Du mensonge

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Publié 16/01/2007 par Pierre Léon

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.
Montaigne et Descartes.

J’ai toujours pensé que c’était la bêtise, la chose du monde la plus commune. Mais en y réfléchissant un peu plus, je sais que c’est le mensonge. On apprend ça tout petit, à écouter les mères s’extasier devant le mioche le plus moche et le plus idiot: «Est-il mignon, ce petit! Et comme il a l’air intelligent!» Ça continue toute la vie: «Comme je suis content de vous revoir! Et comme vous avez bonne mine! Non seulement vous n’avez pas changé, mais vous rajeunissez!»

En réalité vous venez de retrouver un vieux monsieur qui ne s’est pas arrangé et vous direz en rentrant: «J’ai rencontré cet idiot de prof, toujours aussi déplaisant et il a pris un sacré coup de vieux!»

Mais vous n’auriez pas pu vous comporter autrement. C’est qu’il n’y a pas de société possible sans mensonge. La franchise est une façon certaine de manquer de charité et de se faire des ennemis. Essayez d’être franc dans un salon mondain! Vous allez voir.

Clemenceau, un maître dans les trois domaines suivants, disait: «On ne ment jamais tant que dans une élection, pendant la guerre et après la chasse.»

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Les exemples actuels du mensonge politique ne manquent pas. Bush avec ses prétextes de la guerre d’Irak et ses communiqués de victoire. Harper avec ses promesses, sa vision du futur de l’Afghanistan, et la pollution qui n’existe pas. Ces mensonges-là sont graves à côtés de ceux de la politesse, qui seraient plutôt anodins, utiles et gentils.

Quand j’étais petit, ma mère me disait: «Donne-moi ton petit doigt que je le mette à mon oreille pour savoir si tu ne mens pas». Si je le lui tendais sans hésiter, elle savait que j’avais dit vrai. Si je le mettais prestement derrière mon dos, elle était sûre que j’avais menti.

Mais, surtout quand vous êtes petit, allez donc raconter une histoire sans ajouter «quelques fleurs». On sait que dans les témoignages les témoins ne sont jamais d’accord. Il y en a de trop sobres et d’autres prolixes. L’émotion ou le besoin de se sentir important font mentir.

De mauvaises langues disent que les femmes, parce que forcément plus gentilles, mentent plus facilement que les hommes. Le fait de se maquiller pour plaire est déjà un mensonge. Elles seraient aussi plus sensibles aux mensongers compliments des hommes que l’inverse. En tout cas, comme l’a si bien dit Sacha Guitry: «Elles ont un redoutable avantage, elles peuvent faire semblant, nous pas!» La pilule pour homme a-t-elle changé les choses?

Toutes les religions sont basées sur des mythes, qui sont fondamentalement des mensonges. Les miracles, les promesses d’enfer où l’on rôtit, des paradis aux soixante-douze vierges et autres balivernes. Mensonges! Mensonges! La viande qui doit être kosher, le cochon proscrit par Jéhovah et par Allah! Mais lisez plutôt la Bible* et le Coran, vous serez édifiés!

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Le mensonge est non seulement utile mais indispensable à tous ceux qui rêvent ou sont artistes. Il s’appelle alors imagination. Raconter une blague, écrire un poème ou un roman est impossible sans une bonne aptitude au mensonge.

Quand j’avais proposé Les chants de la Toundra** à une maison d’édition parisienne, on m’a répondu qu’il fallait réécrire les poèmes anciens à la façon des modernes, qui étaient de moi! J’ai donc dû mentir pour que le lecteur accepte les vrais poèmes inuit.

Mais toute traduction est mensonge. J’ai dit un jour: «On ne peut pas être un bon écrivain sans être un joli menteur». Alain Baudot a fait de cette parole (hautement historique!) le titre d’une collection du GREF, «Le beau mentir». Depuis, on m’a cité autant que lorsque j’avais rapporté la parole d’un copain, franc buveur: «On ne doit jamais refuser obstinément du vin»!

Cocteau, auteur de Thomas, l’Imposteur, se vantait d’être «un mensonge qui dit toujours la vérité», ajoutant: «Le mensonge du poète est l’expression la plus pure de la vérité». Ah! les poètes. Si je vous dis maintenant que je ne mens jamais, vous me répondrez sans doute: «C’est comme moi».

* Pour un bon résumé: Le Pied de Dieu, Toronto, GREF
**
Chants de la Toundra, Sherbrook, Naaman et Paris, La Découverte.

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