Corruption: le maire de Montréal savait qu’il y avait deux budgets de campagne

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 29/10/2012 par Lia Lévesque et Martin Ouellet (La Presse Canadienne)

à 17h18 HAE, le 30 octobre 2012.

MONTRÉAL _ Martin Dumont, ancien organisateur politique d’Union Montréal, a soutenu mardi devant la Commission Charbonneau que le maire de Montréal, Gérald Tremblay, était présent lorsqu’il a été question du financement truqué d’une élection partielle dans Saint-Laurent, en décembre 2004.

M. Dumont, qui était organisateur en chef de cette élection complémentaire, s’inquiétait de dépasser le budget maximal de 46 000 $, voyant des dizaines de soi-disant bénévoles affluer pour travailler au comité électoral. Il constatait aussi d’autres irrégularités.

Il avait donc demandé des comptes à l’agent officiel Marc Deschamps, devant le maire de Montréal et chef du parti, Gérald Tremblay. C’est alors que M. Deschamps lui avait dit de ne pas s’inquiéter. Il a sorti une feuille illustrant deux colonnes de chiffres, le budget dit officiel et le budget dit officieux.

Le budget officiel respectait le plafond et atteignait 43 000 $, à deux semaines du scrutin, mais le budget réel ou officieux atteignait déjà 96 000 $, soit plus du double du plafond permis.

Publicité

Lors de cet incident, le maire Tremblay se serait levé, aurait dit « je n’ai pas à savoir ça » et aurait quitté la salle, a rapporté le témoin Dumont. Ultimement, cette élection partielle aura coûté 110 000 $ à Union Montréal, alors que le plafond permis était de 46 000 $.

Interrogé par le procureur de la Commission, Me Denis Gallant, qui lui demandait s’il croyait que le maire était au courant du financement illégal de son parti, M. Dumont a eu cette réponse laconique: « oui ». Et c’est alors qu’il a raconté cet exemple de l’élection complémentaire de décembre 2004, qui visait ironiquement à remplacer deux conseillers reconnus coupables d’avoir reçu des pots-de-vin.

M. Dumont a raconté plusieurs autres incidents au cours desquels des enveloppes d’argent comptant ont circulé, notamment une enveloppe de 10 000 $ remise par l’entrepreneur en construction Niccolo Milioto devant un urinoir.

Lors d’une de ces activités de financement, le responsable du financement du parti, Bernard Trépanier, lui aurait même dit que sa veste n’arrivait plus à fermer lors de la prise d’une photo officielle, tant elle contenait d’enveloppes d’argent.

La présidente de la Commission, France Charbonneau le commissaire Renaud Lachance et le procureur de la Commission lui ont tous demandé pourquoi il n’avait pas parlé au maire Tremblay de ces irrégularités, puisque le maire lui avait déjà dit que son bureau était toujours ouvert pour lui, lorsqu’il a travaillé dans son cabinet. « Qui m’aurait cru? » s’est exclamé M. Dumont.

Publicité

En conférence de presse pour présenter le budget de la Ville, mardi, le maire Tremblay a nié les affirmations de M. Dumont. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est totalement faux », a-t-il lancé, avant d’ajouter qu’il ne voulait plus répondre à ce genre de questions.

« Je vous demanderais de respecter mon processus de maire de Montréal. Je suis en train de travailler pour la ville de Montréal », a-t-il conclu, en dressant la liste de ses activités de la semaine.

Le coffre-fort ne pouvait plus fermer

Lundi, M. Dumont a affirmé qu’il n’avait jamais vu autant d’argent de sa vie, le jour où le directeur du financement du parti, Bernard Trépanier, lui a demandé son aide pour tenter de fermer le coffre-fort qu’il n’arrivait plus à fermer tout seul, en 2004.

« Je me souviens des couleurs que j’ai vues: rouge, brun, rose », s’est exclamé le témoin, devant la Commission Charbonneau, lundi. « Ça m’a pas mal ébranlé. »

M. Dumont a relaté que ce soir-là, il a vu dans le coffre-fort situé dans la permanence du parti plein de billets de 50 $, 100 $ et 1000 $, au point où Bernard Trépanier n’arrivait plus à fermer tout seul le coffre-fort de deux pieds de hauteur par deux pieds de largeur.

Publicité

M. Trépanier a retiré quelques liasses et les deux hommes sont parvenus, à deux, à fermer la porte du coffre-fort.

À la blague, il lui a dit de s’en procurer un plus grand. Deux semaines plus tard, le responsable du financement de l’Union des citoyens de l’île de Montréal _devenue Union Montréal _ s’en était procuré un de quatre pieds par quatre pieds, a-t-il relaté.

M. Dumont, qui ne devait pas s’occuper de financement, vu son poste d’organisateur, était néanmoins appelé en renfort pour d’autres tâches à l’occasion.

Au printemps 2004, lors de la période d’élaboration des registres des camps du oui et du non, avant les référendums sur les défusions municipales, il a ainsi pu voir un groupe de 14 entrepreneurs en construction ou représentants de firmes de génie-conseil rencontrer le maire de Montréal Gérald Tremblay, chef du parti, et le président du comité exécutif d’alors, Frank Zampino.

Chacun avait payé 10 000 $ pour un petit-déjeuner. Et cela était légal, lui a-t-on signifié, bien que les chèques étaient au nom des entreprises et que les montants étaient considérables.

Publicité

Le jour du petit-déjeuner au Club St-Denis, il a vu 14 entrepreneurs ou représentants des firmes de génie-conseil. Les enveloppes contenant chacune un chèque de 10 000 $ étaient identifiées au nom des entreprises et étaient libellées au nom du parti.

