Gogol, l’inventeur du fantastique

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Publié 25/08/2009 par Gabriel Racle

En 1831, dans une imprimerie de Saint-Pétersbourg, des typographes éclatent de rire en composant un livre. À l’époque, le compositeur travaillait debout, puisait les caractères dans la casse, en lisant la copie attentivement, pour les placer dans un composteur. Il fallait donc que le texte soit particulièrement drôle, pour que les typographes puissent rire, tout en exécutant leur travail complexe.

Ils composaient alors Les Soirées du Hameau, près de Dikanka. Qui pouvait bien en être l’auteur?

L’avant-propos le laissait peut-être deviner: «En voilà encore une nouveauté! Drôles de soirées! Et, c’est un apiculteur, s’il vous plaît, qui vous lance ça sur le marché! Dieu soit loué! On dirait bien qu’on n’a pas encore plumé assez d’oies ni gâché assez de chiffons pour en faire des plumes et du papier! Qu’il n’y a pas encore assez de monde, de toute engeance et de toute condition, qui se soit barbouillé d’encre le bout des doigts! Et voilà à présent un apiculteur – quelle mouche l’a piqué, je me le demande – qui prend le même chemin! Vrai, il se fait de nos jours tant de papier imprimé, qu’il faut se creuser la cervelle pour imaginer ce qu’on pourrait bien y envelopper.»

Un professeur écrivain

L’apiculteur imaginaire est un professeur qui a choisi ce pseudonyme pour publier deux volumes d’histoires, en 1831 et 1832, qui connaissent un tel succès qu’une deuxième édition paraît en 1836, puis une troisième en 1843, sous le nom de l’auteur, Nicolaï Vasilievich Gogol.

Gogol était né il y a 200 ans, le 20 mars 1809, à Sorotchintsy, petite bourgade d’Ukraine. À 19 ans, après de médiocres études, Nicolaï gagne Saint-Pétersbourg, des rêves de gloire plein la tête. Il est déçu par son emploi de fonctionnaire anonyme et l’échec de sa première œuvre romantique, Hans Küchelgarten, dont il brûle tous les exemplaires non vendus. Puis il s’enfuit en Allemagne, selon un schéma qu’il suivra souvent: espoir, orgueil, déception, fuite à l’étranger.

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Revenu à Saint-Pétersbourg, il devient professeur d’histoire à l’Institut patriotique pour filles d’officiers nobles. Il publie Les Soirées du Hameau, qui relèvent du romantisme fantastique.

Le triomphe de cette œuvre auprès d’un public que le folklore ukrainien enchante, l’introduit dans le milieu littéraire, où il rencontre Pouchkine, dont le prestige est considérable, qui devient son ami.

Place au fantastique

Gogol complète son cycle ukrainien avec Mirgorod (1836), deux volumes de nouvelles, dont l’épopée Tarass Boulba exalte la lutte héroïque des cosaques ukrainiens contre les Polonais. Son environnement inspire Gogol et ce sont les Récits de Petersburg, publiés dans Arabesques, un recueil de nouvelles comprenant le Journal d’un fou (1833), La Perspective Nevski (1833-1834), Le Nez (1832-1843), Le Manteau (1843) et la seconde version du Portrait (1842).

Dans le Saint-Pétersbourg de Gogol, ville cosmopolite, se mêlent le burlesque, le fantastique, le quotidien, la trivialité, l’absurde. On l’a dit: «En greffant du fantastique sur le réel, Gogol veut nous montrer que le réel est fantastique.»

Déception

À la suggestion de Pouchkine, Gogol compose le Revizor, qualifié de chef-d’œuvre du théâtre russe. Un jeune fonctionnaire désargenté s’attarde dans une auberge de province, où les notables le prennent pour un inspecteur; exploitant la méprise, la servilité et leur corruption, il quitte la ville, fiancé et nanti de pots-de-vin. La pièce se termine à l’arrivée du véritable inspecteur. Mais l’œuvre est mal interprétée, malgré l’appui du tsar Nicolas Ier.

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Déçu, Gogol fuit. De 1836 à 1841 on le voit en Europe: Allemagne, Suisse, Paris, Rome. Le décès de Pouchkine, (1837) déclenche une crise religieuse. Il redoute sa mort: «Mon âme se meurt d’épouvante au seul pressentiment de la majesté de l’au-delà.»

Son grand projet

Gogol travaillait de puis les années 1830 à une grande œuvre qui, par les aventures d’un escroc, proposerait une renaissance du peuple russe, en usant du rire et de la dérision – la première partie – puis par la rédemption du personnage, déboucherait sur une exaltation du peuple russe et de son rôle messianique

La première partie, Les aventures de Tchitchikov, paraît en 1842 retitrée Les âmes mortes, le grand roman de Gogol qui ne réalisera pas son dessein moral et littéraire. Il tombe sous la coupe d’un illuminé, le père Matveï, qui le menace de damnation éternelle. Gogol sombre dans le mutisme, la mélancolie, se laisse mourir et décède le 20 février 1852, à 44 ans.

Novateur et inspirateur

«Il est l’inventeur du fantastique, un génie de la satire, mais en même temps il éprouve une compassion sans borne envers les petites gens: on a même pitié du fou. C’est un novateur dans la littérature russe. C’est lui qui aura donné les sujets de méditation et d’inspiration sur la condition russe aux autres écrivains», de dire Lara Moussine Pouchkine.

Ce qu’exprime Tourgueniev, faisant allusion à la nouvelle de Gogol: «Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol.»

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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