Des murailles

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Publié 12/12/2006 par Pierre Léon

Autrefois, les paysans des régions calcaires entouraient leurs champs de murs, faits des pierres dont on débarrassait le terrain à cultiver. Dans mon enfance tourangelle, ces murs mal joints, à la glaise, abritaient toutes sortes de bestioles qui se régalaient les unes des autres: fourmis, guêpes, escargots, lézards, serpents, mulots.

Les moineaux aussi faisaient leurs nids dans les anfractuosités des vieux murs. Mais la vie moderne a transformé les petites propriétés en vastes domaines à culture intensive. Les jolis murs gris ont disparu avec toute leur faune. Les insecticides ont remplacé les oiseaux.

À l’époque féodale, les seigneurs faisaient construire par les manants des murailles, autour de leurs châteaux-forts et des villages qui cherchaient leur protection. Les fortifications destinées à protéger contre l’ennemi ont proliféré dans toute l’Europe médiévale et jusqu’à l’époque où l’artillerie moderne les ont rendu inutiles.

Au XVIIIe siècle, Paris, vite imité ailleurs, fit construire la barrière des fermiers généraux, obligeant les gens qui voulaient entrer dans la ville à passer par une porte d’octroi. On percevait là un droit d’entrée. Les Parisiens mécontents disaient: «Les murs murant Paris rendent Paris murmurant».

Ce sont les Chinois qui ont construit la plus impressionnante muraille, deux siècles avant Jésus-Christ. Dix mètres de large, quinze de haut, elle serpente sur des crêtes montagneuses, sur plus de six mille kilomètres. Des centaines de milliers d’ouvriers, esclaves ou prisonniers, y ont travaillé pendant plus d’un siècle. On a appelé cet immense chantier «le plus grand cimetière du monde». Il n’a guère empêché les hordes mongoles, venant du nord, de venir régulièrement piller la Chine. Il aura surtout servi à attirer les touristes. Si on arrive à se débarrasser de la foule, en allant assez loin – ce qui est facile vu la route chaotique – c’est un spectacle d’un rare plaisir que de voir se dérouler ce mur sans fin dans un paysage sauvage. Allez-y au soleil couchant.

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Le «mur de la honte» – comme on appelait celui construit, en 1961, par les Allemands de l’Est et les Soviétiques – avait 160 kilomètres de barbelés électrifiés, renforcés plus tard par un mur de brique et de béton. En 40 ans, il a entraîné 3000 arrestations et causé la mort de 588 fuyards qui voulaient passer à l’Ouest. Les Israéliens, eux, en sont à leur sept centième kilomètre de mur en béton autour de la Cisjordanie. Leurs ancêtres hébreux, partis à la conquête du pays de Canaan, avaient trouvé un truc infaillible pour faire tomber les murailles de Jéricho. Il a suffit a Josué, successeur de Moïse, de sonner un bon coup de trompette pour que tout s’écroule. Il y avait du Jéhovah là-dessous. Les Palestiniens n’arriveront jamais à pareil résultat avec Allah. Ce n’est pourtant pas la foi qui leur manque, à eux non plus.

Voilà maintenant que les Américains construisent une super muraille électrifiée, bourrée de gadgets mortels, à la frontière du Mexique. La traversée illégale de cette frontière a coûté la vie, chaque année, a plus de 500 Mexicains. La nouvelle muraille technologique arrêtera-t-elle le massacre? Mais les plus à plaindre seront les grands patrons texans. Où trouveront-ils désormais leurs chicanos si bon marché?

La ville de Padoue, où Saint Antoine n’a plus guère d’efficacité, est en train de murer un quartier de méchants étrangers. C’est la solution d’avenir pour tous les pays riches où les faubourgs commencent à faire peur. Un monde avec de solides murailles partout. Nous voilà revenus au bon temps de la féodalité. Seule solution à la paix dans le monde?

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