Françoise Barré-Sinoussi: une vie pour combattre le SIDA

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Publié 22/08/2006 par Yann Buxeda

C’est en 1983, sous l’impulsion d’une équipe de recherche de l’Institut Pasteur en France, que le virus VIH/sida était identifié. Un premier pas auquel participait la chercheuse française Françoise Barré-Sinoussi, il y a déjà 23 ans. Depuis cette découverte, sa vie a radicalement basculé et elle y consacre chaque instant à la recherche sur le VIH. Portrait.

Nous sommes en 1981. Un énième virus méconnu fait son apparition sur la surface du globe, notamment en France et aux États-Unis. Au tout début des années 80, la communauté scientifique est encore loin de soupçonner l’ampleur de la pandémie à venir, mais les prémisses de ce que l’on appellera par la suite VIH/sida sont là.

Une identification de cette maladie temporairement nommée «maladie des 4 H» – à cette époque, elle ne touche que des homosexuels, des hémophiles, des héroïnomanes et des Haïtiens – sur laquelle planche très rapidement une équipe de l’Institut Pasteur.

Et c’est en 1983 que la professeure française Françoise Barré-Sinoussi lance ses recherches sur l’agent pathogène du sida. Des travaux qui contribueront grandement à l’identification du virus.

Au-delà de l’importante avancée que cela constitue, cette découverte modifie radicalement le cours de son existence: «J’ai coutume de dire que j’ai une vie pré et post-sida. Cette règle s’applique sur un plan professionnel mais aussi personnel. Les recherches sur le sida sont naturellement devenues ma préoccupation principale et j’y cconsacre la majeure partie de mon existence.»

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Une attitude qui se retrouve effectivement dans l’énergie qu’elle dépense dans son laboratoire – elle y travaille quasiment tous les jours de la semaine, à raison de 13 heures voire plus -, mais pas seulement. Car pour Françoise Barré-Sinoussi, la recherche est un domaine intimement lié à la perception qu’ont les malades de leur propre maladie.

Une approche pasteurienne de la science qu’elle affirme défendre depuis toujours: «Dès mes premiers pas dans le domaine de la recherche scientifique, j’ai été initiée à cette conception qui veut que la science soit un domaine à explorer dans le seul et unique but d’apporter quelque chose de bénéfique à l’humanité. C’est l’une des valeurs fondamentales de l’Institut Pasteur, et c’est notamment pour cela que je lui suis restée fidèle, malgré quelques divergences parfois.»

Des idées qu’elle met également au service d’organismes associatifs, puisque dès 1987, elle intègre le conseil d’administration de l’association française Aides. Un moyen pour elle de s’impliquer encore plus dans la vie des personnes séropositives, et de mieux comprendre l’impact du facteur humain dans l’évolution de la maladie.

Une absence regrettable

Malgré une implication totale sur de nombreux fronts, il n’est absolument pas question pour la professeure Barré-Sinoussi de parler de lassitude: «Il est impossible de baisser les bras face à ce combat de tous les instants. Indirectement, il existe aussi une compétition à travers le monde qui, au-delà d’enjeux financiers qui me dépassent, stimulent tout le monde scientifique pour apporter les réponses à cette pandémie.»

Tout au plus consent-elle à évoquer un certain sentiment de frustration: «Il est difficile d’être satisfait de la situation alors qu’après 25 ans d’efforts conjoints, l’épidémie continue de flamber à travers le monde.»

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«Il y a certes des progrès, mais globalement, cela fait mal au coeur de voir les ravages causés par la maladie. Ce sont chaque année des millions de personnes qui contractent le virus, et d’autres qui en décèdent. C’est très difficile pour un chercheur de se sentir démuni mais cela fait partie du métier. Un peu comme cet optimisme forcenné qui nous caractérise.»

Un positivisme d’autant plus de rigueur la semaine dernière, alors que se confrontaient près de 25 000 personnes issues aussi bien des milieux associatifs que scientifiques au Centre des congrès de Toronto.

Une opportunité majeure de signifier au monde l’importance de ces réunions de grande envergure, selon la chercheuse: «Les congrès, selon leur importance, ont une portée différente. Lorsqu’il s’agit de manifestations d’envergure réduite, l’aspect scientifique prime. Ici, la signification de ce congrès est bien plus large, puisque tous les acteurs du milieu se réunissent autour d’une table. Nous, scientifiques, ne sommes pas au coeur de cet événement, mais participons à une synergie globale qui coordonne naturellement tous les modes d’actions pour lutter contre le sida.»

Et de signifier l’impact essentiel que ce congrès pourrait avoir sur les politiques mondiales en terme d’action. À ce sujet, la professeure s’accorde au demi-ton près avec les voix qui se sont élevées face à l’attitude du premier ministre Stephen Harper: «Son absence est extrêmement regrettable. Cette attitude dédaigneuse envoie un message fort à l’ensemble de notre communauté. Maintenant, cela ne sert à rien de polémiquer, et le discours de Mark Weinberg [le co-président de la Conférence] à ce sujet lors de la cérémonie d’ouverture est remarquable de justesse et nous savons à quoi nous en tenir à l’avenir.»

La réponse chez le singe

L’avenir justement, Françoise Barré-Sinoussi le voit avec un regard optimiste mais lucide, et considère que les recherches se basent encore sur une trop grande échelle.

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La recherche fondamentale, qui consiste en l’étude de signaux pointus à l’échelle de la molécule, est encore trop peu répandue: «L’un des facteurs limitants de l’évolution des recherches est le peu de connnnaissances que nous possédons en immunologie. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas assez centrés sur l’identification de signaux précoces qui pourraient nous permettre de détecter les premiers mécanismes de développement du virus. Il existe des singes porteurs du VIH en Afrique, mais qui ne contractent pas la maladie. La recherche doit aller dans ce sens, à travers le décryptage des réactions de leur système immunitaire.»

Un concept qui se développe, et qui laisse à penser que si l’élaboration d’un vaccin contre le développement de la maladie est une hypothèse de plus en plus utopique, celle d’un vaccin protégeant de l’infection se fait de plus en plus plausible.

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