Corruption: un entrepreneur se promettait de «travailler» le président de la FTQ

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Publié 05/02/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 12h16 HNE, le 7 février 2013.

MONTRÉAL – En 2008, le président de Construction Garnier, Giuseppe Borsellino, et l’ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, se promettaient de «travailler tranquillement» le président du conseil d’administration du Fonds de solidarité, Michel Arsenault.

La Commission Charbonneau a écouté, jeudi, d’autres enregistrements provenant de l’écoute électronique de la ligne téléphonique de Jocelyn Dupuis.

Interrogé sur cette conversation téléphonique, M. Borsellino a admis qu’il avait «peut-être un projet de terrain» qu’il voulait «que le Fonds regarde». C’est en ce sens qu’il disait vouloir «travailler» M. Arsenault, a-t-il avoué.

Dans des conversations entre MM. Dupuis et Borsellino, on entend ce dernier se réjouir du fait que son «très bon ami» Tony Tomassi vient d’être nommé ministre dans le gouvernement Charest. Il venait d’être nommé ministre de la Famille en décembre 2008.

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M. Borsellino a par ailleurs confirmé qu’il a assisté à plusieurs événements organisés par des partis politiques, tant au Parti québécois qu’au Parti libéral du Québec ou à Union Montréal, mais seulement pour développer son réseau, jamais en espérant des contrats.

Il a assisté «une vingtaine de fois» à des événements du Parti libéral du Québec, quatre ou cinq fois à des événements du Parti québécois, 10 à 15 fois à des événements d’Union Montréal, et autant à Vision Montréal.

Il a assuré que tout cet argent qu’il a versé à des partis au fil des ans l’a été sous forme de chèques, jamais au comptant.

Développer son réseau

M. Borsellino a assuré qu’il achetait tous ces billets et assistait à tous ces cocktails uniquement pour tisser son réseau, rencontrer des ingénieurs aussi présents à ces cocktails, être vu, être proche. Cela est bon pour le développement des affaires, a-t-il dit.

«L’idée du financement, c’était de s’approcher de ce monde-là qu’on voyait. C’était important d’être présent, d’avoir des bonnes relations de travail, des bonnes relations avec ce monde, pour être présent, c’est tout. Dans ce temps-là, j’étais un entrepreneur qui commençait à prendre un peu d’expansion, pour moi c’était important que je sois présent, que le parti politique me voit. Je pensais que c’était bon», a-t-il résumé.

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La présidente de la commission, la juge France Charbonneau, l’a questionné durant plusieurs minutes, répétant plusieurs fois sa question sous plusieurs formes: en quoi assister à des événements organisés par des partis politiques vous aidait dans vos affaires? lui a-t-elle demandé.

M. Borsellino a répété qu’il était bon d’être vu, de s’approcher, mais il n’a pas précisé de qui ou par qui. Il a nié espérer un retour d’ascenseur ou l’octroi de contrats en versant des contributions à des partis politiques.

Il a souligné qu’il ne fréquente plus ces cocktails aujourd’hui, parce que cela n’est plus bon d’être vu dans des événements politiques. La sollicitation aussi s’est atténuée depuis 2007 ou 2008.

Sévèrement battu

Par ailleurs, Giuseppe Borsellino a été sévèrement battu par trois hommes en juillet 2009, mais il n’a jamais porté plainte à la police. Il ne sait pas pourquoi il a été battu, mais a admis du bout des lèvres à la Commission Charbonneau que «ça pourrait être relié à la mafia».

M. Borsellino a dû être opéré pendant sept heures pour reconstruire son visage, mais il n’a pas porté plainte à la police, parce que sa première préoccupation était de se faire «réparer» pour rentrer au travail, a-t-il affirmé aux commissaires Renaud Lachance et France Charbonneau, qui l’ont interrogé à ce sujet, mercredi.