Le seul nom d’entrepreneur dont il se souvient est Niccolo Milioto, qui lui a dit « appelle-moi Monsieur Trottoirs », parce qu’il n’arrivait pas à prononcer correctement son nom de famille.

Deux jours plus tard, il s’est rendu chez Garnier Construction, à Saint-Laurent, pour prendre à la réception le chèque d’un quinzième entrepreneur, qui n’avait pu se rendre au petit-déjeuner, mais avait tout de même fait sa contribution.

Il a partiellement entendu les échanges entre les entrepreneurs et le maire Tremblay, lors du petit-déjeuner sous forme de buffet. Le maire remerciait les gens présents de se soucier de l’avenir de Montréal et de croire, comme lui, que les défusions étaient « une mauvaise chose » pour Montréal.

Les entrepreneurs ont dit apprécier grandement la collaboration de l’équipe de Gérald Tremblay et aimaient particulièrement le président du comité exécutif, Frank Zampino, avec qui il était « toujours facile d’entrer en contact », a rapporté M. Dumont. Ils parlaient aussi de « synergie ».

Publicité

Mais les entrepreneurs ont aussi fait part des « doléances » qu’ils ont formulées, dans le passé, concernant « le partage de la job ». M. Dumont n’a pas sourcillé en entendant parler de partage du travail ou de contrats entre les entrepreneurs. « Je n’ai pas compris que quelque chose clochait », a-t-il répondu au commissaire Renaud Lachance qui l’a interrogé à ce sujet.

Et quand les entrepreneurs relataient leurs doléances, le maire Tremblay leur répondait: « parlez à Zampino, c’est lui qui s’en occupe ».

M. Dumont se souvient également du tutoiement qui l’avait étonné pendant le petit-déjeuner. « C’était Gérald, c’était Frank. »

Pression de Québec

Des voix se sont élevées mardi à l’Assemblée nationale pour réclamer le départ de Gérald Tremblay, accentuant encore un peu plus la pression sur le maire de Montréal.

Le député Jacques Duchesneau, de la Coalition avenir Québec (CAQ), a soutenu que M. Tremblay n’avait plus sa place à la tête de l’administration de la plus grande ville du Québec.

Publicité

Les témoignages compromettants entendus ces derniers jours à la Commission Charbonneau _ à propos du financement du parti du maire, Union Montréal _ ont fait perdre à M. Tremblay sa légitimité de premier magistrat, a affirmé l’ancien chef de police et ex-candidat à la mairie de Montréal, en point de presse.

«Il est clair, avec tout ce qu’on entend, qu’il n’a plus la légitimité, sa place n’est plus là. Il devrait à tout le moins se retirer et attendre les conclusions de la Commission Charbonneau», a-t-il dit.

À ses côtés, son chef, François Legault, a confié qu’il ne croyait plus en la capacité du maire de gérer avec probité l’argent des Montréalais.

«Avec tout ce que j’ai entendu, je n’ai pas confiance que l’argent des contribuables montréalais est bien dépensé et je pense que le gouvernement de Mme Marois doit (faire) le même constat», a déclaré le leader de la CAQ.

Selon lui, M. Tremblay ne peut plus se défiler et doit prestement rendre des comptes sur les allégations de financement illégal touchant Union Montréal.

Publicité

Le maire doit notamment expliquer comment des liasses d’argent liquide ont pu lui passer sous le nez, a ajouté M. Legault, s’appuyant sur le témoignage devant la commission d’un ancien organisateur d’Union Montréal, Martin Dumont.

«Il va falloir qu’il réponde aux questions parce que les allégations sont tellement graves. Comment se fait-il qu’il n’était pas au courant qu’il y avait un coffre-fort dans le bureau de M. Trépanier (Bernard Trépanier, responsable du financement d’Union Montréal) et que ce coffre-fort a été changé pour un plus grand parce qu’il n’y avait plus de place pour l’argent comptant?», a-t-il soulevé.

M. Legault a dit s’attendre à ce que le gouvernement Marois somme le maire de la métropole de mettre cartes sur table, soit devant une commission parlementaire, soit directement au ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault.

À son avis, aucune mesure ne doit être écartée pour assurer un retour à la saine gestion de l’argent des contribuables montréalais, y compris la mise en tutelle de la ville.

L’impatience grandit également dans les rangs libéraux. La situation du maire Tremblay deviendra insoutenable s’il persiste à garder le silence, a argué le chef intérimaire de l’opposition officielle, Jean-Marc Fournier.

Publicité

«L’heure a sonné pour qu’il donne des explications très claires aux contribuables, aux citoyens, et s’il ne le fait pas, la situation sera insoutenable. Avec ce qui s’est ajouté comme éléments les uns après les autres, on est rendu au moment des explications», a-t-il statué.

Du côté du gouvernement, le ministre responsable de la métropole, Jean-François Lisée, a lui aussi haussé le ton. Sans réclamer ouvertement la démission ou le retrait temporaire du maire, le ministre a jugé que la situation dans laquelle est plongée l’administration municipale ne peut plus durer.

«On est en face de révélations troublantes, troublantes pour nous, pour les citoyens de Montréal, pour les élus de Montréal. Le statu quo est intolérable, intolérable», a-t-il insisté.

Quant à elle, la première ministre Pauline Marois n’a pas dérogé de la ligne officielle qu’elle a adoptée jusqu’à présent dans ce dossier. Le maire Tremblay doit réfléchir à son avenir politique et tirer les conclusions qui s’imposent, a-t-elle signifié.

«Je ne veux pas faire de commentaire à ce moment-ci. J’ai toujours dit que c’était à M. Tremblay de prendre sa décision, de réfléchir à ce qui se passe actuellement et sûrement que c’est à lui de répondre», a dit Mme Marois au sortir d’une réunion des élus péquistes.

Publicité

* * *
D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur