Croyons-nous à l’égalité des femmes?

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Publié 05/10/2010 par Élisabeth Larsen - Action ontarienne contre la violence faite a

La décision rendue par la juge de la Cour supérieure de l’Ontario, Susan Himel, marquait hier un autre jalon dans la réflexion collective en cour au Canada sur la question de la prostitution. La juge Himel donnait 30 jours à la Couronne pour faire appel de sa décision de rendre inconstitutionnels les articles de loi criminalisant la prostitution. Il est donc tout à fait possible qu’il n’y ait bientôt plus de loi interdisant de communiquer, de vivre des produits de la prostitution ou de tenir une maison de débauche (articles de loi 210, 212(1)(j), et 213(1)(c) du Code criminel).

Les échos qui émanaient des média hier représentaient des points de vue opposés de la situation: d’une part, les réactions des tenants conservateurs (au sens large du terme) de la criminalisation de la prostitution et d’autre part, les réactions de certaines défenseur-es des droits et libertés des femmes impliquées dans l’industrie du sexe.

Ce portrait manque terriblement de nuances et évacue des aspects essentiels de la question. Il importe ici de ramener d’une part, la question du droit des femmes à la sécurité qui est au cœur de l’argument anti-criminalisation, et d’autre part, la question du droit des femmes à l’égalité qui ne figure pas dans les comptes rendus médiatiques qui nous sont proposés.

Pour ce faire, nous aurons recours à l’impressionnant rapport préparé par Shelagh Day, activiste féministe et récipiendaire de la Médaille de la Gouverneure Générale commémorant l’affaire « personne », intitulé La prostitution : une violation des droits humains des femmes pauvres. (Juin 2008, disponible à www.francofemmes.org/aocvf).

La contestation judiciaire de Terri Jean Bedford, Amy Lebovitch et Valerie Scott, est fondée sur l’argument selon lequel la décriminalisation complète de la prostitution offrira aux prostituées des lieux de travail plus sûrs et diminuera leur vulnérabilité aux préjudices physiques et psychologiques associés à la prostitution.

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Si le rapport de Shelagh Day souligne l’ampleur de cette violence, il réfute l’argument selon lequel la décriminalisation vient accroître la sécurité des femmes: Les résultats obtenus dans les pays qui ont décriminalisé ou légalisé la prostitution n’étayent pas la conclusion selon laquelle cette approche réduit les torts faits aux femmes ni la prostitution de rue.

Ce mode de pensée repose sur l’idée que si les femmes peuvent légalement se prostituer à l’intérieur, elles vont le faire parce que c’est plus sûr.

Or, dans les pays comme les Pays Bas et l’Australie, la légalisation a eu un effet opposé. Elle encourage et normalise la prostitution et augmente le nombre de femmes qui se prostituent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Elle fait aussi des pays où a eu lieu la légalisation des destinations plus attrayantes pour les trafiquants. Nulle part la décriminalisation ou la légalisation n’a eu l’effet que les défenseurs de cette approche juridique recherchent.

La prostitution touche tout particulièrement les femmes les plus vulnérables: les femmes pauvres, les femmes autochtones, les femmes racialisées. La question ne peut être analysée sans qu’on ne considère l’inégalité sociale, économique, politique et juridique de ces femmes. Shelagh Day affirme à ce sujet: «Le concept d’égalité juridique rejette l’idée selon laquelle l’égalité des sexes consiste simplement à accorder le même traitement aux hommes et aux femmes dans une circonstance donnée.

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Il atteste plutôt du fait que les femmes, comme groupe, ne sont pas égales aux hommes sur les plans politique, économique, social ou juridique et il incite à prendre en compte cette inégalité lorsqu’on évalue la validité des lois et des politiques… Les femmes travaillent depuis des siècles maintenant à abolir la notion patriarcale selon laquelle elles sont secondaires, de moindre importance que les hommes et subordonnées à eux, leur principale signification aux yeux des hommes étant celle de marchandises sexuelles et de porteuses d’enfants… La prostitution concrétise la relation qui fait des femmes un bien de consommation pour les hommes.

C’est une transaction dans laquelle les femmes perdent leur identité comme personnes, où elles souffrent d’un manque d’égalité… En fait, la prostitution est un déni de l’égalité des femmes, et l’achat d’une femme à des fins sexuelles ou sa vente par quelqu’un d’autre à des fins sexuelles porte atteinte à son droit à l’égalité.»

La vente d’une femme à des fins sexuelles est incompatible avec les normes nationales et internationales en matière de droits de la personne concernant le travail «librement choisi», les conditions de travail «justes et favorables», incompatible aussi avec la notion de non-discrimination qui est au cœur de la législation nationale et internationale en matière de droit de la personne.

Si les notions de choix et de consentement invoquées par les défenseures de la décriminalisation sont incontournables pour créer des conditions de véritable égalité pour les femmes, la présence de choix ou de consentement des femmes à s’engager dans la prostitution ne peut être évaluée adéquatement tant que la pauvreté et le racisme sont au cœur de la prostitution, tant que la liberté de consentir n’est pas exercée dans un contexte de véritable égalité.

La réflexion collective dans laquelle nous sommes engagées ne doit pas perdre de vue le fait que la violence faite aux femmes est au cœur du problème de la prostitution et que la décriminalisation ne vient pas assurer la sécurité des femmes.

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Cette réflexion doit aussi poser une question fondamentale: Croyons-nous au droit à l’égalité des femmes, croyons nous à l’égalité des femmes les plus pauvres ? Les Canadiens et les Canadiennes vont-ils accepter que les femmes les plus pauvres, ici et partout dans le monde, puissent être traitées comme des marchandises sexuelles, vendues et achetées à une échelle qui n’a encore jamais été vue, pour la gratification sexuelle des hommes ?

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