Entretien avec Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie

«Notre vigilance doit être constante»

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Publié 16/05/2006 par Yann Buxeda

En parallèle de la polémique qui a entouré l’accueil du secrétaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) Abdou Diouf, les médias francophones semblent avoir globalement oublié que se tenait une conférence à Winnipeg au Manitoba. L’ancien président du Sénégal y a réitéré son désir de s’impliquer plus largement dans les opérations de maintien de la paix, évoquant notamment une étroite collaboration avec l’ONU.

L’organisation a également déploré le fait que plus de la moitié du contingent des casques bleus déployés dans le monde le soient dans des pays de l’OIF, sans que le problème de la formation linguistique ne soit posé. Enfin, si les engagements en matière de lutte contre les marchés parrallèles et la protection du statut de réfugié ont été renouvelés, conformément à ce qui était prévu, un autre problème a été évoqué: la question des 250 000 «enfants soldats». Une situation qui sera probablement étudiée plus en profondeur lors du XIe Sommet de la Francophonie, qui se tiendra en Roumanie en septembre prochain.

L’Express: Cette conférence de Saint-Boniface est-elle plus un bilan de la bonne tenue des engagements pris par les chefs d’États où est-il question d’affiner encore les points névralgiques de votre action?

Abdou Diouf: Cette conférence a constitué une occasion privilégiée de renforcer notre dispositif de la Déclaration de Bamako qui définit le cadre de l’action de l’OIF dans les domaines de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme. À Saint -Boniface, il a également été question de faire le point sur la mise en œuvre des engagements pris, au fil des Sommets, par les chefs d’État et de gouvernement dans les domaines de la prévention des conflits et de la sécurité humaine.

Je pense notamment à la lutte contre le commerce illicite des armes légères et de petits calibres, à l’élimination des mines antipersonnelles, à la protection des enfants dans les conflits armés, et j’en oublie. J’ai d’ailleurs noté avec satisfaction que la quasi-totalité des États de l’OIF avaient ratifié les principales conventions dans les domaines du droit humanitaire et dans celui des réfugiés, en particulier les Conventions de Genève de 1949.

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L’Express: Dans le programme de la conférence, il est également fait état d’un renforcement de la coopération entre États et gouvernements francophones d’une part, et organisations internationales et régionales au sujet du maintien de la paix. L’OIF a-t-elle des cibles prioritaires?

A.D.: Nous avons abordé la question du maintien de la paix lors de notre conférence ministérielle d’Antananarivo, en novembre dernier. Nous avons décidé d’intensifier la coopération francophone dans ce domaine. L’expérience de la MINUSTAH en Haïti nous a montré que le niveau de participation de nos pays dans les opérations de maintien de la paix dans l’espace francophone est insuffisant.

Nous constatons également que les forces qui interviennent dans des pays francophones ont besoin de parler français pour mieux exercer leur mandat. Enfin, l’OIF peut intervenir utilement, notamment par la formation et l’échange d’expériences, sur les volets non-militaires du maintien de la paix.

L’Express: Concrètement, dans quelles mesures peut agir l’OIF? Quels sont ses moyens d’action pour faciliter la recherche d’une solution diplomatique? L’OIF dispose-t-elle de moyens de sanction à l’encontre d’un État qui ne respecterait pas ses engagements?

A.D.: La Francophonie fonctionne autour d’un dispositif clairement défini par la Déclaration de Bamako en novembre 2000 pour intervenir auprès des États qui ne respecteraient pas leurs engagements. Ces moyens peuvent aller de l’envoi d’une mission d’information et de contacts, jusqu’à la suspension d’un État membre de nos instances.

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Je vous rappelle que la Francophonie a été la première organisation à suspendre le Togo à la suite des tripatouillages constitutionnels qui ont eu lieu après le décès du Président Eyadema. De même, la Francophonie a suspendu la Mauritanie après le coup d’État d’août 2005. Ils ont tous les deux réintégré notre organisation après avoir donné des garanties concernant le rétablissement de la démocratie.

L’Express: En novembre 2004, à Ouagadougou, vous avez fait de la promotion de la langue française l’une des quatre missions prioritaires du Cadre stratégique de l’OIF. Si l’on excepte le Québec, le Canada représente-t-il un défi pour l’OIF?

A.D.: Le français ne constitue pas seulement un enjeu ici au Canada mais pour tous les pays membres de notre organisation. Y compris pour la France, qui est pourtant le seul pays de l’OIF à ne parler qu’une seule langue, le français. Il ne faut pas non plus oublier certains pays africains où le français, qui n’est qu’une langue parmi d’autres, mérite d’être soutenu, face au déferlement de l’anglais. Ici, au Manitoba, j’ai été particulièrement touché par l’attachement que ces milliers de francophones témoignaient à leur langue. C’est une belle leçon pour nous tous!

L’Express: Vous avez également exhorté les membres de l’OIF à se tenir à leurs engagements quant au respect des libertés et notamment celle de la presse. Le non-respect de ces fondamentaux est-il un épiphénomène malheureux dans quelques rares pays, où s’agit-il d’un mal répandu dans le monde francophone?

A.D.: Ce n’est pas un mal qui est propre aux seuls francophones, je vous le précise tout de suite! Regardez les rapports émis par les organisations non gouvernementales spécialisées dans ces questions et vous verrez tout de suite que personne n’est épargné, y compris les États du Nord!

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En revanche, ce qui m’inquiète le plus, c’est que, pour parler des pays francophones d’Afrique, c’est un combat qui n’est jamais définitivement gagné. La paix est l’affaire de tous, elle est l’affaire de tous les francophones. Notre vigilance doit être constante.

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