Frankétienne: «Le monde est en panne de l’imaginaire»

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Publié 31/07/2012 par Annik Chalifour

Co-fondateur du mouvement littéraire «Spiralisme» et auteur de plus d’une cinquantaine d’œuvres écrites en français et en créole, Frankétienne représente une figure emblématique de la culture haïtienne. Conférencier invité du Festival Kompa Kouk Ontario (FKZO), le septuagénaire a donné une allocution intitulée «Haïti au cœur du Chaos-Monde», à l’ONF jeudi 26 juillet, inspirée de sa philosophie de vie «la spirale», fruit de son imaginaire, qu’il décrit comme «là où nous sommes, se trouve la totalité du monde.»

«Sans chaos il n’y a pas de mouvement», déclare Frankétienne. «Le chaos offre la complexité de toute chose à l’infini. Il est au cœur de la vie qui s’y confond.»

«Chacun de nous, chacune de nos pensées, font partie de cet enchevêtrement incessant. Ainsi les vingt personnes rassemblées ici ce soir sont une minorité qui représente la majorité.»

Selon l’auteur, la vie ne se limite pas à une vision bipolaire soutenue par les soi-disants gestionnaires du monde sur cette terre.

«La bipolarité est réductrice, erronée; elle exclut toutes les nuances intermédiaires qui enrichissent la vie», déclare Frankétienne. «Nous évoluons dans la multipolarité, la diversité dans l’unité, la spirale, le chaos», insiste-t-il.

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«Le Chaos-Monde» c’est Haïti», cite-il. «Ma vie c’est Haïti, la Caraïbe, les Amériques, le monde. Un monde qui est en crise parce qu’il est en panne de l’imaginaire, parce qu’il se bute à la bipolarité, parce qu’il réduit sa vision de la vie.»

La culture, un instrument de lutte

Ceux qui connaissent Haïti, savent combien l’énergie artistique des Haïtiens est restée et reste toujours inépuisable malgré les revers de l’histoire du pays.

Haïti regorge de poètes, musiciens, de peintres et sculpteurs, qui manifestent la force de l’imaginaire face à l’adversité.

«Placez un homme dans une pièce, sans portes ni fenêtres, c’est son imaginaire qui le sauvera», souligne Frankétienne. «C’est ce sentiment de liberté qui rend l’Haïtien capable d’illustrer un certain esprit constant de sérénité.»

Pensons aux multiples facettes de la culture haïtienne qui rejoignent celles des quatre continents; un immense brassage culturel qui se retrouve dans «l’œil de la spirale.» La culture et ses symboles sont des instruments de lutte pour la survie, réitère le conférencier.

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Ombre et lumière

Difficile de cerner Frankétienne, personnage à la fois limpide et mystérieux, à l’image du «chaos» qu’il évoque dans sa notion de la «spirale», où les côtés ombre et lumière de la Vie se confondent sans fin.

Frankétienne parle comme un homme de lettres, de sciences et d’arts, mais aussi comme un ami et un citoyen du monde en paix avec lui-même et les autres. «Je suis franc d’abord avec moi-même, c’est le premier pas vers la franchise», déclare-t-il.

Au cours de sa longue existence d’écrivain et artiste, Frankétienne a déployé sa propre source d’inspiration: «la spirale». Pourtant malgré la grande chaleur humaine et la solidarité qu’il témoigne, il m’a semblé percevoir chez lui une immense solitude.

La solitude profonde, souvent étrangère à la moyenne des gens, qui fait intimement partie de l’artiste créateur (du vrai artiste à l’inverse de la «star»), dont la perpétuelle passion de créer exige l’isolement.

Trésor vivant

Frankétienne s’est vu décerner par les institutions les plus prestigieuses du monde littéraire et artistique près d’une vingtaine de prix et de distinctions.

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En plus d’avoir été désigné «Trésor National Vivant» d’Haïti en 2006, Artiste de l’UNESCO pour la Paix et élevé au rang des Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres de la France en 2010, il figure sur la liste des candidats au Prix Nobel de littérature depuis sept ans.

«Laissez-moi mon utopie, à moi qui suis vers la fin de ma vie, que le monde changera, qu’Haïti émergera lumineuse de son étoile noire», a commenté Frankétienne.

L’écrivain parcourt son pays sans relâche, offrant des conférences tant auprès des populations isolées parmi les plus démunies que les citadins: «Les jeunes en Haïti réfléchissent de plus en plus, ils sont les porteurs du changement. Il faut compter sur eux, leur instiguer le désir de travailler fort pour réussir et le refus de vivre dans les pires conditions.»

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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