Direction démocratique

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Publié 20/04/2010 par Jean-Luc Bonspiel

Chaque génération passe à celle qui la suit un bouquet grandissant de connaissances, véritable flambeau sans cesse plus éblouissant – ce qui explique l’égarement de l’époque que nous subissons, bourrée de savoirs, mais aveuglée par sa brillance et donc sans direction. Et pourtant, grâce aux progrès de la science, nous savons maintenant que le tibia a évolué pour localiser les meubles dans les pièces sombres et que le Père Noël est de bonne humeur parce qu’il sait où vivent toutes les vilaines filles.

Énigmatique devinette

Mais un des mystères qui échappe toujours à l’élucidation scientifique est celui de savoir quel régime politique est le plus susceptible de causer le bonheur chez les humains. Le défi est de taille, comme celui d’identifier la vraie religion, de localiser un moule à tête de veau ou de trouver la clef du compost.

Des diverses teintes et nuances allant du mégafascisme à l’anarchonihilisme, il est aussi difficile de discuter que des goûts et des couleurs. On peut néanmoins affirmer avec un certain degré de confiance que le contribuable moyen aime bien se faire consulter (ne serait-ce que par voie de simulacre) avant de se faire nationaliser son avoir ou son être.

Le plus grand bien

La plus haute mission nationale en ce siècle progressiste est l’imposition de notre concept de civilisation sur ceux qui ne peuvent pas esquiver notre zèle bienfaiteur. Nous leur apportons la démocratie, généralement de force et contre leur gré.

Nous y croyons comme naguère d’autres invoquaient la croix, jurant défendre le bien et le bon. Cette démocratie nouvellement sanctifiée, héritage lointain de la Grèce antique, notre civilisation l’a maintenue dans un état comateux pendant deux millénaires pour la ranimer peu à peu au cours des deux derniers siècles.

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Car il n’y a pas deux siècles que l’Empire britannique a interdit le trafic des esclaves; il n’y a pas un siècle que les femmes ont le droit de vote au Canada.

Mais quelle démocratie?

Presque toutes les juridictions s’entendent pour que le vote représente des humains, bien que des contribuables non résidents aient le droit de vote dans de nombreuses municipalités. Parallèlement, la tendance est à permettre le vote aux non-citoyens nouvellement arrivés.

L’Italie réserve même des sièges dans son parlement pour les représentants d’enfants de l’Italie dispersés sur la face du globe.

Économies de bout de chandelle

Il est intéressant de noter que les médias nous répètent que les Canadiens ne veulent pas d’élections. Dans un pays où les pouvoirs exécutifs et législatifs sont concentrés dans le bureau du premier ministre, qui nomme aussi les juges et la gouverneure générale, on imaginerait un plus vif appétit de démocratie, comme dans le cas de tout fruit défendu.

Mais les Canadiens ne veulent pas une élection, nous répètent les médias. On mentionne les coûts du scrutin, pourtant très inférieurs aux sommes que nous dépensons déjà en Afghanistan.

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Notre budget de belligérance a en effet atteint des sommets inconnus depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Les habitants du Canada ont fondu leurs cuillères pour en faire des balles révolutionnaires pour la dernière fois en 1838. Le genre de liberté qui est accordée gracieusement à une nation par une autre est différent de celle qu’on arrache au prix du sang.

Comme en Grande-Bretagne, nos députés sont progressivement écartés de tout véritable pouvoir et ne sont plus que des figurants, des vedettes locales recrutées par les franchises nationales des clubs politiques.

Helvétie et outre-Adirondacks

En Suisse, la souveraineté réside dans le corps entier de tous les citoyens de la République. Il s’est tenu plusieurs centaines de référendums fédéraux en Suisse depuis l’adoption de la constitution de 1848. Plus près de chez nous, une vigoureuse tradition de démocratie directe fleurit dans le nord de la Nouvelle-Angleterre.

Les descendants de Canadiens- Français expatriés y maintiennent l’héritage yankee du Town Meeting, réunion annuelle où les affaires locales sont décidées par l’assemblée des citoyens.

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Le dernier politicien canadien à oser parler de démocratie directe est Stockwell Day. Il a payé son audace en devenant la cible d’une campagne de ridicule organisée par des humoristes de la télévision d’État, qui proposaient un référendum pour changer son prénom pour celui de Doris.

Lointain écho

La tendance de notre société est à l’élimination des intermédiaires, tant ce sont les humains qui finissent par coûter cher. Les gestionnaires tapent leur propre correspondance, les annonceurs font leur propre mise en ondes et le processus démocratique, lourd de traditions et de rituels, doit s’alléger de son poids le plus inutile: celui de la classe politique elle-même.

Si nous adoptions la démocratie directe au Canada, notre présence militaire en Afghanistan deviendrait bientôt absence et la possession de marijuana n’entraînerait aucune conséquence juridique.

Le résultat immédiat de telles initiatives se compterait en milliards de dollars sauvés, sans parler des vies épargnées par l’amoindrissement des activités violentes de l’armée et du crime organisé.

De nombreux scénarios peuvent expliquer notre situation actuelle. Nos divertissants amis paranoïaques accuseront les véritables maîtres du monde, qui oeuvrent dans l’ombre et le secret, de n’avoir aucune intention de partager le pouvoir. Les cyniques, pour leur part, souligneront que la plutocratie a ses raisons et que nous n’avons jamais été invités à donner notre avis. Puis il y a ceux qui ne savent pas et ne choisissent aucune de ces réponses, un segment sans cesse croissant dans notre société.

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En attendant que la démocratie directe arrive chez nous, on pourra adopter une ou l’autre de ces attitudes transitoires. Le choix, comme disait l’infirmière qui expliquait les mérites relatifs des thermomètres rectaux et oraux, est une question de goût.

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