En 1831, dans une imprimerie de Saint-Pétersbourg, des typographes éclatent de rire en composant un livre. À l’époque, le compositeur travaillait debout, puisait les caractères dans la casse, en lisant la copie attentivement, pour les placer dans un composteur. Il fallait donc que le texte soit particulièrement drôle, pour que les typographes puissent rire, tout en exécutant leur travail complexe.
Ils composaient alors Les Soirées du Hameau, près de Dikanka. Qui pouvait bien en être l’auteur?
L’avant-propos le laissait peut-être deviner: «En voilà encore une nouveauté! Drôles de soirées! Et, c’est un apiculteur, s’il vous plaît, qui vous lance ça sur le marché! Dieu soit loué! On dirait bien qu’on n’a pas encore plumé assez d’oies ni gâché assez de chiffons pour en faire des plumes et du papier! Qu’il n’y a pas encore assez de monde, de toute engeance et de toute condition, qui se soit barbouillé d’encre le bout des doigts! Et voilà à présent un apiculteur – quelle mouche l’a piqué, je me le demande – qui prend le même chemin! Vrai, il se fait de nos jours tant de papier imprimé, qu’il faut se creuser la cervelle pour imaginer ce qu’on pourrait bien y envelopper.»
Un professeur écrivain
L’apiculteur imaginaire est un professeur qui a choisi ce pseudonyme pour publier deux volumes d’histoires, en 1831 et 1832, qui connaissent un tel succès qu’une deuxième édition paraît en 1836, puis une troisième en 1843, sous le nom de l’auteur, Nicolaï Vasilievich Gogol.
Gogol était né il y a 200 ans, le 20 mars 1809, à Sorotchintsy, petite bourgade d’Ukraine. À 19 ans, après de médiocres études, Nicolaï gagne Saint-Pétersbourg, des rêves de gloire plein la tête. Il est déçu par son emploi de fonctionnaire anonyme et l’échec de sa première œuvre romantique, Hans Küchelgarten, dont il brûle tous les exemplaires non vendus. Puis il s’enfuit en Allemagne, selon un schéma qu’il suivra souvent: espoir, orgueil, déception, fuite à l’étranger.