Des milliers de kilos de viande jetés pour rien?

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Publié 12/10/2012 par Lina Dib (La Presse Canadienne)

12 oct 2012 16h33

OTTAWA – Le récent rappel de milliers de kilogrammes de viande produite par XL Foods et leur destruction n’était pas nécessaire, selon certains scientifiques.

Des spécialistes en hygiène alimentaire estiment excessive la gestion de cette crise par le gouvernement fédéral. Ils rappellent que la bactérie en cause peut être détruite par la simple cuisson de la viande, à la bonne température.

Ils voient dans les événements des derniers jours une réaction motivée par la politique plus que par la science.

« La viande qu’on est entrain de jeter dans la poubelle actuellement, qui contient soi-disant l’E. coli, tu la prends, tu la cuis comme il faut, il n’y a aucun problème. Elle est mangeable. C’est des bonnes protéines », se scandalise le docteur Jean Kamanzi au bout du fil.

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Le Dr Kamanzi est responsable de l’hygiène alimentaire pour l’Afrique, à la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Il a été à l’emploi de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), directeur à la Division de la microbiologie alimentaire et de l’évaluation chimique. Aujourd’hui en poste à Harare pour l’organisme onusien, ce Canadien se désole de tout ce gaspillage de viande.

« C’est une hystérie collective. On jette les viandes, on jette tout. Peut-être on est dans un pays riche et on peut se permettre de le faire et ne pas prendre de risques du tout, mais ces risques là, on les prend tous les jours quand on manipule les viandes, » estime le scientifique.

Il rappelle que la bactérie en cause, l’E. coli 0157:H7, est difficile à détecter, presque impossible à éliminer des abattoirs, mais elle ne survit pas à une cuisson adéquate à 71 degrés Celsius.

Même analyse à l’école de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal où le docteur Sylvain Quessy est vice-doyen et enseigne l’hygiène des viandes. Le Dr Quessy souligne aussi qu’une douzaine de cas d’intoxications à cette bactérie en un mois n’est pas une statistique alarmante d’un « point de vue d’évaluation de risques ».

« Tout le monde s’inquiète pour un nombre de cas qui n’est pas excessif par rapport à ce à quoi on devrait s’attendre normalement », se désole le Dr Quessy, en entrevue téléphonique.

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Selon lui, les mesures prises par le gouvernement fédéral pendant cette crise ne rendent pas la viande « plus ou moins sécuritaire qu’elle l’était il y a un mois ou six mois ».

« Ce qu’on dit aux gens, c’est encore vrai dans ce cas-ci comme ça l’était avant, vous devez cuire votre viande correctement (…) Lavez vous les mains et lavez les instruments où la viande crue a résidé et vous éliminez le danger. »

Le Dr Quessy comprend cependant que l’ACIA a pour rôle de rassurer la population, ce qui aurait motivé, d’après lui, la réaction excessive.

Au gouvernement, c’est le ministère de la Santé qui est chargé de défendre la gestion de cette crise. Vendredi, il a répondu aux questions de La Presse Canadienne par courriel: « De récentes recherches montrent que de nombreux Canadiens n’appliquent pas toujours toutes les recommandations en matière de manipulation sûre des aliments. À titre d’exemple, des données montrent que la plupart des Canadiens n’utilisent pas de thermomètre numérique pour aliments lorsqu’ils cuisinent. C’est pourquoi, malgré le fait que la cuisson et la manipulation adéquates des aliments contribuent à prévenir les maladies d’origine alimentaire, le meilleur moyen de se protéger est de ne pas manger de produits rappelés du tout. »

L’usine peut reprendre ses activités

L’usine albertaine au coeur du rappel massif de boeuf en raison d’une contamination à l’E. coli pourra reprendre une partie de ses activités.

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L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a toutefois affirmé vendredi qu’aucun produit ne quittera l’usine de XL Foods à Brooks, en Alberta, avant que l’organisme fédéral n’ait approuvé sa réouverture complète.

L’usine a été fermée le 27 septembre dans le cadre d’un vaste rappel de ses produits de boeuf à travers le Canada et dans plus de 20 pays, dont les États-Unis.

Selon l’ACIA, l’usine a obtenu la permission de reprendre ses activités de transformation de la viande afin que les inspecteurs puissent vérifier que les mesures prises pour éliminer la bactérie E. coli ont été efficaces.

Harpreet Kochhar, un porte-parole de l’agence fédérale, a indiqué que l’usine avait été nettoyée et aseptisée, et que les problèmes de condensation, de drainage et d’accumulation de glace avaient aussi été réglés.

Les employés reprendront le travail sous le regard des inspecteurs, dont le nombre a été augmenté. Les carcasses de 5100 boeufs qui sont déjà à l’intérieur de l’usine seront dépecées, mais aucune autre bête ne sera abattue. Des tests pour retracer la bactérie E. coli ont été effectués sur les animaux morts, et 99 pour cent d’entre eux ne sont pas contaminés, a souligné M. Kochhar. « S’il arrive que les inspecteurs de l’ACIA relèvent des irrégularités en rapport avec les mesures d’hygiène, ils suspendront les activités aussitôt. »

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La première ministre de l’Alberta, Alison Redford, a rejeté, jeudi, la demande du président du local 401 des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), Doug O’Halloran, qui réclame une enquête publique.

Mme Redford a dit considérer plus important de comprendre ce qui s’est produit chez XL Foods. Selon elle, la province a besoin de travailler de concert avec le ministère fédéral de l’Agriculture, l’ACIA, XL Foods afin de trouver des façons d’améliorer les règles d’hygiène.

L’accent sera mis sur des mesures de contrôle plus sévères pour identifier la bactérie. Plus de tests seront effectués sur des échantillonnages et la surveillance de l’hygiène et de la propreté des lieux sera accrue.

La compagnie XL Foods est le deuxième plus important grossiste en viandes au pays et traite plus du tiers du boeuf au Canada.

Le directeur du secteur des viandes à l’ACIA, Richard Arsenault, a déclaré que ce qui s’est produit chez XL Foods doit servir de leçon pour l’avenir. L’agence fédérale n’abaissera pas les critères d’hygiène qui sont présentement en place à l’usine de Brooks. Le but est d’éliminer la présence de la bactérie E. coli de la viande. « Nous ne voulons pas que ce qui est arrivé se reproduise dans trois ou six mois. »

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Selon le syndicat, les problèmes sont beaucoup plus profonds. Lors d’une conférence de presse, mercredi, le président des TUAC Canada, Doug O’Halloran, a fait état des conditions de travail des employés qui doivent souvent tourner les coins ronds afin de répondre aux exigences de rendement de l’entreprise. Ce qui a pour conséquence de mettre la santé des consommateurs de viande en danger.

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