Corruption: un entrepreneur frustré voulait monter son propre groupe de soumissionnaires

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Publié 21/11/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 13h16 HNE, le 22 novembre 2012.

MONTRÉAL – Pour André Durocher, président d’Excavations Panthère, quand le ministère des Transports du Québec (MTQ) a placé son entreprise sur une liste noire en 2010, à cause d’un rapport de rendement insatisfaisant, ça a été «le début de la fin» pour l’entreprise familiale.

À cause de ce rapport de rendement insatisfaisant pour un contrat de ponceaux, Excavations Panthère n’a pu obtenir de contrats du ministère après 2009, a-t-il relaté à la Commission Charbonneau, jeudi.

«Quand on veut empêcher un entrepreneur de soumissionner au ministère des Transports, on fait quoi? On sort une liste noire», s’est-il exclamé devant la commission, laissant entendre que le représentant de la firme privée de génie qui surveillait le projet avait été particulièrement dur avec lui. «Ça, je l’ai sur le coeur!» a-t-il lancé à l’avocat du Procureur général, Me Benoît Boucher.

Me Boucher a cependant précisé que le rapport de rendement en question «a été préparé par un employé du MTQ et par la firme Dessau», et non pas par la seule firme de génie.

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Néanmoins, M. Durocher n’a pas apprécié que son entreprise familiale se soit ainsi retrouvée sur une liste d’entrepreneurs ayant fait de la fausse facturation ou de la fraude, alors que lui n’avait eu qu’une cote de rendement négatif pour un contrat.

Il a affirmé avoir dit à l’ingénieur de Dessau, qu’il connaissait: «je ne comprends pas que tu m’aies donné autant de misère sur ce fameux contrat-là, puis que je ne suis pas payé». Et l’ingénieur en question lui aurait répondu: «André, ça vient de plus haut que moi ce que je t’ai fait».

Mariages entrepreneurs-ingénieurs

M. Durocher a admis ne s’être jamais intéressé à ce qu’il a appelé les «mariages entrepreneurs-ingénieurs» et avoir même eu maille à partir avec certaines firmes de génie lorsqu’il oeuvrait encore dans la construction. Son entreprise est aujourd’hui placée sous la protection de la Loi sur les faillites.

Il a écrit une lettre au ministère pour protester contre ce rapport de rendement insatisfaisant, mais n’a jamais obtenu de réponse.

Pourtant, de 1996 à 2002, il avait obtenu des contrats totalisant 1,4 million $ de la part du ministère, puis, d’août 2002 à 2010, sept contrats de construction totalisant 7,45 millions $, sans compter des contrats de déneigement. Et il n’avait jamais eu de problèmes avant, ayant une bonne cote avec le ministère, a-t-il soutenu.

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Lors de ce contrat problématique en 2009, il affirme qu’il avait beaucoup plu, au point de retarder le chantier.

Le rapport de rendement négatif lui reproche d’ailleurs d’avoir débuté les travaux plus tard que prévu et d’avoir utilisé un batardeau en argile plutôt qu’en poches de sable. Les batardeaux servent à empêcher l’eau de couler dans un ouvrage de construction.

Excavations Panthère réclame encore de l’argent au ministère pour deux contrats datant de 2009 qui n’ont pas été payés en totalité. Mais Excavations Panthère a pourtant payé ses sous-traitants, a assuré M. Durocher.

M. Durocher a témoigné du fait que les affaires allaient «très bien» pour lui avec le ministère des Transports avant «le mariage ingénieurs-entrepreneurs» qui a commencé à prendre forme en 2002, selon lui.

L’entrepreneur aujourd’hui retraité a relaté que pour l’essentiel, c’est de 2002 à 2009 que les problèmes qu’il a déjà dénoncés devant la Commission se sont multipliés.

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À compter de 2009, selon son témoignage, grâce à l’escouade Marteau et grâce aux reportages dans les médias, les effets du mariage entrepreneurs-ingénieurs n’ont pas cessé, mais se sont à tout le moins atténués.

Son propre groupe de soumissionnaires

Mercredi, André Durocher avait admis avoir lui-même tenté d’organiser son propre groupe fermé d’entrepreneurs en construction sur la couronne nord de Montréal, en 2008, après avoir tenté pendant des années de résister au système de collusion.

Devant la Commission Charbonneau, M. Durocher a rapporté qu’il s’était résigné à tenter d’organiser un tel groupe sur la couronne nord en voyant des entrepreneurs de Montréal et Laval obtenir des contrats sur ce territoire, alors qu’eux ne pouvaient obtenir de contrats à Montréal et Laval.

«En 2008, après que l’étau se serrait sur toutes les villes, les entrepreneurs et tout, j’ai décidé, avec trois autres, de dire ‘on n’est pas pire qu’ailleurs, on va former un système de collusion, on va sortir les entrepreneurs qui nous sortent de d’autres municipalités’», a témoigné l’entrepreneur Durocher.

Il a confirmé qu’une vingtaine d’entrepreneurs avaient participé à la rencontre au Ramada Inn de Blainville, le 10 mai 2008, notamment des entrepreneurs de Laval.