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Interrogé sur le pourquoi de cette raclée, M. Borsellino est resté évasif. «J’ai peut-être été à la mauvaise job», «ça pourrait être relié à la mafia» ou à «des investissements» ou «peut-être que je n’ai pas payé un compte», a-t-il avancé.

Les commissaires ont eu beau le mitrailler de questions pour le faire parler sur l’implication de la mafia dans l’industrie de la construction, il a simplement dit être au courant du fait qu’il y a de l’infiltration d’entreprises par la mafia, mais pas la sienne. Et il ne fait pas affaires avec ces gens-là. Et si on lui demandait de payer une quote-part de ses contrats, il préférerait donner les clefs de son entreprise, a-t-il affirmé.

M. Borsellino a toutefois dû admettre qu’il connaissait Vito Rizzuto, son père et son fils, et qu’il a même assisté au mariage du fils de Vito Rizzuto, Leonardo, en juin 1999. Il s’en est d’ailleurs rappelé quand le procureur de la commission, Me Simon Tremblay, lui a souligné que la GRC y avait photographié sa plaque d’immatriculation.

Mais il a assuré qu’il ne fréquentait pas des gens de la mafia, ni même du crime organisé non italien. Et il a assuré qu’il n’a pas non plus de relations d’affaires avec des gens du crime organisé.

Intimidation?

Mercredi, Giuseppe Borsellino a aussi nié avoir déjà voulu intimider l’entrepreneur Michel Leclerc, de Terramex, bien qu’il admette être déjà allé jusqu’à stationner un de ses camions dans son entrée et lui avoir demandé s’il voulait vraiment déposer une soumission pour un projet donné.

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En novembre dernier, devant la Commission Charbonneau, Michel Leclerc avait affirmé que M. Borsellino était venu le voir à son bureau pour lui dire de ne pas soumissionner pour ce projet de la Place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal.

M. Leclerc avait répondu qu’il était intéressé à ce projet et qu’il soumissionnerait bel et bien, ne lui en déplaise.

Le lundi suivant, avant le dépôt des soumissions, un camion de Construction Garnier était stationné dans son entrée.

Interrogé sur cet incident mercredi, M. Borsellino n’y a vu aucune intimidation. Il a admis avoir appelé M. Leclerc, mais a prétendu que c’était pour s’assurer qu’il dépose une soumission de complaisance.

La juge France Charbonneau lui a alors demandé pourquoi il avait stationné un camion dans son entrée.

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M. Borsellino a prétendu que c’était pour vérifier si M. Leclerc irait effectivement déposer l’enveloppe de sa soumission. «Il n’y a pas eu d’intimidation. Je ne l’ai pas harcelé», a-t-il répliqué en anglais.

1,8 million $ déposé

Par ailleurs, le procureur de la commission, Me Simon Tremblay, l’a surpris en lui demandant s’il se souvenait avoir déposé la somme précise de 1 824 218,04 $ à une succursale de la Banque Nationale de la rue La Gauchetière, à Montréal, le 25 octobre 2004.

Le témoin a d’abord demandé au procureur s’il pouvait lui présenter des documents à cet effet, avant de lui répondre que non, il ne s’en rappelait pas.

Le procureur n’a pas expliqué d’où venait cette somme et on n’en a pas su davantage.

Collusion, même sans Surprenant

Le témoin a par ailleurs indiqué avoir versé environ 100 000 $ à l’ingénieur Gilles Surprenant et environ 100 000 $ à son collègue Luc Leclerc, tous deux alors employés de la Ville de Montréal et qui ont admis avoir participé à un stratagème de corruption avec les entrepreneurs.

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M. Borsellino, qui avait identifié M. Surprenant comme étant celui qui avait eu l’idée d’un système de collusion entre les entrepreneurs, a eu du mal à expliquer pourquoi il admettait maintenant qu’un appel d’offres donné avait été truqué, alors que M. Surprenant n’était même pas mêlé au dossier.

