Le report – pour la quatrième fois – des élections présidentielles et législatives qui devaient avoir lieu le 8 janvier illustre la déliquescence de la société haïtienne. Les moins surpris sont les Haïtiens eux-mêmes.
«Défense d’entrer avec vos armes», dit l’affiche scotchée à l’entrée de l’immeuble abritant le Conseil électoral provisoire, route de Delmas, à Port-au-Prince. Affalés sur des chaises déglinguées, quelques employés observent d’un œil morne le va-et-vient du personnel et des visiteurs sous le portique de sécurité, indifférents à la sonnerie qui se déclenche dès que l’appareil détecte un objet métallique. «Bof», me glisse l’un d’eux, quand je lui fais remarquer que les consignes de sécurité ne semblent guère respectées. «On n’a pas été payés depuis quatre mois…»
Ce n’est pourtant pas faute d’argent. Depuis un an, le pays a reçu de l’Union européenne, du Canada et des États-Unis plusieurs dizaines de millions de dollars pour organiser des élections, sans résultats tangibles. Le scrutin, dont le premier tour devait initialement avoir lieu début novembre, a été reporté une première fois au 20 novembre, puis à la mi-décembre, ensuite au 8 janvier et maintenant quelque part fin janvier.
Non sans bonnes raisons, les responsables étant incapables de même distribuer les cartes électorales. Aujourd’hui, à peine 1,4 million sur les 3,5 millions d’électeurs inscrits – 4,5 millions sont pourtant en âge de voter – ont reçu leur carte d’identification biométrique leur permettant d’exercer leur droit de vote. «Ça n’a pas de bon sens, grogne une habitante d’un quartier populaire qui a fait la queue toute la journée pour obtenir sa carte, sans y parvenir. On attend et il ne se passe rien. C’est ça la démocratie?»
Une organisation chaotique
La colère gronde aussi parmi les quelque 30 000 scrutateurs et travailleurs d’élections affectés aux 8 883 bureaux de vote dispersés dans tout le pays, parfois au défi de toute logique: certains paysans doivent marcher une bonne journée pour seulement aller retirer leur carte d’électeur. «Ce sont les étrangers qui ont décidé des emplacements des bureaux de vote, dit l’un d’eux. Ils l’ont fait après avoir survolé les régions en hélicoptère, sans penser que les petits paysans allaient à pied, eux.» Le problème, réel dans certaines régions montagneuses, est néanmoins mineur comparé aux difficultés d’organisation et de concertation rencontrées par les Haïtiens eux-mêmes.