Corruption: une firme s’est dénoncée elle-même

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Publié 19/03/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 15h13 HAE, le 21 mars 2013.

MONTRÉAL – La firme de génie Dessau, qui a participé à un système de collusion à Montréal dans les années 2000 et qui a fait du financement illégal de partis politiques, n’a jamais eu peur de se faire prendre, a admis jeudi son vice-président principal, Rosaire Sauriol.

«On n’a pas eu peur», a-t-il avoué devant la Commission Charbonneau.

Interrogé par le commissaire Renaud Lachance qui voulait savoir s’il se disait, en plus, que les peines n’étaient pas importantes pour ce genre d’infractions et d’actes, M. Sauriol a indiqué que «les conséquences sur la réputation de l’entreprise sont plus….», l’ont davantage influencé que les peines prescrites. Ces peines, a-t-il dit, constituaient tout de même «un élément» qui a joué.

Dessau a cessé de participer aux stratagèmes, a fait une déclaration volontaire à l’impôt, s’est doté d’un code d’éthique.

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C’est «parce que vous sentiez la soupe chaude», a lancé au témoin la juge France Charbonneau, qui a aussi qualifié cette déclaration volontaire d’«opération de marketing» pour Dessau.

Mais M. Sauriol a répondu que Dessau a 5000 employés, qu’elle devait penser à l’avenir et qu’il «était dans l’intérêt de tous» de divulguer ainsi au fisc sa fausse facturation.

Corruption déductible d’impôt

M. Sauriol a admis avoir fait pour 2 millions $ de fausse facturation pour dégager de l’argent comptant afin de contribuer financièrement aux partis politiques. Les employés qui faisaient des dons étaient ensuite remboursés par l’entreprise. Et le tout était imputé au département des ventes et marketing.

«Vous corrompez du monde et c’est déductible d’impôt», s’est exclamé l’avocat de la Ville de Montréal, Me Philippe Berthelet. Le témoin a dû acquiescer.

«En 2000, vous saviez que vous commettiez des infractions au Code criminel?» lui a demandé l’avocat, en contre-interrogatoire.

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«Oui, on l’a dit», a répondu le témoin.

«C’est bon de l’entendre», a rétorqué l’avocat de la Ville de Montréal.

Me Berthelet a ensuite tenté de calculer, avec le témoin, combien la collusion entre firmes de génie-conseil avait coûté aux Montréalais en prix gonflés.

Mais M. Sauriol s’est fait réticent, affirmant qu’on ne pouvait conclure à des prix nécessairement gonflés, faisant une comparaison avec le prix du baril de pétrole qui grimpe, puis baisse par la suite, sans qu’on conclut à des prix gonflés.

«Ça a coûté plus cher aux Montréalais de 12 millions $ votre collusion. Ça ne vous gêne pas, ça?», s’est exclamé Me Berthelet.

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«C’est votre hypothèse», a répondu le vice-président principal de Dessau.

Sollicitée par les partis

On a aussi appris, jeudi, que M. Sauriol a offert un certificat cadeau de 5000 $ pour un voyage à l’ancien responsable du financement du parti Union Montréal, Bernard Trépanier, pour ses 70 ans.

Pourtant, M. Sauriol avait témoigné du fait que si la firme faisait des contributions politiques, ce n’était pas de gaieté de coeur, mais parce qu’elle était sollicitée de façon pressante par les partis politiques.

Et Dessau a aussi fait affaires avec une firme de M. Trépanier. Dessau lui a confié un mandat de développement des affaires, d’organisation d’un tournoi de golf et de représentation de la firme hors de Montréal.

«Vous trouvez approprié de faire affaires avec lui en plus de ce type d’activités-là pour qu’il vous représente hors de Montréal? C’est ce genre de personne-là que vous voulez qui vous représente hors Montréal?» s’est étonné le commissaire Lachance. Le témoin a acquiescé.

