De bonnes occasions

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Publié 20/01/2009 par Pierre Léon

C’est l’occasion qui fait le larron!
(Proverbe)

On cambriole de plus en plus dans le monde. Parfois, comme dans le cas récent de la joaillerie Harry Winston, il s’agit d’habiles professionnels. Ceux-là, déguisés en femmes («du monde», sans doute), dérobent quelques bijoux – 85 millions en euros, en plein jour, avenue Montaigne, à Paris. Parfois une porte ou une fenêtre restée ouverte fournissent l’occasion facile qui tente le larron. Toronto, longtemps réputée comme une ville sans voleurs, en a maintenant son lot chaque jour.

Je me rappelle toujours avec attendrissement le marchand de journaux d’une petite rue de Paris près de la Seine, dans les années 50. Il installait une pile d’exemplaires du quotidien Le Monde, sur le rebord d’une fenêtre, au rez de chaussée d’un immeuble. À côté des journaux, il mettait une boîte avec l’inscription: «Je reviens de suite. Servez-vous et prenez la monnaie dans la boîte, si nécessaire.»

Pour ne pas perdre de temps à attendre le client, il refaisait le monde (l’autre!) sur le zinc d’un bistrot voisin, sur la pittoresque Place Maubert. Le soir, ses journaux vendus, il venait récupérer son maigre bénéfice. Il a pratiqué ce petit commerce durant une dizaine d’années sans que personne ait jamais profité de son absence pour lui voler sa caisse. Il y avait pourtant des clochards dans les parages. Mais il faut dire que, en ce temps là, ils se contentaient de faire les poubelles, volant ou mendiant peu. On n’a jamais su pourquoi ce vendeur de journaux si confiant avait disparu. Un beau jour, des sans scrupules l’auront-ils ruiné?

À la même époque, d’après guerre, une kyrielle de brocanteurs a envahi la campagne française. Ils jouaient les rabatteurs pour les antiquaires des grandes villes, cherchant l’occasion rare qu’ils acquerraient à vil prix, chez un fermier naïf. Mais parfois aussi le paysan faisait payer cher un vieux bahut croulant pour s’acheter un meuble fonctionnel, en formica bon marché! L’histoire suivante illustre se genre de tractation où le plus malin n’est pas toujours celui qu’on pense.

Un brocanteur s’arrête dans une ferme sous prétexte d’acheter une douzaine d’œufs.
– Mon pauv’monsieur, dit le vieux paysan, vous tombez ben mal.
– Pourquoi donc?
– Nos poules pondent pus.
– Vos poules ne pondent plus!
– Oh! pus guère. On n’a quasiment pus d’quoi faire une omelette chaque semaine.
– Une douzaine, combien la vendriez-vous?
– Ça a encore augmenté, d’après le journal.
– Oui, tout augmente, mais dites-moi votre prix…
– Six francs, Mais on en trouve pus à ce prix-là aujourd’hui!
– Bon. Voilà dix francs.
– C’est que ça mange toute c’te volaille!
– Allons, douze francs?

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Le bonhomme empoche les douze francs et dit qu’il va chercher tout de même la douzaine d’œuf. Mais que c’est ben pour faire plaisir.

Pendant l’absence du paysan, notre brocanteur fait le tour de la pièce, jette un coup d’œil dans celles d’à côté. Bien déçu, il constate qu’il n’y a vraiment aucun meuble, pas un bibelot, pas même une vieille pendule présentant un intérêt quelconque. Mais alors qu’il s’en va avec sa douzaine d’œufs, il avise un petit chat, en train de laper du lait dans une coupe en étain, ornée de pierres taillées, peut-être précieuses. C’est un objet du Moyen âge ou de la Renaissance, qui est passé à travers les siècles sans égards pour sa valeur. Le brocanteur jubile. Il va tenter une stratégie pour éviter de faire monter le prix de la merveille qu’il vient de découvrir. Il s’arrête, caresse le chat, susurrant tout ce qu’il convient de dire d’attendrissant en pareille circonstance.
– Oh! Qu’il est mignon! Je l’achète!
– Mon pauv’monsieur, un petit chat comme ç’ui-là, ça a pas de prix!
– Dites-moi le vôtre!
– C’est une espèce rare, mâtinée de persan. Regardez ses yeux!
– Il est beau. Combien?

Les enchères montent et finalement le brocanteur paie une petite fortune. Mais il a une idée derrière la tête, la coupe! Il emporte le chat, fait mine de s’en aller et revient, l’air d’avoir oublié.
– Je ne sais pas où j’ai la tête! Votre petit chat, il a l’habitude de boire dans cette vieille coupe. Je vous la prend, il sera content de la retrouver pour boire son lait.
– Ça se peut pas.
– Et pourquoi donc? Vous pouvez bien m’en faire cadeau après le prix que vous m’avez vendu votre chat.
– Non, mon pauv’monsieur. Une coupe comme celle-là, j’m’en séparerai jamais. A’m’fait vendre au moins vingt chats par an!

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