tout le monde.

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