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L’avocat de l’Association de la construction du Québec, Me Daniel Rochefort, de son côté, s’est attardé à démontrer qu’il avait contrevenu aux codes d’éthique de sa propre entreprise et de l’Ordre des ingénieurs. Le code de Dessau dit en effet que la firme a développé une relation de confiance avec ses clients depuis 50 ans.

«Si vous avez des recommandations sur notre code d’éthique, vous êtes les bienvenus hein?» a lancé M. Sauriol.

«La première serait peut-être de les suivre», a rétorqué la juge France Charbonneau.

Par ailleurs, M. Sauriol a nié qu’il y ait eu collusion pour obtenir des contrats dans le dossier de la construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), un dossier pourtant sous la loupe des autorités policières pour lequel il y a même eu des accusations. «Nous sommes un sous-traitant de SNC-Lavalin, alors comme sous-traitant de SNC-Lavalin, la réponse c’est non.»

Le maire ne savait rien et ne dirigeait rien

L’ex-maire de Montréal, Gérald Tremblay, ignorait tout du stratagème de collusion entre les firmes de génie qui avait cours à Montréal dans les années 2000 et, d’ailleurs, ce n’est même pas lui qui dirigeait la Ville, mais Frank Zampino, le président du comité exécutif, a affirmé mercredi Rosaire Sauriol.

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Devant la Commission Charbonneau, le vice-président principal de Dessau s’est trouvé à confirmer ce que l’ex-maire a toujours soutenu, à savoir qu’il n’était pas au courant des stratagèmes qui se tramaient dans sa ville.

«M. Tremblay n’était pas dans les projets; il ne suivait pas ça. M. Tremblay avait pris le volet plus diplomatique. M. Tremblay n’était pas au fait de ce qui se passait dans les contrats de la ville. M. Tremblay, il n’était pas dans les dossiers. Je serais très, très, très, très étonné que M. Tremblay ait vu le début du commencement de cette histoire-là de collusion», a lancé M. Sauriol.

Selon M. Sauriol, c’est Frank Zampino qui décidait des contrats. M. Zampino était «l’homme le plus puissant de Montréal» dans les faits, a-t-il opiné. «En réalité, ce n’était pas lui (Gérald Tremblay) qui gérait, c’était M. Zampino.»

Le responsable du financement du parti du maire, Bernard Trépanier, se moquait même du maire Tremblay, le chef de son propre parti. «Même M. Trépanier ne s’en cachait pas, à des gens comme vous, ou à des Michel Lalonde (président de Génius), il riait de cette situation-là?», lui a demandé Me Denis Gallant, procureur chef adjoint de la commission.

«Exact», a confirmé M. Sauriol. «Il n’était pas très respectueux.»

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«Vous avez déjà eu des discussions avec M. Trépanier et il vous disait que Gérald Tremblay ne voyait pas grand-chose?» a encore demandé Me Gallant.

«C’est ce que j’ai compris», a répondu M. Sauriol.

Me Gallant s’est ensuite attardé à une longue succession d’invitations d’élus et de fonctionnaires par Dessau à des matches de hockey, voire à un spectacle des Rolling Stones. Il visait ainsi à démontrer sa proximité avec les élus et décideurs.

Dons au PLQ et PQ

Par ailleurs, la firme de génie Dessau a donné plus d’un million de dollars aux deux principaux partis à Québec de 1998 à 2010 et environ 50 000 $ par année à Union Montréal, a admis M. Sauriol.

Il a précisé que la somme rapportée au Directeur général des élections du Québec de 994 894 $ _ soit 600 344 $ pour le Parti libéral du Québec et 394 550 $ pour le Parti québécois _ n’est même pas complète, puisque Dessau a aussi fait appel à des proches de ses employés qui n’apparaissent pas dans ces relevés.

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Les contributions se faisaient alors par chèques. Certains employés de Dessau ont été remboursés à même leur compte de dépenses, notamment par du kilométrage gonflé, mais beaucoup l’ont été en argent comptant, a-t-il relaté. «La petite, petite minorité de gens qui ont contribué sans que l’entreprise les rembourse existe, mais c’est une minorité», a avoué M. Sauriol.

