Corruption: un entrepreneur avait prévenu le vérificateur de Montréal

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Publié 20/11/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 14h03 HNE, le 20 novembre 2012.

MONTRÉAL – Michel Leclerc, propriétaire de Terramex, a affirmé mardi qu’un représentant de son entreprise avait prévenu le vérificateur général de Montréal Jacques Bergeron à deux occasions de problèmes dans les soumissions. Le vérificateur a confirmé une seule de ces rencontres.

Devant la Commission Charbonneau, M. Leclerc a relaté que la première fois, en 2008, son associé avait personnellement soulevé le problème devant le vérificateur général, qui était même venu le rencontrer sur un chantier. «Il lui a dit ‘réveillez-vous quelqu’un!’ Mivela soumissionne; on est deuxième et on le fait à 100 pour cent. Et l’entrepreneur général n’assiste même pas aux réunions de chantier», a relaté M. Leclerc.

Pour ce contrat de la place Normand-Béthune, Mivela a touché 700 000 $ sans avoir fait les travaux, qui ont été réalisés par Terramex.

La seconde alerte au vérificateur général a été lancée environ un an plus tard, pour un écart d’environ 500 000 $ entre ce qu’aurait dû coûter un contrat avec une marge de profit raisonnable pour l’entrepreneur et ce qu’il en coûtait véritablement à la Ville.

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Aucune de ces deux tentatives de sonner l’alarme auprès du vérificateur n’a eu de suite, a rapporté M. Leclerc, en se basant sur le fait que personne ne l’avait rappelé.

«Le but de dénoncer, c’était d’arrêter le système. On pensait que ç’aurait pu donner des résultats», a-t-il justifié.

Depuis lundi, M. Leclerc a pourtant témoigné du fait qu’il a collaboré à ce système, notamment en déposant des soumissions de complaisance sur demande des entrepreneurs faisant partie du cartel et en acceptant de payer une quote-part de 3 pour cent à l’entrepreneur Nick Milioto «pour la politique».

Il a d’ailleurs souligné n’avoir appris que des années plus tard ces deux démarches de son associé. «Je n’étais pas content quand il m’a dit ça», a-t-il lancé à l’avocat René Houle, qui représente l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec.

«J’aurais aimé ça qu’il m’en parle, parce que si M. Bergeron avait dévoilé la rencontre avec mon associé, peut-être que ça aurait pu mettre ma vie en danger», a-t-il répondu à l’avocat. De qui avait-il peur ainsi? «De M. Milioto peut-être», a-t-il répliqué.

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50 000 $ pour se tasser

Au cours de son témoignage, M. Leclerc a également évoqué un autre phénomène qui n’était pas connu jusqu’ici: celui d’entrepreneurs qui vont sciemment chercher des documents d’appels d’offres tout en sachant qu’ils ne pourraient pas réaliser le projet, et ceci dans le but d’exiger des milliers de dollars à d’autres entrepreneurs uniquement pour «se tasser».

M. Leclerc a lui-même dû payer 50 000 $ pour écarter un entrepreneur qui était intéressé à un projet; il lui a donné 50 000 $ pour une fausse facture de coffrage de béton.

Dans un cas, un entrepreneur qui allait ainsi «chercher les plans juste pour se faire payer pour ne pas soumissionner» a tenté le même stratagème avec Garnier Construction. Nick Milioto, de Mivela Construction, a rapporté à M. Leclerc que Garnier lui avait dit qu’il allait s’occuper de lui et qu’il n’irait plus chercher les plans des projets. M. Leclerc n’a effectivement plus vu cet entrepreneur dans les parages. «Il a sûrement eu une petite visite», en a-t-il conclu.

M. Leclerc estime n’avoir jamais vraiment réussi à se faire accepter par le groupe restreint d’entrepreneurs. Tout au plus obtenait-il des sous-contrats pour Mivela ou d’autres ou de petits contrats qu’aucun autre entrepreneur ne voulait. «J’ai eu des miettes seulement», a-t-il laissé tomber.

«Je ne peux pas vous dire» si Robert Marcil, le chef de la division de la voirie à l’époque, était au courant du système de collusion, a-t-il répondu à la procureure chef de la Commission, Me Sonia Lebel.

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Le vérificateur confirme

Le Bureau du vérificateur général a confirmé en partie le témoignage de l’entrepreneur Leclerc.

Par voie de communiqué, il a confirmé avoir eu en 2009, «une brève et unique rencontre avec un individu l’informant d’une potentielle collusion entre entrepreneurs faisant affaire avec la Ville de Montréal». Il ne fait toutefois pas référence à une rencontre en 2008.

Il justifie ainsi son mutisme par la suite. «Comme c’est le cas dans tous les dossiers dénoncés au Bureau du vérificateur général, les dénonciateurs sont avisés qu’aucun compte-rendu ne leur sera fait en ce qui concerne les suites données.»

Le Bureau du vérificateur général rappelle qu’il avait déjà dénoncé dans son rapport annuel de 2009 le fait que plusieurs arrondissements de la Ville de Montréal confiaient leurs contrats aux mêmes entrepreneurs.

3% pour le politique

M. Leclerc, qui voulait absolument travailler à Montréal, a trouvé un modus vivendi en réalisant les bordures de granit, alors que Mivela se gardait les «agrégats exposés» des trottoirs. Il y avait donc partage du contrat, sous-traitance.

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M. Leclerc devait toutefois payer une somme équivalant à 3 pour cent à Nick Milioto, qui lui a dit que c’était «pour la politique».

