Corruption: poursuite en camion et voyage de chasse

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Publié 27/11/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 17h59 HNE, le 26 novembre 2012.

MONTRÉAL – La collusion entre entrepreneurs en construction à Montréal existe depuis au moins 30 ans, a soutenu lundi un entrepreneur qui a oeuvré 33 ans dans le milieu.

Devant la Commission Charbonneau, l’entrepreneur Piero Di Iorio, des Excavations D.P. affirme qu’il avait 18 ans quand son père, qui était aussi dans la construction, lui a dit qu’il ne pourrait jamais obtenir un contrat à Montréal parce qu’il ne faisait pas partie du cercle fermé d’entrepreneurs.

«Ça fait 33 ans que je suis en affaires; ça fait 30 ans que je sais qu’il y a de la collusion à Montréal. À l’âge de 18 ans je l’ai su», a-t-il affirmé devant la commission.

L’entrepreneur, d’origine italienne mais pas sicilienne, a relaté une scène digne d’un film d’action américain et qui remonte à la fin des années 1980 ou en 1990. Deux frères dénommés Piazza ont bloqué la porte arrière et la porte avant de son bureau pour l’empêcher de sortir afin de déposer sa soumission pour un contrat. Il en a poussé un et a quitté à bord de son camion.

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Une poursuite s’est enclenchée, les camions allant jusqu’à monter sur les trottoirs dans leur course effrénée vers l’hôtel de ville. Finalement, rendu au tunnel Ville-Marie, un véhicule a foncé sur le sien, le coinçant contre un mur.

M. Di Iorio a dû sortir par la fenêtre. Par hasard, un homme est arrivé disant travailler pour la GRC. Il a conduit M. Di Iorio à l’hôtel de ville, où il a pu déposer sa soumission.

Un conseil de son père

M. Di Iorio a porté plainte à la police contre Joey Piazza. Mais, deux jours après, «deux monsieurs sont venus voir mon père au bureau» et quand ils en sont sortis, son père lui a dit de laisser tomber sa plainte, ce qu’il s’est résigné à faire.

Son père l’avait prévenu de ne pas soumissionner parce que lui s’était fait dire par d’autres entrepreneurs de ne pas soumissionner. Mais le jeune Di Iorio n’acceptait pas que son père cède ainsi sa place et insistait. Son père a voulu le laisser faire, cette fois, afin qu’il apprenne la leçon, a-t-il relaté.

Durant ses années dans la construction, l’entrepreneur a accepté à quelques occasions de déposer des soumissions de complaisance, pour laisser passer un entrepreneur, parce qu’il voulait qu’eux lui doivent quelque chose, pas que lui doive quelque chose à ces entrepreneurs. «Je ne voulais pas supplier le monde pour travailler», a-t-il justifié au procureur de la commission, Me Simon Tremblay.

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L’entrepreneur se souvient d’avoir insisté pour avoir son tour lui aussi, pour pouvoir enfin obtenir un contrat à Montréal. Et il s’est fait dire par Giuseppe Zambito, le père de Lino Zambito d’Infrabec: «il va falloir que tu donnes cinq pour cent à M. Milioto» (Nicolo Milioto, de Mivela Construction, surnommé «monsieur Trottoir»).

Quand il a demandé pourquoi, il s’est simplement fait répondre «parce que c’est ce que ça coûte».

Vandalisme

Avant M. Di Iorio, un autre entrepreneur a raconté les actes de vandalisme et de bris d’équipement lourd dont il a été victime.

Jean Théorêt, des Entreprises Gérald Théorêt, a raconté que sa machinerie lourde et une roulotte de chantier avaient été vandalisées après qu’il eut obtenu un contrat à Montréal en 2007. Un autre entrepreneur lui avait précédemment demandé de ne pas soumissionner; il avait refusé. De même, une pelle mécanique neuve valant 208 000 $ a été incendiée sur ce même chantier.