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Les entrepreneurs ont commencé à discuter de la façon de se répartir les contrats, mais, au bout de deux heures, le désaccord entre eux est devenu évident. «La chicane a pogné», a-t-il constaté.

«Ça s’est avéré le fouillis total. La chicane a parti. Les gars ont garroché des papiers. Ils sont tous partis puis la réunion s’est conclue avec deux heures et demie de perte de temps. Puis le lundi matin, la guerre a recommencé entre les entrepreneurs et ça a été fini», a-t-il résumé.

Lui qui dirigeait une entreprise familiale avoue que sa famille était dès le départ contre cette idée, craignant qu’il ne perde le contrôle de l’entreprise.

«La réunion de collusion, ma famille était vraiment contre ça. Mais il vient un temps où tu ne sais plus où te garrocher, quand t’as des équipements à payer, des hommes à faire travailler. Là, on dit ‘il y a un système de collusion partout, sauf où on est. Puis on se fait manger la laine sur le dos’. Il reste quoi?»

Sa tentative a donc échoué, comme l’avait raconté à la commission l’ex-dirigeant d’Infrabec, Lino Zambito, qui avait participé à la rencontre.

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Tactiques

Plus tôt dans la journée, M. Durocher a relaté d’autres tactiques auxquelles il a fait face dans le milieu de la construction sur la couronne nord de Montréal et à Montréal pour tenter d’empêcher la libre concurrence ou de compliquer la vie à ceux qui ne veulent pas participer au système de collusion.

Il a notamment relaté le cas d’un contrat à Saint-Janvier de Mirabel, pour lequel on lui avait d’abord demandé de «se tasser» pour laisser la place à une autre entreprise, ce qu’il avait refusé de faire.

Il s’était aussi fait dire que si jamais il remportait cet appel d’offres, cet appel serait ensuite annulé pour ne pas qu’il puisse effectivement exécuter les travaux. L’appel d’offres a effectivement été annulé.

M. Durocher a relaté un autre exemple où il a refusé de déposer une soumission de complaisance pour une piste cyclable à Mirabel au montant suggéré par un autre entrepreneur qui voulait remporter cet appel d’offres. Cet entrepreneur l’avait même abordé à 1h du matin, sur la rue, pour tenter de le convaincre de lui laisser ce contrat, ce qu’il a refusé de faire.

Finalement, le contrat a été adjugé à cet entrepreneur, mais à un montant bien moindre que ce qu’il lui avait suggéré, permettant ainsi à la Ville d’économiser parce qu’il y a eu libre concurrence, selon son témoignage.

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Pour un autre contrat à Blainville, trois ou quatre jours avant l’ouverture des soumissions, il a reçu un addenda pour ajouter 250 puisards aux puisards existants pour un contrat de construction dans quelques rues.

«Je me suis dit en moi-même ‘ont-ils l’intention de faire la rue juste en puisards et de ne pas mettre d’asphalte?’ C’est incroyable!», a-t-il relaté, avant de conclure qu’il était préférable qu’il ne dépose pas sa soumission.

Le contrat prévoyait en plus une pénalité de 5000 $ par jour pour l’entrepreneur si les travaux n’étaient pas terminés à temps et donnait un court laps de temps pour exécuter ces travaux.

Finalement, le contrat estimé à 12 millions $ a été adjugé à 16 millions $ et les coûts seraient maintenant rendus à 20 millions $, selon son témoignage.

Le commissaire Renaud Lachance lui a demandé pourquoi Excavations Panthère n’avait pas de territoire attitré comme d’autres entreprises de construction sur la couronne nord.

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«Pour avoir un territoire, pour un entrepreneur, ça te prend une firme d’ingénieurs et ça te prend une ville. Si tu ne donnes pas de bonbons à une firme d’ingénieurs, il n’a pas d’intérêt à te localiser ou à te donner de l’ouvrage dans n’importe quelle ville. Il faut que tu embarques dans un système de collusion», lui a répondu M. Durocher.

Merci à la commission

M. Durocher est resté amer de son expérience dans la construction, alors qu’aujourd’hui son entreprise familiale est placée sous la protection de la Loi sur les faillites.

«S’il y avait eu la Commission Charbonneau dix ans auparavant, je serais peut-être assis ici dix ans auparavant, mais j’aurais encore mon entreprise, ma famille et on travaillerait encore dans le domaine de la construction», a-t-il conclu, en remerciant la commission de son travail.

Contre-interrogé par le procureur de l’Association de la construction, Me Daniel Rochefort, M. Durocher a soutenu qu’il y avait «beaucoup» d’entreprises victimes de la collusion comme la sienne.

«Quand je vous dis qu’une entreprise comme la mienne, on a été obligé de travailler à Val d’Or parce qu’il y a un manque d’ouvrage (ici), ou à La Tuque, parce qu’on ne peut pas percer le marché (ici), il y a réellement un problème», s’est-il exclamé.

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Il affirme qu’ailleurs au Québec, il n’a jamais vécu de tels problèmes. «Au contraire, quand j’arrivais sur un contrat de Val d’Or, il y a un entrepreneur qui me demandait si j’avais besoin d’équipement, qui était prêt à me les fournir», a-t-il raconté.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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