Commémoration à Toronto du génocide au Burundi

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Publié 03/11/2009 par Vincent Muller

Si le Rwanda est tristement connu en raison du génocide de 1994 contre les Tutsis, le Burundi, son voisin du Sud l’est beaucoup moins, alors que les deux pays ont de nombreux points communs. Ce pays, où vivent les mêmes peuples, qui a subit la colonisation de l’Allemagne et de la Belgique, tout comme le pays des milles collines, a également vécu des actes de génocides. Le début de celui de 1993 contre les Tutsis a été commémoré par certains à Toronto le 24 octobre dernier.

En 1993 ont lieu les premières élections présidentielles au suffrage universel direct du Burundi.
Melchior Ndadaye, membre du Front pour la démocratie du Burundi (FRODEBU), est élu au premier tour. Le nouveau président est un Hutu comme la majorité des membres du FRODEBU.

Il nomme comme Premier ministre une femme Tutsi, Sylvie Kinigi, du parti de l’Union pour le progrès National (UPRONA), parti à majorité Tutsi. Jusque là, malgré de lourds antécédents dans les relations entre les deux peuples, tout semble bien se passer.

Mais Melchior Ndadaye est assassiné un peu plus de trois mois après son investiture, ce qui va déclencher une guerre civile, lors de laquelle des milliers de Tutsis seront massacrés par des Hutus, ethnie largement majoritaire. L’armée réagira violemment et mènera une répression très dure contre les Hutus.

Antenne à Toronto

«Après les massacres, l’ONU a envoyé une commission d’enquête qui a confirmé les actes de génocide envers les Tutsis, incriminant le FRODEBU», indique Emmanuel Nkurunziza, secrétaire de l’Antenne régionale de Toronto pour l’Association de lutte contre le génocide.

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Créée au Burundi où elle a été agréée en 1997, cette Association possède officiellement une branche au Canada depuis 2002. Ses membres se sont regroupés le 24 octobre afin de commémorer le début des massacres.

«On en est à notre 6e année de commémoration à Toronto», poursuit le secrétaire de l’Antenne torontoise qui déplore «une participation limitée» et le fait que «certains présentent les membres comme des gens qui sont opposés à la réconciliation et qui veulent diaboliser les Hutus».

Massacres réciproques

Depuis la colonisation, les relations entre Hutus et Tutsis n’ont cessé de se dégrader pour en arriver aux évènements de 1993. Mais il ne s’agit pas des premières violences entre les deux peuples.

De nombreux événements ont cristallisé la haine et engendré des massacres réciproques. Jusqu’à présent certaines dates sont encore sujettes à discussion afin de déterminer s’il s’agissait de génocide ou non et, si oui, qui sont les bourreaux et qui sont les victimes.

Concernant les massacres de 1972 notamment, certains parlent de génocide Tutsi contre les Hutus, d’autres de l’inverse, et d’autres encore de double génocide.

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«La notion de préméditation est fondamentale», explique Emmanuel Nkurunziza, soulignant que «cette année là, le Parti des travailleurs du Burundi, une organisation Hutu à tendance marxiste, a appelé la population Hutu à exterminer les Tutsis». Favorable à la réconciliation, le secrétaire de l’Association de lutte contre le génocide considère néanmoins qu’il est important d’enquêter sur toutes les dates afin d’infirmer ou de confirmer les accusations de génocide.

Vie en symbiose

Le Burundi compte trois principaux peuples, les mêmes qu’au Rwanda: les Hutus, majoritaires, les Tutsis, et les Twas très minoritaires. On pourrait également ajouter les Ganwas, très peu nombreux, généralement considérés comme des Tutsis. Ces peuples avaient des statuts différents dans la société pré coloniale, mais ils partagent la même langue, les mêmes traditions.

«Ces ethnies vivaient en symbiose avant la colonisation. On pouvait, par différents procédés, passer de l’une à l’autre», explique Emmanuel Nkurunziza, «il n’est même pas sûr qu’on puisse considérer Ganwa, Tutsi, Hutu et Twa comme des ethnies», précise-t-il, «en un sens elles étaient plutôt semblables à des classes sociales».

