Corruption: le responsable du financement d’Union Montréal était au courant des travaux publics

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Publié 26/03/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 14h20 HAE, le 28 mars 2013.

MONTRÉAL – L’ex-directeur du financement d’Union Montréal, Bernard Trépanier, a fini par admettre, jeudi devant la Commission Charbonneau, avoir reçu des informations privilégiées de la part de Robert Marcil, afin de les transmettre à des firmes de génie-conseil.

Interrogé par le procureur chef adjoint de la commission, Me Denis Gallant, M. Trépanier a admis que l’ex-directeur de la réalisation des travaux à Montréal l’informait des projets à venir et du moment de leur réalisation. M. Trépanier communiquait ensuite ces informations aux firmes de génie.

«Est-ce qu’on peut considérer que c’est de l’information jugée confidentielle? Que cette information-là, M. Marcil aurait dû la garder pour lui?» lui a demandé Me Gallant.

«Peut-être… Je ne peux dire… C’est un avantage que j’avais de le savoir», a fini par admettre M. Trépanier.

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«Et voilà!» s’est exclamé Me Gallant.

Des informations utiles

M. Trépanier a assuré que M. Marcil ne lui disait toutefois pas le coût estimé des projets par la Ville.

M. Trépanier a lui-même admis que ces informations lui facilitaient la tâche pour pouvoir ensuite solliciter des contributions politiques auprès des firmes de génie-conseil.

«Vous savez que quand on fait du financement sectoriel, la loi électorale est bafouée, ultra bafouée. Ce qui est important pour vous, c’est des chèques. Que ça soit Joe Tartempion qui soit écrit sur le chèque ou que ce soit Monica Lewinsky ou n’importe qui qui soit écrit sur le chèque, ça vous importe peu. Ce qui est important c’est de remplir vos objectifs (de financement). On est d’accord?» a demandé Me Gallant.

«Exact», a simplement répondu M. Trépanier.

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Me Gallant a relevé que chaque fois que M. Marcil siégeait lui-même à un comité de sélection, il y avait un appel téléphonique entre MM. Trépanier et Marcil. Les relevés téléphoniques déposés devant la commission le démontrent.

Monsieur 3%

Mercredi, Bernard Trépanier, a nié avoir instauré un système de ristourne de trois pour cent sur la valeur des contrats obtenus avec la Ville de Montréal dans les années 2000.

Il a également nié avoir été à l’origine d’un système de partage des contrats entre firmes de génie, comme l’ont affirmé d’autres témoins devant la commission.

Mais il a reconnu avoir réclamé de l’argent aux firmes de professionnels et entrepreneurs qui avaient des contrats avec la Ville de Montréal. Cette sollicitation, cependant, ne se faisait que par la vente légitime de billets pour des activités de financement, et cela était généralement payé par chèque, a-t-il assuré.

Il a aussi reconnu avoir réclamé 200 000 $ à de grandes firmes de génie et 100 000 $ à des moyennes, comme l’avait précisé l’ingénieur Michel Lalonde, de Génius, mais M. Trépanier étale cette contribution sur quatre années plutôt que seulement pour l’année électorale de 2005.

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M. Trépanier a soutenu n’avoir fait que son travail, lui qui était directeur du financement du parti, de 2004 à 2008, bien qu’il n’ait été rémunéré que de 2004 à 2006. Quant à la contribution de trois pour cent, qui a inspiré son surnom de Monsieur trois pour cent, «c’est impossible» selon lui, parce que «ça fait beaucoup de sous».

Sa compagnie Bermax

M. Trépanier a quand même qualifié de «menteur» M. Lalonde pour son témoignage devant la commission.

Et quand certains payaient leurs billets d’activité de financement en argent comptant, cet argent était remis dans le chapeau, a-t-il assuré.

Néanmoins, le procureur chef adjoint de la Commission Charbonneau, Me Denis Gallant, a fait état dans son interrogatoire de plusieurs milliers de dollars versés à sa compagnie Bermax par des entreprises ayant des contrats avec la Ville de Montréal, notamment dans le secteur du génie.

Me Gallant l’a notamment questionné sur un chèque de 12 000 $ de l’entreprise de construction Louisbourg, d’Antonio Accurso, qui aurait transité par le compte de son entreprise personnelle Bermax. Mais M. Trépanier a dit ne pas s’en rappeler.

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Le procureur l’a également interrogé à propos d’un chèque de 40 000 $ versé par le laboratoire Inspec-sol à son entreprise Bermax. Cette fois, M. Trépanier a dit que cela était possible.

La commission cherche maintenant à savoir quel genre de travail faisait M. Trépanier pour de tels montants, surtout que pendant une certaine période, il était également rémunéré à hauteur de 82 000 $ par année par Union Montréal, le parti au pouvoir à Montréal.

M. Trépanier a dit avoir alors fait du développement des affaires, du maraudage, parce que l’entreprise était intéressée à faire des acquisitions. Mais Me Gallant a laissé entendre que plusieurs étaient intéressés par son carnet de numéros de téléphone d’élus, d’entreprises de construction et de firmes de génie et autres.

M. Trépanier a admis avoir servi de «middle man», selon l’expression utilisée par Me Gallant, mais n’a pas apprécié le terme «bagman» qu’il lui suggérait. «Bagman, c’est un gros mot», a protesté le témoin.

Double emploi

Bernard Trépanier a facturé plus de 900 000 $ à la firme de génie Dessau de 2002 à 2010, en plus de toucher son salaire annuel de 82 000 $ de la part du parti politique de 2004 à 2006.

