Comment ne pas rendre service

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Publié 10/08/2010 par Jean-Luc Bonspiel

La bicyclette rend l’humain semblable à l’épervier en plein vol, lui permettant d’appliquer sa force d’une façon encore plus efficace que le rapace qui pique sur sa proie. Une fois qu’on a connu cette libération des distances en totale autonomie que constitue la pratique du vélo, on ne l’oublie jamais.

L’utopie perdue

Jusqu’en 2006, un système entièrement local et communautaire appelé BikeShare (1) offrait un réseau de location de bicyclettes dans le centre de Toronto.

Un abonnement annuel (20$) donnait le droit de louer à prix dérisoire (5$/jr) une bicyclette qu’on pouvait prendre et laisser dans près d’une trentaine de dépôts participants.

Le QG de BikeShare logeait dans un atelier de réparation dans un sous-sol d’église de la rue Queen et était génialement administré par des passionnés du vélo, formés par le volet réinsertion sociale du projet.

Les bicyclettes y étaient toutes recyclées et distinctives; chacune avait une personnalité, son nom ludique peint en noir sur son cadre jaune. BikeShare fut une expérience humanisante, offrant des emplois à des gens marginaux et un service de transport à coût minime pour tous.

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Mais ça ne brassait pas assez de cash et surtout – le pire des pêchés – le service s’adressait spécifiquement aux démunis qui en avaient le plus besoin. Vous comprendrez que ce n’est pas très vendeur. La ville a donc refusé de subventionner une initiative si peu éblouissante et si complètement dénuée de splendeur.

La vague Bixi

Comme les bagels et la viande fumée, Bixi nous arrive de Montréal pour aspirer notre argent à l’aide de nos propres taxes. C’est une compagnie privée conçue pour faire le plus d’argent possible et l’implantation de son système de bicyclettes libre-service n’aura lieu à Toronto qu’aux conditions suivantes (2):

1) La ville de Toronto prêtera 
4 800 000 $ à Bixi;

2) Une garantie de 2 520 000 $ sur trois ans en réductions de coûts et échanges de services sera accordée à Bixi;

3) La ville devra céder à Bixi au moins 160 places de stationnement au centre-ville pour créer 80 dépôts de bicyclettes sur la rue (une valeur annuelle de 6 400 000 $) (3).

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Si ces exigences ne sont pas rencontrées d’ici le 30 novembre, le projet torontois de Bixi tombe à l’eau.

La facture qui double et redouble

Il faudra donc que nous engagions collectivement plus de 13 000 000$ avant la fin de l’année pour avoir des bicyclettes disponibles en mai 2011.

Mais cela n’inclut pas les frais d’utilisation, car le modèle d’extraction de cash de Bixi prévoit une facturation à la ville et à l’usager.

L’abonnement à Bixi coûte 95$ par année, ce qui vous donne le droit d’être facturé 12$ par heure d’utilisation après les 90 premières minutes d’usage continuel. Encore un dédoublement de facture, tu parles d’une affaire!

Et qu’est-ce qui coûte si cher? Deux choses: la technologie de pointe conçue pour éliminer des emplois (mais qui coûte plus cher en bout de ligne) et les profits qui prendront le chemin de Montréal.

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Or, soit nos élus sont des incompétents qui donneront au premier venu tout ce qu’il demande, soit il y a anguille sous roche.

Il faut croire que le socialisme est bel et bien en pleine et vigoureuse action dans notre société, mais seulement au service des bien nantis. On leur donne effectivement selon leurs besoins sans problème, qu’il s’agisse de grandes banques ou de systèmes de création de sources de revenus pour rentiers, comme Bixi.

Mais extorquer des profits à notre communauté en initiant un transfert unidirectionnel d’argent vers des riches, ça ne me semble pas être une pratique équitable.

Pas de pauvres SVP

À l’instar des banques qui ne prêtent qu’à ceux qui n’en ont pas besoin, Bixi n’offrira pas son service aux plus démunis. Il faut être le fier détenteur d’une carte Visa ou MasterCard pour exister dans l’univers Bixi.

D’ailleurs, ça leur ferait une mauvaise image corporative si des pauvres étaient vus derrière leurs guidons.

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Choisir Bixi, c’est éliminer l’élément humain pour que notre argent puisse mieux prendre le chemin de Montréal. C’est exactement le genre de commodification d’un service d’intérêt public, motivé par un désir insatiable d’accumulation aux dépends de la collectivité, qui cause notre accélération vers l’abîme.

D’autant plus que mobiliser l’argent de nos taxes pour instaurer un système de transport public qui exclura spécifiquement les pauvres, ça me semble le genre de cause qui serait de la compétence du Tribunal des droits de la personne. J’encourage toute personne lésée dans ses droits fondamentaux par cette combine à porter plainte.

(1) communitybicyclenetwork.org/bikeshare
(2) profile.toronto.bixi.com/member
(3) Selon le Toronto Parking Authority

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