Lorsqu’il n’était que sous-traitant de Mivela, Terramex haussait le prix de son sous-contrat pour compenser cette quote-part de 3 pour cent. Ensuite, M. Leclerc donnait l’équivalent de 3 pour cent en argent comptant à M. Milioto.

M. Leclerc tenait à obtenir des contrats à Montréal, malgré le fait qu’il constatait qu’il existait un groupe fermé d’entrepreneurs dans le domaine des égouts et aqueducs et un autre dans le domaine des trottoirs. Sans compter que certains arrondissements de Montréal étaient pratiquement la chasse-gardée de certains entrepreneurs, a-t-il affirmé.

«Au début, ils sont très gentils, calmes et convaincants», a relaté M. Leclerc. C’est après que le climat change. «Si tu résistes, ils te font comprendre que pour le bien de la compagnie, ce serait mieux de les écouter sérieusement», a-t-il ajouté.

M. Leclerc a estimé avoir payé «une vingtaine de fois» la quote-part de 3 pour cent du montant de ses sous-contrats de trottoirs. Et il a payé ces 3 pour cent à Nick Milioto, non seulement pour les contrats de trottoirs, mais également pour des contrats d’égouts.

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Ensuite, une autre «cut» de 1,5 pour cent s’est ajoutée, cette fois à Frank Cappelo, d’Excavation Super, a témoigné M. Leclerc. Cette fois, c’est après qu’un groupe d’entrepreneurs ait réussi à se former pour se répartir entre eux les contrats dans le domaine des parcs. Ce groupe a fonctionné de deux à trois ans, selon lui.

M. Leclerc a bel et bien payé cette quote-part de 1,5 pour cent à quelques reprises, mais il n’a jamais su à qui cela était réellement versé. À ses yeux, c’était probablement eux, les entrepreneurs qui avaient lancé le stratagème, qui mettaient l’argent dans leurs poches.

En additionnant les «cuts» de 3 et 1,5 pour cent, M. Leclerc estime avoir payé entre 250 000 $ et 275 000 $ à MM. Milioto et Cappelo.

Le propriétaire de Terramex a estimé qu’en règle générale, la marge de profit des membres de ce groupe d’entrepreneurs était de 30 pour cent plutôt que de 12 à 15 pour cent pour lui, soit plus du double de sa marge de profit, qu’il juge pourtant raisonnable.

Contrats à problèmes

M. Leclerc a aussi témoigné au sujet d’un contrat, en 2004, qu’il a réalisé en totalité à la place de Conex Construction, qui avait pourtant décroché l’appel d’offres. Tony Conte, de Conex, lui avait dit qu’il pourrait obtenir le contrat, mais pas en tant qu’entrepreneur général, parce que les autres entrepreneurs ne seraient pas contents d’en voir un de l’extérieur du groupe obtenir un contrat. Conex lui a donc servi de prête-nom. Et Conex, selon lui, a touché 130 000 $ alors qu’il n’a pas effectué les travaux.

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Six mois plus tard, M. Leclerc n’avait toujours pas été payé par la Ville. M. Conte lui avait donc conseillé d’appeler Guy Girard, un ingénieur de la Ville, ce qu’il a fait.

M. Girard a choisi un restaurant assez cher pour discuter _ et M. Leclerc a dû payer son addition _ et, au cours du repas, il lui a carrément dit que «ça va prendre 5000 $» pour que la Ville fasse le paiement attendu.

«Deux ou trois jours après», se rappelle M. Leclerc, l’ingénieur Girard est passé à son bureau pour prendre l’enveloppe d’argent comptant. Le dossier s’est réglé rapidement par la suite.

M. Leclerc a témoigné d’un autre contrat problématique, sur l’avenue Savoie. Cette fois, dès le départ, il a remarqué que les quantités inscrites au bordereau de la Ville n’avaient aucune mesure avec les quantités réelles de matériaux nécessaires pour réaliser le contrat. Il voyait bien que les quantités d’asphalte, par exemple, avaient été exagérées.

Il a tout de même soumissionné en se basant sur ces quantités gonflées et a obtenu le contrat. Mais le budget de la Ville a été défoncé.

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Au cours d’un dîner avec Robert Marcil, l’ex-chef de la division de la voirie, celui-ci lui aurait conseillé de réduire son prix de 9 pour cent, soit l’équivalent de 187 000 $, en lui disant que la Ville trouverait moyen de le compenser au cours des travaux. Il a finalement été payé en 2009 alors que les travaux avaient été terminés à la fin de 2007.

Requête de Desjardins

Plus tôt dans la journée, l’avocat de Raynald Desjardins, Me Marc Labelle, avait plaidé sa cause pour tenter de faire annuler l’assignation à comparaître de son client devant la Commission Charbonneau.

La Commission a pris la requête en délibéré. Me Labelle a demandé d’annuler l’assignation ou, à tout le moins, de la suspendre, le temps que les procureurs de la commission lui donnent davantage d’explications sur le contenu de l’interrogatoire de M. Desjardins et le temps que les choses se placent.

La date du procès de M. Desjardins n’est pas encore connue.

À l’appui de sa requête, Me Labelle a notamment évoqué la difficulté de trouver un jury impartial pour le futur procès, si M. Desjardins devait témoigner devant la commission, puisque ses audiences sont grandement médiatisées.

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Le procureur de la commission, Me Simon Tremblay, a précisé que la commission voulait interroger M. Desjardins sur son implication dans l’entreprise de décontamination des sols Carboneutre.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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