Du tintouin au pays de Tintin

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 20/10/2009 par Gabriel Racle

On aurait pu penser qu’avec la disparition d’Hergé, le 3 mars 1983 à Bruxelles, les aventures du «petit reporter à la houppe» se terminaient avec Tintin et l’Alph-Art, publié sous forme inachevée en 1986. Il n’en est rien, les aventures de Tintin sont devenues ses mésaventures.

C’est Tintin au Congo qui depuis quelques années cause tout ce tintouin, avec la question suivante: Faut-il interdire cet album, pour cause de racisme et de xénophobie?

La première version de Tintin au Congo est parue entre 1930 et 1931 dans Le Petit Journal, en noir et blanc. Elle est conforme aux clichés de l’époque, foncièrement colonialiste, adoptant les stéréotypes des colons belges, mais constituant un «témoignage du regard colonial des Occidentaux des années 30».

Cette version au ton paternaliste a fait l’objet d’une révision en 1945. Hergé l’a mise en couleur, il en a nuancé l’idéologie, a remplacé la leçon de géographie qui faisait de la Belgique la mère patrie des Congolais par une leçon de mathématiques.

Dans une biographie originale d’Hergé, Benoît Peeters souligne que dans la nouvelle version colorisée de l’album, l’auteur a supprimé «les détails outrancièrement colonialistes». (Peeters, Hergé, fils de Tintin, Paris, Montréal, Flammarion, p. 539)

Publicité

Mise à l’écart

N’empêche! En 2007, la Commission britannique pour l’égalité raciale examine les textes et les dessins et conclut que «le livre contient des images et des dialogues porteurs de préjugés racistes abominables, où les indigènes sauvages ressemblent à des singes et parlent comme des imbéciles».

L’éditeur Penguin Books place alors sur la version anglaise un avertissement, tandis qu’aux États-Unis le groupe Borders met les albums controversés dans la section des bandes dessinées pour adultes de ses libraires.

À la même époque, l’éditeur sud-africain Human & Rousseau décide de ne pas traduire Tintin au Congo en afrikaans, une des langues officielles du pays, parlée par environ 13% de la population. La bibliothèque municipale Brooklyn, à New York, classe Tintin au Congo parmi les livres offensants, placé dans un «enfer». «Ce n’est pas un livre pour le public», déclare un bibliothécaire.

Plainte

Les tribulations de Tintin ne s’arrêtent pas là. Un comptable belge d’origine congolaise porte plainte en Belgique contre l’album, pour «racisme et xénophobie» et va engager en France une procédure équivalente. Il se dit prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour plaider sa cause.

Il fait valoir que les modifications atténuent le colonialisme de l’album sans le faire disparaître: «Il n’est pas admissible que Tintin puisse crier sur des villageois qui doivent travailler à la construction d’une voie de chemin de fer ou que son chien Milou les traite de paresseux» ou «L’aide noir de Tintin est présenté comme un petit homme stupide et sans qualités. Pour moi il s’agit incontestablement de racisme».

Publicité

Il demande que la société Moulinsart soit poursuivie pour infraction à la loi belge de 1981 réprimant le racisme, et qu’elle mette fin à la publication du livre.

Environnement

Pour comprendre les déboires de Tintin et d’Hergé, il faut les replacer dans la situation de leur temps et dans leur vie tumultueuse. Nul ne le fait mieux que Peeters dans l’ouvrage cité. Il suit Hergé pas à pas, d’une façon directe, nouvelle, sans cacher les erreurs de l’auteur, en relation avec Les aventures de Tintin – presque chaque album a son histoire secrète – et les événements importants de l’histoire belge.

On pourrait sous-titrer son livre «Les aventures d’Hergé» et tous les tintinophiles et autres amateurs de bonnes histoires ne manqueront pas de le lire: «Tintin a fait l’éducation d’Hergé» (p.20).

En parlant des relations d’Hergé avec les collaborateurs des Allemands pendant l’occupation du pays, Peeters note: «Hergé est décidément très perméable aux influences…» (p. 245). Ce qui explique certaines «erreurs» affectant plusieurs albums comme L’Étoile mystérieuse, Tintin au pays des Soviets, Tintin en Amérique. Tintin au Congo, est «le reflet exact d’une période où l’Occident se donnait une mission sacrée de civilisation. Hergé n’a fait que consulter les journaux pour trouver son inspiration», s’en imprégnant facilement.

Hors contexte

En colorisant Tintin au Congo, Hergé n’a pas vu que cette version «faussement intemporelle, peut engendrer un malaise plus profond que l’édition originale, indiscutablement datée» (p. 539). Un document historique mis hors contexte est devenu une réalité contemporaine. Il n’est donc plus jugé comme tel, mais selon les critères actuels et Tintin se retrouve raciste.

Publicité

Le dernier mot est peut-être de ce journaliste de France Inter, Simon Trivolle, qui disait le 2 septembre dernier: «Si on passe tous les livres au tamis du politiquement correcte d’aujourd’hui, les étagères des libraires vont se vider… Et il y aura beaucoup de monde en Enfer, avec Tintin et Milou…»

Adaptation de Tintin en québécois

L’album Colocs en stock, version québécoise ou jouale de l’aventure de Tintin Coke en stock, sortira en 2010 mais suscite déjà de nombreuses réactions.

La BD publiée par Casterman est l’initiative du sociologue Yves Laberge, qui y voit «une célébration de notre langue vivante, colorée, originale avec des expressions très imagées qui vient prouver que le français est riche dans toutes ses ramifications».

Le capitaine Haddock n’y proférera aucun des jurons religieux en usage au Canada français, car il ne blasphème pas non plus dans la version originale.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur