Corruption: un ingénieur regrette d’avoir participé à la collusion, mais dit qu’il n’avait pas le choix

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Publié 29/01/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 17h18 HNE, le 31 janvier 2013.

MONTRÉAL – La gorge nouée, le président de Génius conseil, Michel Lalonde, a présenté ses regrets à la Commission Charbonneau, jeudi, après avoir mis fin à son témoignage de plusieurs jours sur la collusion entre firmes de génie et le financement des partis politiques municipaux et provinciaux.

M. Lalonde, un ingénieur responsable du développement des affaires pour son entreprise, a assuré qu’il comprenait aujourd’hui la gravité de ce qu’il a fait, mais qu’à cette époque, il croyait se plier à ce qu’il devait faire pour obtenir des contrats.

«J’aimerais prendre le temps d’exprimer mes profonds regrets concernant les événements que j’ai décrits au cours de mon témoignage. Malheureusement, je ne peux effacer le passé ni les événements auxquels j’ai participé. À cette époque, je croyais que c’était la chose à faire pour permettre à mon entreprise et à mes employés de travailler. Je comprends la portée de mes gestes et j’espère qu’on pourra un jour me les pardonner», a-t-il dit.

C’est en évoquant la pression vécue indirectement par sa femme et ses enfants qu’il a dû retenir ses larmes.

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De même, il a été chaleureusement remercié par la présidente de la commission, la juge France Charbonneau, qui l’a félicité pour son courage et lui a dit que la commission avait besoin de témoins comme lui.

«Il est essentiel que des personnes de votre calibre collaborent avec nous. J’ajoute que nous sommes conscients qu’il vous a certainement fallu une bonne dose de courage pour venir témoigner publiquement et, encore une fois, nous vous en remercions», a affirmé la présidente de la commission.

Moins de sollicitation

Par ailleurs, Michel Lalonde avait indiqué à la Commission Charbonneau mercredi que depuis 2009, non seulement la collusion entre firmes de génie conseil avait cessé au Québec, mais aussi la sollicitation intensive pour du financement politique.

M. Lalonde avait déjà témoigné du fait qu’avec l’escouade Marteau et les rumeurs qui circulaient, tous les acteurs du système de collusion se sentaient mal à l’aise et avaient senti le besoin de battre en retraite, de refréner leurs ardeurs.

Mercredi midi, en réponse au commissaire Renaud Lachance, il a admis que depuis 2009, il était aussi «beaucoup moins sollicité» par des partis politiques pour du financement, à titre de président d’une firme de génie conseil. Il a dit avoir reçu «la lettre habituelle» mais plus de sollicitation intensive.

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Et l’ingénieur a admis que personnellement, «avec tout ce que je vis, je ne serai pas un grand contributeur aux prochaines élections».

À noter qu’il a déjà témoigné du fait que lui, des membres de sa famille ainsi que les cadres et associés de sa firme ont versé plus de 200 000 $, au fil des ans, aux différents partis politiques provinciaux seulement, sans compter les dons aux candidats et partis municipaux dans plusieurs villes.

Quand le commissaire Lachance lui a demandé s’il croyait que l’abaissement du montant maximal des dons aux partis politiques réglerait le problème, il a laissé entendre que cela ne suffirait pas. «Ce n’est pas une question de montant, c’est une question de façon de faire», a-t-il opiné.

Besoin d’ingénieurs à l’interne

Par ailleurs, invité par la juge France Charbonneau à formuler des suggestions pour que les autorités publiques se prémunissent mieux contre la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction, M. Lalonde a proposé d’employer plus d’ingénieurs à l’interne pour pouvoir «challenger» les ingénieurs du privé, leur poser des questions, les obliger à justifier leurs réclamations. Il a souligné que c’est déjà le cas dans certains départements de la Ville de Montréal.

Plus tôt dans la journée, Me Simon Bégin, l’avocat de l’Association des constructeurs de routes et grands travaux, avait cherché à lui faire dire — en vain — que ce sont les ingénieurs qui sollicitaient les entrepreneurs, dans le cadre des stratagèmes qui avaient cours dans la construction, et non l’inverse.

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Mais M. Lalonde a corrigé son affirmation, assurant que toutes les parties étaient parfaitement conscientes de ce qu’elles faisaient et que c’était même convivial entre elles. Toutes y trouvaient leur compte.

Contre-interrogé par Me Martin St-Jean, de la Ville de Montréal, il a d’ailleurs laissé tomber que le stratagème de corruption et de collusion entre firmes, «ça a commencé par le financement politique». Et c’est pour parvenir à faire les contributions politiques demandées que les firmes ont dû s’entendre entre elles et gonfler les prix, a-t-il déjà expliqué.

De l’argent et des cadeaux

La firme Génius conseil, par l’intermédiaire de ses cadres et de membres de leur famille, a versé plusieurs dizaines de milliers de dollars en dons aux partis politiques provinciaux, durant les années 2000, et a aussi offert un cellier, une machine à espresso et un téléphone portable à un membre de comités de sélection pour le ministère des Transports.

Devant la Commission Charbonneau, le président de Génius conseil, l’ingénieur Michel Lalonde, aborde depuis mardi le financement des partis politiques provinciaux et ses contrats avec le ministère des Transports du Québec.

Les dons étaient plus élevés pour le parti qui était au pouvoir, mais il a expliqué que Génius voulait quand même maintenir ses liens avec les partis dans l’opposition, qu’il s’agisse du Parti québécois, du Parti libéral ou de l’Action démocratique.

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«Je n’ai jamais eu cette idée-là de ne pas payer; j’ai toujours contribué à tous les partis politiques», a lancé le témoin, qui expliquait aux commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance qu’il voulait ainsi favoriser le développement de ses affaires, bien se «positionner» pour de futurs contrats et, pourquoi pas, favoriser «la vie démocratique» en se montrant généreux envers tous les grands partis provinciaux.

Lorsque ses associés et cadres avaient versé des contributions aux partis politiques, généralement sous la forme d’achats de billets pour des cocktails ou autres activités de financement, ceux-ci étaient compensés à même leur compte de dépenses ou par des bonis ou en argent comptant, a admis M. Lalonde. Cela contrevient à la loi.

Les contributions étaient faites par chèque, cependant, en respectant les limites prescrites par la loi, parfois grâce à des prête-noms.

La présidente de la commission, France Charbonneau, a d’ailleurs précisé que le Directeur général des élections viendrait témoigner «sous peu» devant la commission à propos de ce qui est permis ou pas par la loi.

Plus compliqué au ministère des Transports

Dans ses contrats avec le ministère des Transports, Génius a bénéficié d’une autre porte d’entrée: un de ses associés, Gilles Thibodeau, était ami avec un retraité qui siégeait parfois comme «membre externe» à des comités de sélection. Il allait avec lui à la chasse et à la pêche.

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Cet homme, Claude Millaire, a reçu des cadeaux: une caméra de 500 $, un cellier d’appartement de 1500 $, une machine à café espresso de 1500 $ et «un petit portable». De 2004 à 2010, il a même joui d’un appareil téléphonique portable dont la facture mensuelle était acquittée par Génius. Le relevé de Bell Canada a même été déposé en preuve devant la commission, confirmant les dires de M. Lalonde.

«À un moment donné, Gilles m’a dit ‘écoute, peut-être qu’on pourrait lui donner un petit peu d’argent, style un pour cent ou quelque chose comme ça’, alors j’ai dit OK», a raconté M. Lalonde. De «petits montants» de 2000 $ ou 3000 $ se sont donc ajoutés aux cadeaux, à l’occasion.

En février 2008, M. Lalonde lui a même donné 25 000 $ après que Génius eut remporté un appel d’offres pour un contrat de 3 millions $ sur l’autoroute 13, à Montréal.

M. Millaire lui avait dit avoir «travaillé fort» pour que Génius remporte ce contrat, mais le procureur de la commission, Me Denis Gallant, lui a appris que ce n’est même pas M. Millaire, au sein du comité de sélection, qui lui avait donné la note la plus élevée.

De façon générale, M. Lalonde a estimé que le ministère des Transports était beaucoup mieux équipé que les municipalités pour faire face aux tentatives de corruption. Le cas de M. Millaire au sein du comité de sélection était «un cas d’exception», selon lui.

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Ainsi, M. Lalonde a dit disposer de moins de marge de manoeuvre pour «accommoder» des entrepreneurs en construction pour des contrats du ministère, parce que ces contrats sont plus encadrés, que des fonctionnaires y participent et que chaque «extra» doit être débattu avec un représentant du ministère.

Néanmoins, il est arrivé qu’un entrepreneur, plutôt que de lui demander de l’argent pour des «extras», lui demande d’acheter des billets pour une activité politique, a-t-il admis.

Ça fait rouler la démocratie…

Le contre-interrogatoire de M. Lalonde sur le financement des partis politiques a donné lieu à un échange qui en a fait sourire plus d’un entre l’avocat d’Union Montréal, Me Michel Dorval, et le commissaire Renaud Lachance.

Dans sa question à M. Lalonde, Me Dorval a affirmé que «les grandes compagnies québécoises donnent et c’est normal. On veut que ces compagnies-là s’impliquent au niveau démocratique, c’est ça qui fait rouler la démocratie».

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Le commissaire Lachance l’a alors interrompu. «Je m’excuse, je m’excuse, mais on ne veut pas que ces compagnies-là donnent. C’est interdit au Québec! Ce sont les individus (qui doivent donner). C’est exactement le contraire qu’on cherche à atteindre», a corrigé le commissaire Lachance.

Marcil, Abdallah et Meilleur

Par ailleurs, plusieurs personnes mises en cause par M. Lalonde ont tenté de prendre leurs distances et de nier ce qu’il a affirmé sous serment devant la commission.

