Corruption: la complexité du système favorisait les magouilles

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 19/03/2013 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 16h56 HAE, le 19 mars 2013.

MONTRÉAL – La Ville de Montréal a une façon de fonctionner inutilement compliquée, qui peut être de nature à favoriser les stratagèmes, a laissé entendre le président de la firme de génie BPR, Pierre Lavallée, devant la Commission Charbonneau, mardi.

«Des fois, ça a l’air simple et tu ne comprends pas comment ça se fait qu’ils ont rendu ça complexe. Il y en a qui aiment les systèmes complexes par incompétence. Et ça a sûrement favorisé tout le bordel de collusion et de corruption, parce que ça devient facile, dans un système qui a tellement l’air perdu», a résumé M. Lavallée.

Le président de BPR a longuement expliqué à la commission qu’à Montréal, tout est plus compliqué: il y a trop de réunions, trop de personnes qui peuvent ensuite changer une décision prise, trop de délais pour arrêter une décision. Montréal a même un modèle, une classe de tuyaux de fonte qui lui est propre, a-t-il rapporté.

«Moi je travaille à Paris, San Francisco, New York et (Montréal) c’est pas mal dans les plus complexes. C’est même complexe quand ils se parlent entre services. J’ai vu des gens du service de l’eau avoir de la misère à obtenir une information économique du service des finances», a relaté M. Lavallée.

Publicité

Il a donné un exemple précis. «Comment ça se fait que ça prend 18 mois pour décider de la largeur des trottoirs sur la rue McGill?» s’est-il exclamé.

La juge France Charbonneau lui a demandé si la cause était de l’incompétence ou s’il s’agissait d’une façon de rendre les choses plus complexes qu’elles le sont en réalité, afin d’embourber le processus, d’allonger les délais, de faire gonfler la facture, de mieux faire passer des extras.

M. Lavallée a semblé acquiescer à la seconde affirmation de la juge, soit que les façons de faire plus compliquées à Montréal peuvent servir d’autres intérêts.

Manque de garde-fou

Plus tôt en matinée, M. Lavallée avait expliqué que c’est le manque de garde-fous et d’organismes auxquels se plaindre qui ont fait que son entreprise a continué de participer aux stratagèmes de collusion et de contributions politiques, malgré sa réticence à le faire.

M. Lavallée avait laissé entendre que la création de la commission a été une forme de soulagement pour lui. Aujourd’hui, s’il était confronté à semblable situation, il saurait où se plaindre et quoi faire.

Publicité

Mais à l’époque où BPR a participé au stratagème de collusion entre les firmes de génie, durant les années 2000, elle l’a fait parce qu’elle craignait de ne pas avoir de contrats si elle refusait.

Il a admis que BPR n’a pas suffisamment réfléchi aux conséquences, a participé au système croyant ne pas pouvoir faire autrement.

Liens avec un sénateur

Pierre Lavallée a aussi été interrogé sur le sénateur conservateur Leo Housakos.

Les commissaires ont demandé à M. Lavallée s’il connaissait les liens qu’entretenait le sénateur conservateur Leo Housakos avec le parti Union Montréal, qui aurait prétendument reçu les pots-de-vin. On lui a aussi posé des questions sur le rôle de M. Housakos au sein de l’Action démocratique du Québec (ADQ).

M. Housakos a travaillé à la campagne à la mairie de Gérald Tremblay, du parti Union Montréal, et au sein de son administration en 2001 et 2002. Il est plus tard devenu responsable du financement à l’ADQ.

Publicité

M. Lavallée a répondu qu’il ne connaissait pas M. Housakos avant 2008, lorsqu’il l’a embauché pour prendre la direction d’une filiale de BPR. «On s’était entendu avec lui à la fin de décembre 2008 (…) et il y a un premier ministre qui lui offre un job de sénateur après», a témoigné M. Lavallée.

«Et puisque vous voulez compléter l’histoire, à l’époque, l’emploi — je ne devrais peut-être pas dire ça comme ça — un sénateur semblait un emploi de sinécure. Et donc conséquemment, il (M. Housakos) (était allé) vérifier auprès du conseiller à l’éthique qu’il avait le droit de continuer un emploi, et que le sénateur était une tâche qui ne prenait pas beaucoup de son temps», a ajouté le témoin.

Mais il est plus tard devenu clair que l’emploi de M. Housakos chez BPR était incompatible avec son poste de sénateur, et sa collaboration avec l’entreprise a pris fin à l’été 2009, a continué M. Lavallée.

BPR avait précédemment fait savoir au responsable de l’éthique du Sénat que l’emploi de M. Housakos avait officiellement pris fin le 1er octobre 2009.

Blanchi par le Sénat

Plus tard en 2009, le responsable de l’éthique du Sénat a conclu que M. Housakos n’avait enfreint aucune règle dans ses liens avec BPR. Un consortium, dont faisait partie l’entreprise, avait obtenu un lucratif contrat fédéral pour le pont Champlain alors que le sénateur était toujours à l’emploi de la firme de génie.

Publicité

En mai 2009, M. Lavallée ainsi que des dirigeants de BPR et d’autres firmes de génie ont participé à une activité de financement du Parti conservateur, organisée notamment par M. Housakos. Le sénateur a affirmé à La Presse Canadienne plus tard cette année-là qu’il n’avait pas invité ses collègues de BPR à l’événement, et qu’il avait seulement appris après coup qu’ils y assistaient.

Il a indiqué aux responsables de l’éthique du Sénat qu’il n’avait jamais discuté de contrats fédéraux ou d’affaires avec les gens de BPR, et qu’il ne savait même pas que la firme participait à l’appel d’offres pour le pont Champlain.

Ce n’est pas la première fois que le nom du sénateur conservateur est prononcé à la Commission Charbonneau. Selon d’autres preuves présentées à la commission, M. Housakos avait rencontré deux entrepreneurs en construction au club privé 357C du Vieux-Montréal en 2007 et en 2008, alors qu’il travaillait pour l’ADQ. L’un de ces entrepreneurs, Paolo Catania, fait face à des accusations de fraude.

M. Housakos soutient que l’on ternit sa réputation par association, et veut savoir pourquoi il a été question de lui devant la commission d’enquête. «Lorsque l’on rencontre des gens et que l’on interagit avec eux, on ne présume pas que dans deux, trois ou cinq ans, ils vont être accusés de crime sérieux», se défendait-il en novembre à La Presse Canadienne.

«Quand j’ai rencontré ces gens-là, je n’avais aucune raison de croire que trois ou quatre ans plus tard, les choses qui sont ressorties ressortiraient.»

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur