Des oiseaux d’hiver

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 19/12/2016 par Martin Francoeur

Vous avez probablement dans votre entourage des personnes qui fuient l’hiver et qui trouvent refuge quelque part au chaud pendant qu’ici, on pâtit sous zéro. Ils vont dans le Sud, en Floride surtout, mais aussi en Arizona, au Texas, au Mexique, en République dominicaine… Vous êtes peut-être même une de ces personnes qu’on appelle souvent «snowbirds», faute de mieux.

Le terme anglais est très répandu dans l’usage. Aucun équivalent français ne semble en voie de le supplanter.

Le dictionnaire Webster définit le «snowbird» ainsi: «someone who spends the winter months in a warm place», que l’on pourrait traduire par «quelqu’un qui passe les mois d’hiver dans un endroit chaud».

En français, il faut fouiller dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) pour trouver une proposition de terme français: hivernant. Le GDT définit ainsi l’hivernant: «personne qui, l’hiver, quitte son lieu d’habitation pour séjourner dans un pays ou une région au climat plus doux».

C’est tout de même audacieux parce que les dictionnaires usuels de langue française ont une définition légèrement différente du mot hivernant.

Publicité

Le Petit Larousse donne cette définition: «personne qui séjourne quelque part pendant ses vacances d’hiver, en particulier dans une station de sports d’hiver». Pour le Larousse, donc, l’hivernant court plutôt après le froid, tandis que pour le GDT il le fuit.

Le Petit Robert se limite à une définition plus large: «personne qui séjourne dans un lieu pendant l’hiver (opposé à estivant)». Et on donne comme exemple: «les hivernants de la Côte d’Azur», ce qui ouvre la porte à une définition incluant les cieux plus cléments.

On mentionne aussi un sens plus rare: «personne qui séjourne dans une station de sports d’hiver», ce qui nous rapproche de la définition unique que les gens du Larousse ont concoctée.

La langue française parlée au Québec connaissait déjà le mot hivernant mais dans un tout autre sens. Anciennement, l’hivernant venait en Nouvelle-France pour une année, ce qui le distinguait de l’habitant, qui venait pour s’y installer.

Un dictionnaire canadien-français de la fin du 19e siècle définissait ainsi l’hivernant: «Dans les premiers temps de la colonisation du pays, l’hivernant était l’engagé des compagnies de traite qui venait passer un hiver au Canada. Dans la suite, ce mot reçut une application plus étendue, et désigna tout colon ou engagé quelconque qui ne retournait en France qu’après plusieurs années de service dans la colonie.»

Publicité

Le sens a donc complètement changé au fil des ans, pour en arriver à désigner ces personnes, souvent retraitées, qui migrent vers le Sud pendant quelques semaines, voire quelques mois.

Le Grand Dictionnaire terminologique mentionne donc qu’on peut très bien dire «hivernant» et «hivernante», mais aussi «touriste hivernant» ou «touriste hivernante».

Puis on mentionne qu’il existe un terme «utilisé dans certains contextes»: hirondelle d’hiver. J’ignore de quels contextes il peut bien s’agir, mais c’est certainement une tentative de traduction plus fidèle à la notion de «snowbird». On dit que «hirondelle d’hiver» a l’avantage d’appartenir au même registre d’emploi que l’emprunt, mais il est faiblement attesté.

Quant à «snowbird», on le dit «difficilement intégrable au système du français» et on suggère de le remplacer par hivernant, «qui est courant dans le vocabulaire du tourisme».

Le GDT mentionne enfin le terme «retraité-migrateur», qui a déjà été proposé comme équivalent français de snowbird. Mais «cette proposition n’a pas été retenue parce que l’équivalent fait référence exclusivement aux personnes retraitées, alors que le concept est beaucoup plus général», nous disent les terminologues du GDT.

Publicité

Enfin, notons que le mot «hivernant» vient évidemment du verbe «hiverner», qui signifie «passer l’hiver à l’abri, dans un lieu quelconque».

L’histoire nous apprend que ce mot a d’abord été employé dans un contexte militaire, alors que les troupes devaient passer l’hiver dans un lieu protégé en attendant la belle saison. Hiverner pouvant également se dire d’animaux qui vont se réfugier dans un abri ou dans un lieu tempéré sans être pour autant en hibernation, on peut penser que ce croisement sémantique a pu favoriser la confusion avec le verbe hiberner, qui s’emploie en parlant de certains animaux pour signifier qu’ils passent l’hiver dans un état d’engourdissement ou de profonde léthargie. Comme les ours ou les marmottes.

Heureusement que les hivernants ne sont pas des hibernants parce qu’ils iraient au soleil absolument pour rien!

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur