Corruption: entrepreneurs et ministres au chic Club 357C

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Publié 27/11/2012 par Lia Lévesque et Jocelyne Richer (La Presse Canadienne)

à 19h54 HNE, le 28 novembre 2012.

MONTRÉAL – Les audiences automnales de la Commission Charbonneau ont pris fin, mercredi après-midi, avec le témoignage d’un enquêteur de la commission sur la liste des membres du club privé 357C et de leurs invités.

L’enquêteur Érick Roy, qui vient de l’escouade Marteau, a confirmé la présence des ex-ministres libéraux Line Beauchamp et Tony Tomassi au chic Club 357C de Montréal.

Mme Beauchamp y est identifiée comme invitée à deux occasions, en février et mai 2007, par le membre du club privé Rosaire Sauriol, vice-président de la firme de génie Dessau, a indiqué le policier. Lors de la première invitation, Mme Beauchamp était ministre de la Culture et des Communications, et lors de la seconde, ministre de l’Environnement.

Les deux fois elle était accompagnée de Pierre Bibeau, un vieux routier et organisateur du Parti libéral du Québec qui a été son conjoint.

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D’autres personnes assistaient à ces rencontres, notamment Frank Zampino, ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Bernard Trépanier, argentier du parti Union Montréal, et l’entrepreneur Paolo Catania, de Constructions Frank Catania. D’autres représentants des firmes de génie Dessau, Cima +, BPR et Génius étaient présents.

L’ex-ministre de la Famille Tony Tomassi, de son côté, a été invité en février 2008 par le membre du club privé Paolo Catania. À l’époque, M. Tomassi était député libéral de Lafontaine et adjoint parlementaire du premier ministre. Il a aussi été invité en février 2009 par l’entrepreneur Paolo Catania, lorsqu’il était cette fois ministre de la Famille.

Contre-interrogé par l’avocat du Parti libéral du Québec, Me Michel Décary, le policier a admis qu’il ne pouvait présumer de la teneur des discussions qui y ont eu lieu, ni du but des rencontres, ni de la durée réelle de ces rencontres.

Cette liste est bel et bien une liste d’invitations, pas un registre de présences, a-t-il affirmé, ajoutant que parfois, quand la personne invitée ne se présentait pas, la mention «no show» était inscrite.

«Êtes-vous en mesure d’affirmer que l’événement est lié de quelque manière à l’attribution ou à la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction?» lui a demandé Me Décary. «Non», a simplement répondu le policier Roy.

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L’enquêteur a aussi admis qu’il ne pouvait pas non plus dire si la rencontre en question au club privé avait trait au financement du Parti libéral du Québec, même si Pierre Bibeau «était quand même un ex-organisateur du Parti libéral du Québec».

Autres noms

Parmi les autres noms connus qui paraissent sur la liste des invités des membres du club privé, on note le sénateur conservateur Léo Housakos, qui n’était toutefois pas encore sénateur lorsqu’il a été invité en mai 2007 par Bernard Poulin, de la firme de génie Groupe SM. M. Housakos a aussi été invité en avril 2008 par Paolo Catania. Il a présidé le comité de financement de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et a oeuvré au sein de la firme de génie BPR.

M. Housakos fait aussi partie des membres de ce club sélect et, à ce titre, en juin 2007, il a invité 11 autres personnes pour un cocktail pour l’ADQ, dont l’entrepreneur Joe Borselino, de Garnier Construction.

On remarque aussi Marc Deschamps, trésorier d’Union Montréal, qui a été invité par Paolo Catania en 2007, et encore par le même entrepreneur en construction en mars 2011. Il a été agent officiel de la Coalition avenir Québec en 2011 et 2012.

L’ancien chef de Vision Montréal et maire de l’arrondissement Ville-Marie, Benoît Labonté, a été invité au club par Paolo Catania en avril 2008.

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D’autres élus municipaux ou libéraux ont aussi été invités au Club 357C par des membres du club privé, comme Claude Dauphin, maire de l’arrondissement de Lachine, invité par l’entrepreneur Paolo Catania en mars 2007, et Joël Gauthier, un ancien directeur général du PLQ et ancien président de l’Agence métropolitaine de transport, aussi invité par Paolo Catania en février 2007.