Il s’agit d’un projet élaboré par les entrepreneurs qui prenaient part au système de collusion et pour lequel la soumission de M. Borsellino était établie à un montant 83 pour cent plus élevé que l’estimation de la Ville. Or, le commissaire Renaud Lachance a fait remarquer à M. Borsellino que pour cet appel d’offres, Gilles Surprenant n’était même pas affecté au dossier.

La commission s’est aussi attardée à des appels d’offres que ses entreprises avaient remportés et qui avaient été ensuite annulés, parce que la veille, M. Borsellino avait soutenu que s’il avait invité le directeur de la réalisation des travaux à la Ville de Montréal, Robert Marcil, en voyage en Italie, en octobre 2008, c’était parce que ses relations avec la Ville n’étaient pas bonnes et qu’il voulait ainsi les améliorer. Il avait même précisé que plusieurs appels d’offres avaient été annulés et qu’il voulait corriger la situation en nouant une meilleure relation avec M. Marcil.

Mais l’examen de ces appels d’offres a démontré un tas d’autres motifs: soumission non conforme, projet reporté, etc. Dans un cas, le projet a été annulé par la Ville de Vaudreuil-Dorion, sur laquelle M. Marcil n’avait aucune autorité.

En quise de remerciement

«Ce que je vous suggère, c’est que la raison pourquoi vous emmenez Marcil en Italie, c’est la même raison pourquoi vous donnez une enveloppe à M. Surprenant après avoir eu un contrat: c’est pour le remercier du contrat de 5,2 millions $ que vous avez obtenu en urgence pour la réfection», lui a lancé Me Tremblay.

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Ce contrat consiste en des travaux d’égout d’urgence qui avaient dû être réalisés sur la rue Sherbrooke, à Montréal. Le contrat avait été accordé sans appel d’offres par la Ville à M. Borsellino, puisqu’il s’agissait d’une urgence.

M. Borsellino a nié que ce voyage en Italie ait eu pour but de remercier M. Marcil, bien qu’il ait admis qu’il ne le connaissait guère avant de l’y inviter.

Mais Me Tremblay a fait état des résultats d’une filature du groupe à l’aéroport, avant de partir pour l’Italie, le 15 octobre 2008.

«M. Marcil s’éloigne un peu. Vous êtes avec M. (Jocelyn) Dupuis (ancien directeur général de la FTQ-Construction, qui prenait part à ce voyage), et M. Dupuis vous dit: ‘c’est quoi déjà son nom?’ en pointant M. Marcil, parce qu’il ne le connaît pas. Vous dites: ‘c’est Robert’. Ensuite, M. Dupuis vous demande: ‘il fait quoi au juste à la Ville?’. Et vous lui dites qu’il est directeur de l’ingénierie et qu’il vous a donné un contrat de 5,5 millions $ l’année dernière», a relaté le procureur de la commission.

Un ami syndicaliste

Par ailleurs, Giuseppe Borsellino a prêté à l’ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, un condominium dans le chic édifice du 1000 de la Commune, dans le Vieux-Montréal, a-t-on entendu mardi.

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Devant la Commission Charbonneau, mardi, M. Borsellino a soutenu que Jocelyn Dupuis lui avait simplement demandé la clef de ce condo, acheté par une de ses entreprises, GB Argus, pour la somme de 320 000 $, et qu’il la lui avait donnée. L’entreprise a possédé ce condominium de mai 2007 à août 2010.

Le président de Construction Garnier a aussi payé un voyage en Italie à son «ami» Jocelyn Dupuis, de même que des billets de hockey, des billets pour des événements et des sorties au restaurant.

M. Borsellino s’est défendu en affirmant que M. Dupuis était pour lui «un ami» et que si son ami lui demandait quelque chose, il le lui donnait. Mais il assure ne jamais lui avoir donné d’argent. Plus tard, il a soutenu qu’il avait réalisé que Jocelyn Dupuis profitait de lui et ses sorties au restaurant se sont espacées. Aujourd’hui, dit-il, il est «un peu moins» son ami.