À Longueuil, par exemple, Dessau a donné 25 000 $ en 1998, une autre fois 25 000 $ en 2001 et une autre fois 25 000 $ ou 30 000 $ en 2005, a raconté M. Sauriol.

«Monsieur Gladu (Claude, ex-maire de Longueuil), vous l’invitez dans la loge de Dessau. Et vous faites attention à ces gens-là», a résumé Me Gallant.

L’exemple de la Ville de Blainville est éloquent. Dessau y a obtenu des contrats de 2002 à 2006, puis plus aucun contrat par la suite. «Politiquement, on s’est fait sortir de la Ville», a résumé M. Sauriol.

Auparavant, quand Dessau y avait des contrats, la firme soutenait l’équipe de Pierre Gingras à Blainville, a-t-il relaté. Quand M. Gingras a été remplacé par un autre candidat, celui-ci a été battu. Une autre équipe municipale avec une autre firme de génie ont dû prendre leur place, a-t-il laissé entendre.

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«Plus haut que Trépanier»

À Montréal, Dessau a donné bon an mal an 50 000 $ à M. Trépanier.

M. Trépanier lui a bel et bien demandé 200 000 $, en 2005, comme il l’a fait pour les autres grandes firmes de génie-conseil faisant partie du cartel, mais Dessau a refusé de donner davantage.

Me Gallant a fait état de 575 échanges téléphoniques entre Bernard Trépanier et M. Sauriol. C’est notamment M. Trépanier qui lui a dit qu’il s’arrangeait avec Robert Marcil, l’ancien directeur de la réalisation des travaux à Montréal, pour que les comités de sélection favorisent la bonne firme.

«Union Montréal, c’était beaucoup d’activités de financement, c’était une machine qui était énormément structurée pour organiser des activités de financement», a expliqué M. Sauriol.

M. Sauriol a nié avoir tenté de corrompre des élus ou des fonctionnaires pour obtenir des contrats.

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Me Gallant a tenté de le faire élaborer sur ce qu’il a appelé son réseau d’affaires _ ses liens avec l’ancien président du comité exécutif Frank Zampino, avec Bernard Trépanier, les entrepreneurs Antonio Accurso, de Simard-Beaudry, et Paolo Catania, de Construction F. Catania _ mais M. Sauriol s’est borné à les décrire comme un réseau d’affaires. Il a pourtant fait avec certains d’entre eux des voyages et eu des soupers avec les conjointes, a souligné Me Gallant.

«Vous êtes plus haut que les autres, vous êtes plus haut que monsieur Trépanier. À l’hôtel de ville, vous en prenez large, monsieur Sauriol. Quand votre secrétaire et la secrétaire de M. Zampino s’envoient des documents attachés et que vous avez d’avance le discours du maire et le discours du président du comité exécutif et le communiqué de presse, là…» lui a lancé Me Gallant.

Fausses factures

Mardi, M. Sauriol avait indiqué que Dessau avait fait pour 2 millions $ de fausse facturation entre 2005 et 2009, afin de dégager de l’argent comptant pour contribuer financièrement aux partis politiques provinciaux et municipaux.

L’entreprise s’était même dénoncée aux autorités fiscales en janvier 2011 afin de régulariser la situation, payer ses impôts, taxes et intérêts dus. Elle a payé environ 2 millions $.

M. Sauriol, le numéro deux du géant du génie, a qualifié de cancer ce mal qui rongeait l’industrie. La firme de génie-conseil a donné aux partis provinciaux, ainsi qu’aux partis dans les municipalités de Montréal, Laval et Longueuil, a-t-il mentionné.

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En 2009 et 2010, l’entreprise, qui compte maintenant 5000 employés, a revu ses pratiques d’affaires et revu son code d’éthique.

Dessau est très engagée dans la région de Laval, mais la commission abordera le dossier de Laval dans un bloc distinct de ses audiences, plus tard, a fait savoir le procureur chef adjoint de la commission, Me Denis Gallant. Un autre représentant de Dessau viendra alors témoigner devant la commission.

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