On note aussi sur cette liste une série de rencontres rapprochées de plusieurs personnes qui ont ensuite été accusées dans le cadre du contrat du Faubourg Contrecoeur, à Montréal. Le terrain a été vendu à une valeur bien moindre que son évaluation.

Élio Pagliarulo, ex-ami et associé de Paolo Catania, avait témoigné devant la Commission du fait qu’il y avait échange d’argent dans ce club sélect. Lui-même a d’ailleurs été invité dans ce club privé par Paolo Catania.

Libéraux et Péquistes refusent de blâmer leurs ministres

De nombreux élus péquistes et libéraux ont fréquenté le chic club privé 357C à Montréal pour y faire des rencontres de nature politique, et ils n’y voient, en général, aucun problème.

Les libéraux ont donc refusé de blâmer l’une des leurs, l’ex-ministre de l’Environnement, Line Beauchamp, citée mercredi à la Commission Charbonneau pour s’être rendue à deux reprises au club privé afin d’y rencontrer des hauts placés à la ville de Montréal, des entrepreneurs et des dirigeants de firmes de génie-conseil. À l’une de ces rencontres, était présent l’entrepreneur en construction Paolo Catania, accusé par la suite de fraude et de complot.

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Dans un communiqué, l’ex-ministre affirme que même si les apparences peuvent paraître trompeuses, elle a toujours agi avec un souci d’intégrité. Elle dit se mettre à la disposition de la Commission Charbonneau, si cette dernière veut entendre sa version des faits.

En entrevue téléphonique, l’ex-vice-première ministre a dit assumer pleinement tous ses actes, toutes ses décisions, et assure qu’elle n’a jamais cédé à l’influence indue de quiconque dans l’exercice de ses fonctions.

«Je ne suis pas une marionnette. Il n’y a personne qui n’a jamais tenu ma main quand j’ai apposé ma signature, quand j’ai pris une décision. Il n’y a personne qui était un ventriloque et qui me faisait parler dans un micro en me soufflant les mots. J’assume tout ce que j’ai fait», a déclaré Mme Beauchamp, en rappelant que c’est elle-même qui avait sollicité les rencontres au 357C.

«J’ai sollicité ces rencontres parce que c’étaient des acteurs du milieu économique importants à Montréal. Mais j’ai aussi sollicité des rencontres provenant de différents milieux», a-t-elle dit, persuadée que c’était une approche préférable à celle consistant à s’enfermer dans son bureau de ministre, en se coupant du terrain.

«Je suis une femme libre, une femme de principes», a-t-elle ajouté, soucieuse de défendre son intégrité.

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Le chef par intérim du Parti libéral du Québec, Jean-Marc Fournier, a dit que cela faisait partie des tâches de ministre de se rendre dans ce genre d’endroits pour y rencontrer des gens de divers horizons.

Le député et candidat au leadership libéral Pierre Moreau s’est rendu à plusieurs reprises au 357C «avec des amis», mais il soutient n’avoir jamais discuté de politique à cet endroit. «L’important, c’est de savoir quel est l’objectif de ces rencontres-là, qui est-ce qu’on voit et quels sont les sujets qui sont discutés», a-t-il dit, en point de presse.

L’ex-ministre du Dévelopement durable, Pierre Arcand, en a été membre. Un autre ex-ministre libéral, Sam Hamad, s’y est rendu pour rencontrer le porte-parole de l’industrie du gaz de schiste, l’ex-premier ministre Lucien Bouchard. Ce dernier y a aussi croisé la première ministre Pauline Marois.

La première ministre Marois a dit s’y être rendue à plusieurs reprises et tout récemment, notamment pour s’entretenir avec des chefs syndicaux, de même qu’avec un groupe de 15 jeunes entrepreneurs «pour les consuter sur les orientations que nous voulons prendre».

«Tout le monde qui sera allé là ne peut pas être accusé d’être allé là pour se faire acheter, là ça devient complètement inacceptable. J’espère que les gens feront la nuance», a dit Mme Marois, lors d’un bref point de presse.

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Le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, y a été invité à deux reprises par l’ex-premier ministre Bouchard, qu’il décrit comme un ami.

