Des yeux

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Publié 27/02/2007 par Pierre Léon

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

Louis Aragon, Les yeux d’Elsa

Je pense souvent à ses jolis vers d’Aragon quand je regarde les yeux de tous les passagers du métro. Chaque ethnie a sa forme et sa couleur d’yeux. Tous les regards reflètent une multitude de sentiments, confirmant l’adage: l’œil est le miroir de l’âme. Des études récentes ont montré que, pour l’interprétation des émotions, les Américains sont surtout sensibles à l’expression de la bouche. Pour les Japonais ce sont les yeux qui comptent le plus dans ce cas. C’est donc culturel et il semble bien difficile de séparer les rôles de ces deux organes.

Je me suis souvent demandé pourquoi bon nombre d’Asiatiques aimeraient avoir les yeux plus grands. Dans les magasins chics, les mannequins de Tokyo comme ceux de Beijing, ont des yeux occidentaux. Et là, bien des jeunes filles rêvent d’avoir assez d’argent pour se faire agrandir les yeux. C’est dommage. Les petits yeux me semblent malicieux, coquins. Et est-ce que le charme ne vient pas de la façon dont on use de son regard?

Les psychologues ont étudié les rapports de l’œil avec les émotions et les sentiments. Mais chacun sait reconnaître la colère ou la méchanceté dans les sourcils froncés, la pupille rétrécie, l’intensité du regard. Il est curieux que la joie se manifeste aussi par un rétrécissement de l’œil, mais il est alors accompagné de la marque labiale du sourire ou du rire. L’étonnement fait ouvrir de grands yeux. La complicité les ferme. La connivence veut un clin d’œil.

Dans le genre métaphorique, le dragueur «fait de l’œil». Une chose vite accomplie l’est en «un clin d’œil», métonymie qui témoigne de la vivacité de l’œil. C’est un bien précieux. On dit: «J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux». Ceux qui ont une vue exceptionnelle ont un œil de lynx, de vrai aigle ou de faucon. Mais bien que le loup et le chat soient dotés d’une vue nocturne, ils ne sont pas entrés dans une comparaison imagée pour l’homme, aveugle sans lumière.

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La superstition attribue «le mauvais œil» à toutes celles et ceux soupçonnés de jeter des sorts. C’était déjà comme ça dans la Bible et l’œil de Jéhovah a poursuivi Caïn jusqu’à Victor Hugo. Par contre, en Afrique du Nord, et dans bien d’autres cultures, les petits enfants courent après la touriste qui a les yeux bleus, parce qu’ils portent bonheur.

À l’école, les yeux bleus étaient favorisés par la rime dans la formulette chantée sur un air de comptine:
Les yeux bleus iront aux cieux,
Les yeux noirs au purgatoire,
Les yeux verts en enfer,
Les yeux marron… dans le trou d’un cochon!

Mais pourquoi a-t-on choisi le bœuf, pour baptiser la petite ouverture ovale des anciennes bâtisses: un «œil de bœuf»? Pourquoi dit-on de quelqu’un de brave: «Il n’a pas froid aux yeux!» Et pourquoi encore, quand vous ne croyez pas ce qu’on vous raconte, envoyez-vous promener votre interlocuteur avec un: «Mon œil!» alors que les anglophones disent «My foot» ou autre chose, traduite littéralement par «mon cul!», chez la Zazie de Queneau.

Comme quoi on peut tout mettre dans un paradigme d’injures! Le contexte et l’intonation feront le reste.

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