Ainsi, l’ancien directeur du service de la réalisation des travaux à la Ville de Montréal, Robert Marcil, a nié les affirmations de M. Lalonde à son sujet. Il assure n’avoir jamais reçu de somme d’argent de la part de M. Lalonde ni de qui que ce soit dans le cadre de ses fonctions.

Il a confirmé avoir rencontré les enquêteurs de la Commission Charbonneau en octobre dernier, mais insiste pour y être entendu «dans les plus brefs délais», afin, dit-il, de rétablir sa réputation.

Il a aussi précisé que pour ne pas nuire à son employeur actuel, le Groupe SM, il a décidé de se retirer complètement de la gestion des dossiers municipaux.

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Même réaction pour l’ancien directeur général de la Ville de Montréal, Robert Abdallah, qui a également nié avoir reçu de l’argent de la part du fabricant de tuyaux d’égout Tremca, comme l’a prétendu M. Lalonde lundi.

Il a aussi nié avoir fait pression pour que ces tuyaux préfabriqués de Tremca soient utilisés par la firme Infrabec, qui voulait au départ couler les tuyaux sur place pour le projet en question. Dans son communiqué, M. Abdallah dit s’être plutôt inquiété du coût élevé des travaux pour la Ville.

De son côté, le maire de Mirabel, Hubert Meilleur, n’a pas répondu directement à l’affirmation de M. Lalonde voulant qu’il ait touché de l’argent comptant de sa part pour son élection. Dans un communiqué, le maire Meilleur affirme qu’il «a déjà fourni toute l’information à la Commission par rapport à ce qui a été mentionné par M. Lalonde sur le financement de son parti politique».

La Couronne Nord

Lundi, Michel Lalonde avait confirmé que les demandes d’argent n’étaient pas limitées à la ville centre de Montréal. De telles demandes sont venues également de certains arrondissements et de municipalités de la Couronne Nord.

Et à Montréal, les demandes provenaient aussi du parti Vision Montréal, pas seulement d’Union Montréal, a-t-il précisé à la Commission Charbonneau.

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L’ingénieur a multiplié les révélations concernant des demandes de contribution financière qu’il a reçues, de 2005 à 2009, dans différents arrondissements: Montréal-Nord, Montréal-Est, Ahuntsic-Cartierville et Rivière-des-Prairies_Pointe-aux-Trembles.

Parfois, la demande venait d’un fonctionnaire de l’arrondissement, parfois elle provenait d’un candidat à une élection qui voulait préparer sa campagne. Une fois, il a plutôt donné des billets de saison pour le hockey, d’une valeur de 14 015 $.

M. Lalonde, alors du Groupe Séguin _ devenu Génius conseil _ acceptait de donner suite à ces demandes pour obtenir des contrats. Il donnait généralement du comptant.

C’était la façon de faire

Sans contribution aux partis, il n’aurait pas eu de contrat et une autre firme l’aurait obtenu, a-t-il témoigné. «C’était la façon de faire. Si on ne participait pas, on n’avait pas de contrat. C’était tout une approche: les demandes de contribution, avoir la possibilité d’avoir des contrats, se les partager, être obligés de se parler pour s’assurer qu’on atteint les objectifs», a-t-il résumé.

Il a cité plusieurs sollicitations de fonds reçues de la part de partis politiques municipaux de la Couronne Nord également. Généralement, dans ces cas, il s’agissait d’argent comptant, pas de chèques, puisque souvent, aucun de ses employés n’était résidant de la municipalité en question.

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M. Lalonde a aussi égratigné Vision Montréal, après avoir élaboré, ces derniers jours, sur Union Montréal. Ainsi, il s’est rappelé avoir donné 25 000 $ comptant à Michel Petit pour le financement du parti Vision Montréal en vue de l’élection de novembre 2009, puis a rencontré le chef du parti, Benoît Labonté.

«Michel Petit me dit qu’il va solliciter également les entrepreneurs (en construction), qu’il va parler à Nick Milioto (de Mivela Construction, spécialisé dans les trottoirs). J’ai croisé M. Milioto qui m’a confirmé qu’effectivement, il était pour ramasser 25 000 $ pour le groupe des entrepreneurs», a témoigné M. Lalonde.

Rivière-des-Prairies_Pointe-aux-Trembles

Le président de Génius conseil a également raconté qu’au printemps 2005, Cosmo Maciocia, qui briguait la mairie de l’arrondissement Rivière-des-Prairies_Pointe-aux-Trembles, lui avait dit qu’il avait besoin d’argent pour sa campagne électorale.

«Il m’a dit ‘j’ai une grosse élection à préparer; je risque d’avoir de l’opposition. Je vais avoir besoin d’aide et j’aimerais pouvoir compter sur toi. J’aurais besoin de 60 000 $’. Il m’a dit ‘inquiète-toi pas, t’as quand même eu beaucoup de projets dans l’arrondissement, il y en a d’autres qui s’en viennent après les élections. T’es pas le seul, je vais également solliciter Dessau pour le même montant’», a relaté M. Lalonde.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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