C’est le seul élu à avoir formulé des réserves, mercredi, sur les repas partagés au 357C entre ministres et entrepreneurs. Son commentaire semble même contredire celui de la première ministre, car selon lui «des ministres en fonction ne devraient pas manger avec des entrepreneurs en construction, ni là, ni ailleurs», de crainte qu’ils veuillent influencer le gouvernement.

Il a fait valoir que ce type de contacts devait toujours se faire à visage découvert dans le cadre de la loi sur le lobbyisme.

Québec solidaire partage ce point de vue et demandera au Commissaire au lobbyisme de faire enquête en vue de déterminer s’il était légal de voir des ministres accepter l’invitation d’entrepreneurs de se rendre au Club 357C, et si cela pouvait être assimilé à une «communication d’influence» régie par la loi.

La ministre du Travail, Agnès Maltais, elle aussi s’est pointée «récemment» à ce club sélect. «J’ai exigé de payer ma facture», a-t-elle dit, sans préciser qui l’avait invitée.

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Sur la liste des invités au club et des membres du club, figure aussi le nom du sénateur Léo Housakos.

Avant d’être nommé sénateur, il a été invité au club par une firme de génie-conseil. Dans le passé, M. Housakos a présidé le comité de financement de l’Action démocratique du Québec (ADQ), qui a fusionné avec la Coalition avenir Québec.

M. Housakos a aussi été membre du club sélect et, en juin 2007, a invité 11 autres personnes pour un cocktail pour l’ADQ, dont l’entrepreneur Joe Borselino, de Garnier Construction.

En entrevue à La Presse Canadienne, M. Housakos a dit qu’il connaissait assez bien M. Catania pour recevoir, par son entremise, une invitation pour se joindre au club, situé dans la Vieux-Montréal. Il a ajouté qu’il a rencontré Tony Accurso, autre magnat de la construction, «quatre ou cinq fois» par année pendant une décennie et a fréquenté un restaurant appartenant à M. Accurso près de son domicile à Laval.

Rien de ça n’est illégal, a noté M. Housakos. Et cela ne signifie pas non plus qu’il était au courant des accusations criminelles qui allaient un jour être portées contre ses associés.

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«Je crois que nous tous, si nous avions su les choses que nous savons aujourd’hui il y a 20, 10 ou cinq ans, nous aurions probablement réagi différemment», a déclaré M. Housakos lors de l’entrevue.

«Mais quand vous interagissez avec des personnes, que vous rencontrez des personnes, que vous parlez avec des personnes, vous ne supposez pas qu’ils seront accusés de crimes sérieux dans deux, trois ou cinq ans…

«Quand j’ai rencontré ces individus, je n’avais aucune raison de croire que, trois ou quatre ans plus tard, les choses qui sont sorties allaient sortir.»

Dans un communiqué, le Cabinet du Premier ministre a indiqué que les allégations provoquées par l’enquête étaient «très troublantes», mais qu’il ne voyait pas comment M. Housakos aurait pu être impliqué dans tout ça.

Le premier ministre Stephen Harper a répondu directement aux allégations alors qu’il se trouvait aux côtés du président désigné du Mexique, mercredi.

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Lors d’une conférence de presse conjointe, on a demandé à M. Harper s’il avait toujours confiance en son sénateur. M. Harper a répondu en citant un proverbe sur les rumeurs: «J’ai vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours».

Le Club s’explique

De son côté, le Club 357C a publié un communiqué mardi pour dire qu’il a collaboré avec la commission comme tout club de golf ou autre doit le faire, puisqu’il s’agit d’une instance judiciaire.

«Le 357C s’est donc entendu avec la Commission pour ne fournir que les informations reliées directement aux personnes qui étaient sous enquête, ceci afin de protéger la confidentialité des activités de tous les autres membres du 357C qui n’ont rien à voir avec l’enquête de la Commission», écrit-il.

«Il serait malheureux et inacceptable que les actions d’une très petite minorité des clients du 357C aient un impact négatif sur l’image du club et de ses membres», poursuit-il.

Le club privé souligne que ses règlements précisent qu’il «collaborera entièrement avec tout corps judiciaire légitime s’il y a enquête sur un des membres».

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Après avoir annoncé que le témoignage de l’enquêteur Roy a clos les audiences de l’automne, la présidente de la commission, la juge France Charbonneau, a précisé qu’elle fera une brève allocution jeudi matin.

Les audiences publiques reprendront le 21 janvier.

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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