Éleveurs, cultivateurs, cueilleurs

L’aristocratie Ganwa régnait en s’appuyant sur les éleveurs Tutsis, les cultivateurs Hutus et les cueilleurs Twas. Au XVIIIe siècle, en Europe avait cours une doctrine tentant de fonder scientifiquement le racisme. Selon cette doctrine basée sur une classification hiérarchique des «races humaines», les différences entres les races déterminaient les différences entres les aptitudes mentales, les attitudes ainsi que les mœurs.

Rien d’étonnant à ce que cette classification, établie par des européens, place le Blanc en haut de l’échelle. Les premiers colons, arrivés à cette époque, se sont donc appuyés sur les traits physiques des Tutsis qui «ressemblaient plus à des Blancs que les Hutus» et pour cette raison leur ont donné une place plus importante dans la société coloniale.

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L’administration et l’enseignement public étaient ouverts aux Ganwas et aux Tutsis et non aux Hutus et Twas, considérés comme inférieurs, qui pouvaient cependant étudier dans les séminaires.

Changement de tactique

Les Allemands d’abord et les Belges ensuite ont écarté les Hutus jusqu’à la veille des indépendances. Au vu des aspirations indépendantistes de certains Tutsis, les Belges ont changé de tactique et commencé à favoriser les Hutus au détriment des Tutsis à partir de 1945, appelant les premiers à chasser les seconds.

«Cette tactique des colons a moins bien marché au Burundi qu’au Rwanda où, dès 1959, il y a eu une révolution sociale qui s’est caractérisée par des massacres de Tutsis», explique Emmanuel Nkurunziza: «Au Burundi le climat était plus nationaliste que tribal.»
«L’indépendance en 1962 maintient l’ordre ancien avec une réforme: le roi continue de régner mais avec un gouvernement.»

L’indépendance

Avant l’indépendance, au sein de la famille royale il y avait deux tendances, l’une conservatrice et l’autre progressiste, favorable à une monarchie constitutionnelle et à une accession rapide à l’indépendance.

Louis Rwagasore progressiste, fils du roi, fonda l’UPRONA qui remporta les législatives en 1961 et fut Premier ministre une quinzaine de jours avant d’être assassiné pour ses aspirations indépendantistes.

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Le Vice-Premier ministre, un Hutu, aurait dû le remplacer, mais le roi a vraisemblablement préféré nommer un Ganwa de peur de voir se produire au Burundi les mêmes massacres de Tutsis qu’au Rwanda deux ans auparavant.

Les Hutus ont très mal perçu cette décision. Entre l’indépendance le 1er juillet 1962 et 1965, le pays a connu une grande instabilité politique avec six premiers ministres en trois ans. Malgré cette instabilité, jusqu’en 1972 l’UPRONA compte aussi bien des Tutsis que des Hutus, dont trois furent premiers ministres.

Coups d’État et massacres

En 1965 a eu lieu un coup d’État manqué au cours duquel le premier ministre Hutu, Pierre Ngendandumwe fut assassiné. Suite à cet événement, le roi fuit à l’étranger et son fils en profite pour prendre le trône.
En novembre 1966 le capitaine Michel Micombero, un militaire Tutsi, prend le pouvoir et abolit la monarchie.

Il met en place un régime autoritaire. Jusqu’en 1972 l’armée sera composée de Hutus et de Tutsis. En 1969 une autre tentative de coup d’État par des militaires Hutus échoue. Les responsables sont exécutés.

Deux ans plus tard, en 1971, ce sont des intellectuels et militaires Tutsis qui tentent un coup d’État. Ils sont jugés, condamnés à mort et graciés en 1972. L’annonce de leur grâce engendre la colère dans les milieux Hutus et encourage la révolte de ces derniers. S’en suivent des tueries perpétrées aussi bien par des Hutus que des Tutsis. Cette période demeure encore assez trouble et certains Hutus et Tutsis s’accusent réciproquement de génocide.

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Chacun de ces événements est marqué par des tueries qui se reproduiront en 1988 et 1991, après une période plus calme, avant de déboucher sur le génocide de 1993 commémoré par l’Association de lutte contre le génocide.

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