Découverte à Rome: «une chapelle Sixtine médiévale»

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Publié 22/05/2007 par Gabriel Racle

À Rome, non loin du Colisée, se trouve un bâtiment aux allures de forteresse qui «n’a apparemment rien de passionnant», selon un journaliste. C’est le monastère des Quatre-Saints-Couronnés, un ensemble architectural complexe remontant probablement au Ve siècle, qui devrait son nom à quatre sculpteurs chrétiens, martyrisés sous l’empereur Dioclétien (284- 305) pour avoir refusé de faire une statue du dieu Esculape.

Ce lieu était connu pour sa chapelle Saint Sylvestre, qui conserve des fresques de la fin du XIIIe siècle, dont les onze panneaux représentent la «Donation de Constantin», un document par lequel l’empereur Constantin Ier aurait donné au pape Sylvestre la primauté sur les églises d’Orient et le pouvoir impérial sur l’Occident. C’était un faux, comme le démontrera un érudit du XVe siècle.

Une autre célébrité de ce lieu est son cloître, récemment restauré par le Fonds mondial pour les monuments (FMM). Construit à partir de 1084, le cloître repose sur 96 colonnes et 10 pilastres de marbre. C’est un bel exemple du raffinement de l’architecture médiévale romaine. D’après Bertrand du Vignaud, président du FMM pour l’Europe, il «constitue un ensemble architectural exceptionnel ayant traversé les siècles», «il più bello della città», le plus beau de la ville, écrivait il Giornale.

Mais le monastère vient d’ajouter une nouvelle célébrité à sa réputation, une découverte qui suscite l’enthousiasme des milieux artistiques. Le monastère comporte une vaste salle, l’Aula gotica, la salle gothique. Dès 1989, à l’occasion d’autres travaux, Andreina Draghi, historienne de l’art et directrice à la surintendance pour le patrimoine du Lazio, intriguée par cette salle, pressentait que quelque chose devait se cacher sous les enduits et le faux marbre des murs, «la presenza di qualcosa di straordinario», selon la Repubblica.

Des sondages lui donnèrent raison et sous les sept couches de peinture des murs et de la voûte se cachait bien un trésor artistique extraordinaire, enfoui depuis des siècles: des fresques exceptionnelles par la qualité de leur facture et de leurs couleurs, protégées sous leur revêtement.

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Les fresques recouvrent sur 335m2 les parois et les voûtes de la salle. Elles représentent les mois, les saisons, des paysages marins, la personnification des vices et des vertus, les béatitudes, le zodiaque, les constellations, les vents, le soleil, la lune, des figures légendaires, etc. Une iconographie encyclopédique, dotée d’un message politique, puisque, d’après les spécialistes, ce cycle exalterait la primauté du pape sur l’empereur Frédéric II.

Sur le plan artistique, ces fresques sont remarquables, avec leurs couleurs bleu, vert et pourpre, soulignées par des filets d’or, le tout d’une grande fraîcheur. Il a fallu neuf ans à Andreina Draghi et à son équipe pour mettre au jour cette splendeur sans précédent. Comme l’écrivait un journal italien dans un titre exubérant: Un risultato eccezionale: una meraviglia!

Les spécialistes lui font écho qui n’hésitent pas à parler de «la Cappella Sistina del Medioevo», une chapelle Sixtine médiévale. Et le ministre italien de la Culture de s’exclamer: c’est «uno dei luoghi più belli del mondo», un des plus beaux lieux au monde.

Mais c’est aussi une révolution dans l’histoire de l’art, comme l’écrit Laura Larcan dans la Repubblica. Ces fresques du XIIIe siècle, peintes entre 1230 et 1250, comblent un grand vide en «éclairant d’un jour nouveau la peinture médiévale italienne», d’ajouter le ministre.

Jusqu’alors, Florence était tenue pour la capitale artistique de la Pré-Renaissance. Rome reprend désormais sa place. «La découverte permet de corriger l’histoire de la peinture qui faisait de Rome un simple satellite de Florence», écrit J.-J. Bozonnet, correspondant romain du Monde.

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«Avec la découverte de ce cycle de fresques, la balance se rééquilibre en faveur de Rome. On lit son rôle historique à Assise, concentré des idées florentines et romaines», d’expliquer l’historien d’art Francesco Gandolfo, faisant allusion aux fresques de l’église d’Assise, peintes par Cimabue. Et il ajoute: «Nous savons maintenant pourquoi Cimabue est venu à Rome en 1272.»

Cimabue est regardé comme l’artiste du renouveau de la peinture italienne. «Il donna les premières lumières à la peinture […] en rendant les draperies, les vêtements et les autres détails plus vivants et naturels, plus gracieux et souples que dans la manière grecque», écrivait Vasari (1511-1574) dans ses Vite de più eccellenti Architetti, Pittori et Scultori.

On ne sait qui a peint ces fresques, mais elles sont attribuées au troisième Maître d’Agnani, cité médiévale entre Rome et Naples, célèbre par les fresques énigmatiques du XIIe siècle de la crypte de sa cathédrale, qui donnent une image de la place de l’homme dans l’univers. Il semblerait que les peintres d’Anagni soient donc aussi passés par Rome. On entrevoit ainsi une lignée artistique insoupçonnée jusqu’ici, qui met Rome sur le même pied que Florence.

Si, comme le dit un ancien proverbe, «Tous les chemins mènent à Rome», nul doute que pour les visiteurs de Rome, tous les chemins mèneront désormais à la Chiesa dei Santi Quattro Incoronati del Cielo, ouverte depuis le mois de mars.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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