Il a également admis avoir donné des billets de hockey à des représentants d’autres organisations syndicales, notamment la CSN-Construction, qui est pourtant une rivale de longue date de la FTQ-Construction.

Et il a dit avoir également eu un autre ami au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (international), la deuxième organisation syndicale en importance dans ce secteur, mais il «ne pense pas» avoir donné des billets de hockey à l’un de ses représentants.

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Voyage en Italie

Lors du voyage en Italie avec M. Dupuis, en octobre 2008, il s’est aussi retrouvé avec Robert Marcil, l’ancien directeur des travaux publics de la Ville de Montréal, et Yves Lortie, de la firme Génivar, avec leurs conjointes respectives. Construction Garnier a payé l’hôtel pour tous et les billets d’avion pour tous, sauf pour M. Marcil et sa conjointe, a-t-il affirmé.

La commission a déposé en preuve les factures. Il évalue le total de ce qu’il a dû payer à environ 50 000 $.

Le procureur de la commission a cherché à faire un lien avec le fait que le 27 août 2008, soit peu avant, M. Marcil avait approuvé le paiement final pour des travaux d’urgence effectués sur un collecteur d’égout de la rue Sherbrooke, au coût de 5,2 millions $. Comme il s’agissait de travaux d’urgence, il n’y a pas eu appel d’offres.

Ces cadeaux de Construction Garnier visaient à «développer les affaires», a martelé M. Borsellino. Même avec des représentants syndicaux, il voulait développer des affaires, être en bons termes, notamment parce que les syndicats pouvaient lui présenter la meilleure main-d’oeuvre dans le secteur requis, a-t-il soutenu.

Écoute électronique

Ces révélations ont été faites par le témoin après que la commission eut fait entendre des extraits de l’écoute électronique de la ligne téléphonique de Jocelyn Dupuis, dans le cadre de l’opération Diligence.

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On y entend M. Dupuis discuter avec M. Borsellino, entre autres.

Dans certains extraits, M. Dupuis parle de projets auxquels l’une des entreprises de M. Borsellino pourrait s’intéresser, notamment la rénovation d’un Club Med en Floride, un terrain à vendre près de la Place Bonaventure à Montréal, et un investissement dans le designer de jeans Parasucco.

Aucun de ces projets ne s’est toutefois concrétisé, a-t-il affirmé.

M. Dupuis y prétend pouvoir présenter des projets au président de la FTQ et président du conseil d’administration du Fonds de solidarité, Michel Arsenault, en passant par un intermédiaire, Reynald Grondin.

M. Dupuis a perdu son poste de directeur général de la FTQ-Construction en septembre 2008, après que Michel Arsenault lui eut réclamé sa démission. Il est parti dans la foulée de la controverse concernant ses comptes de dépenses exagérés.

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Collusion confirmée

Par ailleurs, M. Borsellino a confirmé l’existence d’un système de collusion entre entrepreneurs en construction dès 1995. Et il en avait entendu parler dès les années 1980, a-t-il affirmé.

Il a soutenu que c’est l’ingénieur Gilles Surprenant, de la Ville de Montréal, qui l’a initié à ce système, en approchant les entrepreneurs pour leur suggérer de s’entendre entre eux. M. Surprenant a rencontré au restaurant les entrepreneurs Paolo Catania, Joey Piazza et Giuseppe Borsellino, a relaté ce dernier. Il était prêt à les aider ensuite à obtenir des contrats pour la Ville. «On a fait quelques rencontres sans M. Surprenant et on savait ce que ça amenait», s’est-il rappelé.

«Ils avaient tellement de pouvoir. Il y avait des gens à la Ville qui étaient vraiment puissants», s’est exclamé le témoin en anglais. La Ville pouvait par exemple retarder les paiements et les entrepreneurs «souffraient», a-t-il rapporté.

M. Surprenant a déjà témoigné devant la commission des mêmes faits, mais en inversant la responsabilité. Il a soutenu que ce sont les entrepreneurs qui se sont entendus entre eux et l’ont approché ensuite pour le soudoyer.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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