Cheech, une fable urbaine sur la solitude

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Publié 19/09/2006 par Magdaline Boutros

C’est une fable, nous explique Patrice Sauvé, assis confortablement dans une suite de l’hôtel Intercontinental à Toronto. À ses côtés, François Létourneau, renchérit: «Le scénario n’est pas réaliste ou naturaliste. C’est l’histoire d’une journée complètement folle. On n’est pas dans la réalité.»

Les deux acolytes, Patrice Sauvé à la réalisation et François Létourneau à la scénarisation, ont choisi le festival international du film de Toronto pour lancer leur long-métrage Cheech.

Mais bien avant d’être projeté sur grand écran dans les salles torontoises, Cheech est né sur les planches du théâtre La Licorne à Montréal en 2003. Conquis par les personnages et l’univers débridé créé par l’auteur François Létourneau (Les Invincibles), Patrice Sauvé (La Vie, La Vie; Grande Ourse) propose à l’auteur d’en faire une adaptation cinématographique.

«J’ai écrit la pièce assez rapidement. Ça a été une écriture instinctive. Un jet écrit en trois mois, explique François Létourneau. Mais j’ai travaillé plus de deux ans sur le scénario.» Les personnages sont sensiblement les mêmes, mais l’histoire, elle, renaît à nouveau sous la plume de Létourneau.

«C’était clair dès le début qu’on voulait amener cette histoire-là ailleurs. La trame narrative demeure sensiblement la même, mais elle est racontée d’une autre façon.» D’une histoire racontée en désordre chronologique, la structure dramatique retrouve sa linéarité. L’histoire a donc dû être peaufinée. «Au théâtre, on peut tourner les coins plus ronds. Les mots sont beaucoup plus importants», explique le scénariste, interrompu par Sauvé qui complète sa pensée. «Au cinéma, il y a une distance, un écran, contrairement au théâtre. Donc il faut que ce qui se passe, aussi capoté que ça puisse être, demeure plausible.»

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Cheech, c’est l’histoire de six personnages dont les destins s’entrecroisent le temps d’une journée chaotique. Ron (Patrice Robitaille) est propriétaire d’une agence d’escorte. Alors qu’il est sur le point de finaliser un gros contrat, son book, où toutes les photos de ses filles sont répertoriées, est volé. Est-ce un coup de Cheech, le propriétaire d’une autre agence d’escorte? Ou est-ce Jenny (Anick Lemay), sa fille la plus populaire, mais également la plus ambitieuse?

Pendant que Ron tente de finaliser le contrat, Maxime (Maxime Denommée), bras droit de Ron, est prêt à tout pour sauver Stéphanie (Fanny Mallette), suicidaire. Celle-ci est envoyée par Ron chez Olivier (François Létourneau), qui fait appel à l’agence suite aux chaudes recommandations de son voisin Alexis (Maxim Gaudette).

Pour réussir à faire gober l’histoire aux spectateurs, Patrice Sauvé se devait de créer une force visuelle qui envelopperait le public dans l’univers unique et particulier de Cheech. Plutôt que d’opter pour une atmosphère trash, Patrice Sauvé a donc fait basculer l’histoire dans le féerique. Grands hôtels, condos à faire tourner la tête, restaurants chics deviennent l’univers de Cheech. «Parce que les personnages en avaient besoin, et parce que les spectateurs ont les mêmes besoins. On veut tous être dans un monde parfait», croit Patrice Sauvé.

Les images sont extrêmement stylisées, colorées et travaillées; un contraste on ne peut plus marquant avec le monde de la prostitution. «Si je n’avais pas fait du cinéma avec ces gens-là, je ne suis pas sûr qu’on aurait cru à l’histoire, parce que c’est trop éclaté ce qui leur arrive dans une journée si je gardais l’histoire réaliste.»

Le milieu de la prostitution et des agences d’escorte devient, dans Cheech, un prétexte, un catalyseur pour aborder les thèmes de la dépression et de la solitude. L’idée est venue à François Létourneau au sortir du Conservatoire. «J’ai vu comment les agences d’artistes fonctionnaient et ça me dégoûtait un peu.» Une suite de parallèles l’ont ensuite mené jusqu’aux agences d’escortes! «C’est un milieu où les écorchés vifs ont plus de chance d’exister», continue Sauvé. D’autant plus que le milieu décrit n’a rien de réaliste. «On n’a fait aucune recherche sur le milieu des agences d’escorte. On voulait jouer sur l’idée qu’on s’en fait tous à peu près», continue Sauvé.

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Le film a été tourné à Montréal, mais aucune scène ne permet clairement d’identifier la métropole québécoise. Cheech, c’est partout et n’importe où à la fois. «Un monde où tous veulent devenir quelqu’un qu’ils ne sont pas», soutient le réalisateur.

Du film de gangster, au drame en passant par le suspense et le film d’aventures, Patrice Sauvé explore plusieurs genres dans Cheech. Au fil du long-métrage, le spectateur s’en trouve déboussolé. On ne sait plus trop à quelle enseigne loger le long-métrage. François Létourneau voit là un tournant intéressant que Sauvé a fait prendre à son scénario. «C’est ça que j’aime dans le film. Au début on pense que ça va être un film de gangster. On est dans un univers avec des bons et des méchants. Et plus le film avance, plus on réalise que c’est pas ça qu’on regarde.»

La passation du scénario des mains de l’auteur à celles du réalisateur semble s’être faite sans trop de difficultés. «C’est une question de confiance. Il y a plein de moments dans le film que je n’avais pas du tout imaginés comme ça, mais je n’aurais pas pu le faire aussi bien.» «Moi, de mon côté, je ne dois pas trahir l’essence et l’émotion du scénario, ajoute Patrice Sauvé. Pendant la rédaction du scénario, on se parlait et se confrontait continuellement. On a développé au fil du temps une vision commune.» Sur le plateau, l’ambiance était fantastique, continue Sauvé, qui a également dirigé François qui campait le rôle d’Olivier. «On s’est fait des cadeaux. François a joué un personnage qui était bien au-delà de ce qu’il avait incarné au théâtre, avec plus d’ampleur et de nécessité.»

Les deux acolytes en étaient à leur première participation au Festival international du film de Toronto. «J’ai l’impression d’être dans un supermarché!», lance François Létourneau d’un air étonnamment sérieux. «C’est un Walt Disney World du cinéma», poursuit Patrice Sauvé sourire aux lèvres. «Ce qui est un peu plus difficile, c’est de trouver comment exister dans cette masse médiatique incroyable. Comment faire pour que Cheech existe vraiment avec l’arrivée des grandes vedettes?»

Le Festival aura néanmoins permis aux deux jeunes Québécois de briser la glace. Le film poursuivra sa tournée des festivals à Vancouver, Rio, Denver et Namur. Cheech sortira en salles au Québec le 6 octobre. Une sortie à Toronto pourrait avoir lieu en 2007.

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