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Le procureur chef adjoint de la Commission Charbonneau, Me Denis Gallant, a déposé mardi une lettre obtenue de Dessau, décrivant le travail d’alors de M. Trépanier comme en étant un de représentation pour Dessau auprès des municipalités.

M. Trépanier avait alors sa firme Bermax, «pour Bernard au maximum», a précisé le témoin, qui faisait du travail de démarchage, et qui avait plusieurs clients, dont Dessau.

Mais M. Trépanier a catégoriquement nié avoir fait un tel travail auprès des municipalités. «Je n’ai jamais fait de représentation pour la firme Dessau dans d’autres municipalités.»

Il a plutôt attribué cette facture d’honoraires d’environ 100 000 $ à un travail pour aider Dessau à obtenir sa qualification pour des mandats avec Aéroports de Montréal (ADM), a-t-il expliqué. M. Trépanier connaissait un homme ayant déjà travaillé à Transport Canada, qui avait pu les aider à préparer la documentation requise. Et M. Trépanier versait à son tour à cet intermédiaire une somme d’environ 5000 $ «une fois par deux mois».

Me Gallant a déposé un relevé des factures envoyées à Dessau, soit par M. Trépanier lui-même, soit par Bermax, son entreprise personnelle. Ce relevé fait état d’un total d’environ 688 015 $ pour Bermax et 218 412 $ pour M. Trépanier.

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Le procureur a douté du fait que Dessau ait payé 900 000 $ à M. Trépanier sur plusieurs années «uniquement pour ça», pour un simple travail de soutien pour se faire qualifier auprès d’ADM. Mais M. Trépanier a défendu l’importance de son travail. «Lorsqu’ils étaient qualifiés, ils étaient garantis pour X montant de chiffre d’affaires!» s’est-il exclamé.

Première nouvelle pour Dassau

La firme Dessau a pour sa part réagi aux propos de M. Trépanier en affirmant, par voie de communiqué, que sa direction – incluant son président et chef de la direction Jean-Pierre Sauriol – n’a pris connaissance de l’existence de ces paiements que lors du témoignage de Rosaire Sauriol à la Commission Charbonneau, le jeudi 21 mars dernier.

«Toute la direction de Dessau, à l’exception de M. Rosaire Sauriol, ignorait tout de l’existence de ces paiements, de même que de la nature des services rendus», a précisé la firme dans son communiqué.

Rosaire Sauriol a démissionné lundi de son poste de vice-président principal chez Dessau, quelques jours après son témoignage devant la Commission Charbonneau.

Dessau n’était pas le seul client de la firme Bermax et de M. Trépanier. Il a également eu à différents moments Tecsult et SM dans le domaine du génie, de même que Octane, dans le domaine des communications.

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«J’étais ouvreur de porte», a-t-il résumé. Bermax faisait du démarchage, «du lobbying», à au moins 100 $ l’heure, mais il ne s’est jamais inscrit au registre des lobbyistes, a-t-il admis. Il demandait en plus une commission s’il réussissait à obtenir un contrat pour son client.

Une affaire de famille

Auparavant, M. Trépanier avait expliqué comment il en était venu à faire de la politique pour des gens qu’il considère comme sa famille.

D’abord organisateur pour des conservateurs fédéraux, il s’est ensuite engagé dans plusieurs élections municipales à Laval pour Gilles Vaillancourt, puis à Saint-Jérôme, Boisbriand, Rosemère, Longueuil pour le maire Claude Gladu, en plus d’élections complémentaires à Le Gardeur, Repentigny, Saint-Laurent, puis finalement Saint-Léonard, où il a rencontré le maire d’alors, Frank Zampino.

Il a été rémunéré pour chacune de ces élections, sauf à Saint-Léonard et Laval.

Dans les municipalités où il a été rémunéré, il a généralement été payé en argent comptant, mais une partie en chèque et une partie en argent comptant à Boisbriand, et seulement par chèque à Rosemère.

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Quand il a travaillé pour Frank Zampino, il ne réclamait rien. «Un chum, c’est un chum», s’est-il exclamé devant la juge France Charbonneau qui lui demandait pourquoi il n’était alors pas rémunéré à Saint-Léonard.

«C’était une affaire de famille. On était là pour s’amuser», a résumé l’homme de 74 ans, qui a précisé avoir «encore de la mèche» à son âge.

Et à Laval non plus il n’a pas été payé, ni par le maire de l’époque, Gilles Vaillancourt, ni par quelqu’un d’autre de son équipe, a-t-il affirmé.

En 2001, M. Trépanier s’est engagé auprès de l’Union des citoyens de Montréal, «l’ancêtre» d’Union Montréal, pour faire gagner l’équipe (Gérald) Tremblay-Zampino. M. Zampino est ensuite devenu président du comité exécutif de la Ville de Montréal.

C’est à cette époque aussi que M. Trépanier a connu le jeune Tony Tomassi, déjà intéressé à la politique, et qui allait devenir ministre de la Famille dans le gouvernement de Jean Charest, des années plus tard.

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Élections clé en main

Avant 2004, a-t-il témoigné, il ne faisait pas de financement et ne voulait même pas toucher à ça. C’était alors l’époque des élections clé en main, a-t-il témoigné.

Dans ce concept des élections clé en main, y avait-il de faux bénévoles? lui a demandé le procureur chef adjoint de la commission, Me Denis Gallant. «Moi je ne l’ai pas vu», a répondu M. Trépanier.

Il a toutefois dû admettre que lui-même était alors présenté comme un «bénévole d’élection», alors qu’il était rémunéré, et généralement en comptant.

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