Pour un autre contrat, il s’est également fait appeler par un autre entrepreneur qui lui servait la même «rengaine»: il n’a pas d’affaires là; le chantier lui est réservé. Il s’est fait offrir 25 000 $ pour ne pas soumissionner, mais a refusé.

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Le chef de la voirie invité à la chasse

Avant ces entrepreneurs, le directeur des ventes du fabricant de tuyaux Ipex a raconté que son entreprise avait invité le chef de la division voirie de la Ville de Montréal, Robert Marcil, à un voyage de chasse en 2005.

Michel Cadotte a précisé que c’est Ipex qui avait déboursé les frais du forfait de chasse au cerf de Virginie à Saint-Rémi d’Amherst. Bien qu’il ait été invité deux fois, M. Marcil n’y est allé qu’une fois, étant déjà pris lors de la seconde invitation.

Le directeur des ventes a aussi invité M. Marcil au restaurant quatre fois.

M. Cadotte tentait de vendre ses tuyaux d’égouts en PVC à la Ville de Montréal, puisque l’entreprise vend ses tuyaux dans la majorité des villes du Québec — et même ailleurs au Canada — mais pas à Montréal.

Pourtant, Ipex est établi à Saint-Laurent et à l’île des Soeurs, donc à Montréal. Montréal utilise encore des tuyaux de «fonte ductile», qui sont sujets à la corrosion et peuvent fendre lors des mouvements de sols et des cycles de gels et dégels, a affirmé M. Cadotte.

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En contre-interrogatoire, l’avocat de la Ville de Montréal, Martin St-Jean, a tenté de démontrer par ses questions que la Ville pouvait avoir différents motifs pour préférer utiliser les tuyaux de fonte.

Me St-Jean a aussi fait valoir que dans sa directive permettant l’utilisation de tuyaux en PVC d’Ipex, en 2006, M. Marcil avait mentionné qu’il suspendait «pour une période indéterminée» l’utilisation de tuyaux en fonte. Selon Me St-Jean, il est donc possible que le recours aux tuyaux en PVC n’ait été voulu que de façon temporaire.

La semaine dernière, M. Cadotte avait témoigné du fait que l’utilisation de ses tuyaux en PVC avait cessé après qu’il eut refusé de donner 150 000 $ en argent comptant à l’entrepreneur en construction Nicolo Milioto pour «récompenser» trois personnes à la Ville de Montréal. «Je savais que c’était la fin pour nous autres», a-t-il résumé.

«Diriez-vous, maintenant, avec tout ce que vous apprenez, tout ce qui se dit, que c’est éthiquement correct?» d’avoir ainsi invité un haut fonctionnaire de la Ville de Montréal et de payer le voyage et les repas, lui a demandé la présidente de la commission, la juge France Charbonneau.

«Non. Je pense qu’on peut se permettre ça avec des distributeurs, les entrepreneurs, mais avec des gens de la Ville, avec des élus, je pense que c’est une erreur. Je n’ai pas honte de le dire: c’est une erreur», a conclu M. Cadotte.

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Il a également indiqué que des représentants de l’entreprise ont participé à deux activités de financement du parti Union Montréal, notamment l’une en présence du maire Gérald Tremblay en 2003. M. Cadotte lui-même est allé à cette première activité, à l’invitation de Genivar. Le billet coûtait entre 1000 $ et 1500 $, et ce n’est pas lui qui a émis le chèque mais plutôt Ipex, pour la firme de génie Genivar, a-t-il témoigné.

Il avait alors sensibilisé le maire Tremblay au fait qu’il n’arrivait pas à percer le marché montréalais avec ses tuyaux en PVC.

Pour la deuxième activité de financement, en 2003 ou 2004, ils étaient quatre représentants d’Ipex pour un souper au buffet Le Rizz. Les billets coûtaient 500 $ par personne et M. Cadotte ignore comment cela a été payé au parti politique.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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