Don Juan ou Le festin de pierre à Stratford

Portrait accablant de l’amour sous le règne de Louis XIV

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Publié 29/08/2006 par Pierre Karch

Ceux qui fument applaudiront sans doute l’éloge du tabac que fait Sganarelle (Benoît Brière). Ce sont les premières phrases du Don Juan (1665) de Molière: «Il n’est rien d’égal au tabac; c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme».

L’intrigue

Mais c’est là un faux départ. L’action commence aussitôt après, alors qu’il est question, entre lui et Gusman (Nicolas Van Bureck), l’écuyer de Done Elvire (Sarah Topham), l’épouse de Don Juan (Colm Feore), de la relation amoureuse de leurs maîtres qui tourne au vinaigre.

La faute revient au seul Don Juan dont Sganarelle fait un portrait sans complaisance: «Tu vois en Don Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un démon, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe sa vie en véritable bête brute, un pourceau d’Épicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances qu’on lui peut faire et traite de billevesées tout ce que nous croyons».

Le spectateur est fixé, et rien de ce qui suit ne le détrompe. La philosophie de Don Juan est simple quoique en deux parties: «Tout le plaisir de l’amour est dans le changement […]. Lorsqu’on est maître une fois, d’une jeune beauté, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter; tout le beau de la passion est fini».

Les quatre autres actes illustrent cette pensée. Donc, pas de surprises. Dom Juan aime, séduit et se lance aussitôt dans une nouvelle aventure.

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Don Juan

Don Juan est un aristocrate qui n’est pas inconnu à la cour du Roi Soleil. Courtisan, c’est un beau parleur qui sait aussi manier l’épée. Il a le courage de ceux de son rang, mais il a aussi leur arrogance. Ses caprices sont des volontés.

Colm Feore, comédien bien connu des petit et grand écrans, nous fait très bien voir ses qualités et ses défauts, à tel point qu’on a du mal à le blâmer, même si on n’arrive que rarement à sympathiser avec lui. Ce qui le rend antipathique, c’est son manque de considération pour les autres.

Le comédien est grand dans les petits gestes, les expressions discrètes, les intonations qui font qu’on ne peut jamais perdre de vue le rang qu’il occupe. Lorraine Pintal, qui signe la mise en scène, n’aurait pas pu mieux choisir.

Sganarelle

On pourrait dire la même chose au sujet de Benoît Brière (quatorze ans de publicités pour Bell Canada!) dans le rôle de Sganarelle. Le serviteur est aussi trapu et gauche que son maître est élancé et élégant. Ils forment un couple à la Cervantes: Don Quichotte et Sancho Panza.

Sganarelle, qui n’a pas d’éducation, ne peut que répéter les leçons qu’il a apprises sans réfléchir sur la vie, la morale, le Ciel et l’Enfer. Il représente les bien-pensants, mais il ne pense pas très bien, ce qui donne tous les avantages à son adversaire.

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C’est le personnage le plus comique de la pièce, parce qu’il est torturé. Comment peut-il, en effet, servir un maître dont la conduite le scandalise?

Décors et costumes

Il n’y a, à proprement parler, aucun décor. Mais il y a des accessoires. Peu, mais efficaces que l’on doit à Danièle Lévesque.

Les costumes ont exigé un peu plus de travail à François St-Aubin qui a, comme tant d’autres choisi de ne pas choisir, c’est-à-dire de citer plusieurs périodes pour rendre le texte de Molière universel.

Cela m’a paru être une grave erreur. Le Don Juan de Molière est impensable en dehors de la 2e moitié du XVIIe siècle. Et c’est pourquoi il a été si mal reçu à l’époque, au Palais-Royal, la cour y voyant une dénonciation du dramaturge qui ne ménage ni la cour ni même Louis XIV qui s’est certainement reconnu dans le libertin, sans conscience, «l’époux du genre humain» qui avait lancé un régiment au monastère qui hébergeait Mlle de La Vallière avec ordre de le détruire si les religieuses ne lui rendaient pas la comédienne.

Peu étonnant, dans ces conditions que la pièce ne fut jouée que deux semaines, avant d’être reprise deux siècles plus tard.

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Don Juan est une comédie (?) qui passe difficilement la rampe, le héros étant détestable. Mais, ce à quoi il s’oppose, l’hypocrisie des gens en place de son époque, l’est tout autant.

J’applaudis les principaux comédiens et Lorraine Pintal, et je rappelle que l’on pourra voir cette pièce, peu jouée, en français, à Stratford, les 12, 14, 17, 19 et 20 octobre. C’est une occasion à ne pas manquer.

Don Juan ou Le festin de pierre, au théâtre Avon, jusqu’au 20 octobre 2006. Billetterie : 1-800-567-1600.

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