Devoir de mémoire

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Publié 03/04/2007 par Ronald Charles

Je suis né à Port-au-Prince, Haïti, sous la dictature des Duvalier. J’avais une enfance heureuse. Mais les cauchemars n’allaient pas tarder à arriver. On était en 1980 et je prenais conscience du règne des tontons macoutes, les hommes armés au service de la dictature. Ils terrorisaient la population et me faisaient peur.

Quand le pape arrive en mars 84, il dit ce qui était bouillonnant en mon fort intérieur: il faut que quelque chose change. Adolescent, je voulais le changement. La situation économique de ma famille, du pays, commençait à être intenable. Trois enfants sont assassinés en 1985 par les sbires de Duvalier. Une prise de conscience graduelle s’était produite en moi et dans la population.

1986: Haïti Libéré. Liberté de la parole, liberté des instincts, liberté tout court. Nous sommes pris de court. L’explosion de joie, la rue est différente. C’est le sourire, c’est la colère. Les déchoquages. Point de place aux macoutes. L’euphorie se mêle à la haine. Bonheur que de voir le soleil de la liberté. Mais attention! Les passions sont déchaînées.

L’espoir de 1986 s’effondre très vite comme un château de cartes. En 1990, j’ai voté Aristide. J’ai voté celui qui, à mes yeux, incarnait le changement, la justice sociale, l’espoir de mes rêves concrétisés. J’ai voté un projet d’homme nouveau. J’étais un révolutionnaire.

Au moment du coup d’état de 91, on a volé un projet. Titid parlait trop. Beaucoup trop et avec un langage violent, juste avant d’être déporté. C’était le cauchemar et l’attente. J’étais à l’université. J’ai perdu une année à l’université à cause des troubles politiques.

Le retour à l’ordre constitutionnel n’a rien donné. Le monsieur qui est revenu est made in USA. C’était la grande déception. Celui que le mouvement politique Lavalas nous donnait a un mérite: René Préval ne ment pas. Il reconnaît qu’il est incompétent. La situation socio-politique est dégradée. Le pays n’est qu’une épave. La plaque tournante de la drogue pour les États-Unis.

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Une bourse d’étude me sauve de ce bourbier. Trois ans plus tard, je suis retourné au pays et c’est la grande déception. Je ne pensais pas qu’on pouvait descendre plus bas dans un tel gouffre, dans la barbarie et l’autodestruction. Je me trompais. L’âge de pierre côtoyait, sans nous choquer, le modernisme et la post-modernité.

Sans presque plus d’amis chez moi, en Haïti, je m’y sentais étrange et étranger. Nous sommes en 2003. Je m’étais décidé à prendre l’exil volontaire. Et c’est ainsi que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui: un autre immigrant à Toronto.

Ma vie est devenue une routine interminable: métro-boulot-dodo. C’est très inquiétant de vivre sans passion et de se regarder vieillir comme ça. À regarder ses enfants et sa femme comme des étrangers et à se demander ce qu’ils font là et comment le temps a t-il pu se glisser si rapidement sous nos pieds.

Quelque part je contemple le soleil mais mes racines restent plongés dans le noir. J’apprends que l’amour endure la nuit. Je traverserai l’hiver et l’espoir renaîtra à l’aurore.

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