Charles Aznavour: «Je suis un vagabond, je l’ai toujours été»

En spectacle le 26 avril à Toronto

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Publié 18/11/2008 par Dominique Denis

Dans la vie, il y a des plaisirs démodés, et puis il y a des plaisirs indémodables, comme celui d’aller écouter Charles Aznavour interpréter – ou plutôt incarner – ses chansons sur scène. Et ce plaisir, le géant de la chanson française nous l’offrira de nouveau le 26 avril prochain, à la salle Roy Thomson, dans le cadre d’un nouveau tour de chant intitulé Aznavour en liberté. Lors d’un passage-éclair dans la Ville-Reine, la semaine dernière, l’auteur de La bohème s’est entretenu avec Dominique Denis.

L’Express – La dernière fois que le public torontois a pu vous applaudir, il y a deux ans, on parlait de votre «tournée d’adieu». Et voilà que vous serez de retour sur la scène au printemps. D’où vient le malentendu?

Charles Aznavour – Le malentendu vient d’un de vos confrères, qui ne devait pas tellement connaître les nuances de la langue française! Nous avons annoncé que je faisais ma dernière tournée. Il est vrai que des tournées, je n’en fais plus. Mais «dernière tournée» et «tournée d’adieu», ça ne veut pas dire la même chose. Et comme je dis, quand Martin Scorcese annonce son dernier film, ça ne signifie pas qu’il n’y en aura pas un autre derrière. Il ne fait pas un film d’adieu. Mais j’aime mieux le prendre avec humour, en disant que je suis un ami de Kalashnikov: je fais des adieux à répétition…

L’Express – Au printemps, vous présenterez le spectacle Aznavour en liberté en primeur en Amérique du Nord. Cette fois, vous miserez sur des chansons à texte, que vous avez eu moins souvent l’occasion d’interpréter sur scène. Toutes vos chansons ne sont-elles pas des chansons à texte?

CA – Non, une chanson comme Et pourtant est une chanson bien écrite, mais ce n’est pas une chanson à texte, c’est-à-dire qu’il n’y a pas un fond particulier. C’est une chanson d’amour. Désormais, c’est pareil. En revanche, Non, je n’ai rien oublié, Hier encore ou Sa jeunesse sont des chansons à texte. Et il y en a beaucoup d’autres qui sont passées inaperçues parce qu’elles avaient le désavantage de se trouver derrière une chanson à succès. Je ne me plains pas! Avoir des chansons à succès, c’est le rêve de tous les artistes, mais aujourd’hui, ça ne me sert plus à rien. Et il y a autre chose : en Amérique du Nord, ce que je n’ai jamais fait, c’est de chanter uniquement en français. C’est la première fois que je viens sans chanter en anglais.

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L’Express – Pourtant, le public, notamment à Montréal, Ottawa ou Toronto, vous a souvent fait remarquer que vous auriez pu passer la rampe en chantant uniquement en français, mais vous avez toujours choisi de faire ce pas vers le public anglophone. Pourquoi avoir décidé d’y aller uniquement en français cette fois?

CA – Commençons par dire qu’à Montréal, j’avais annoncé une soirée entièrement en anglais, et elle a été très mal reçue! Mais aux États-Unis, j’ai toujours chanté moitié-moitié, mais je sais que le public a envie d’entendre des chansons en français pour voir quelle différence il y a entre les textes traduits et les textes originaux. Moi-même, je serais intéressé d’entendre ça chez un autre chanteur.

L’Express – Autre surprise, vous allez changer votre approche musicale en travaillant avec un pianiste de formation classique. Quel est l’avantage d’une telle approche?

CA – J’ai souvent écrit des musiques qui ont une facture classique. Alors j’ai pensé qu’en faisant certaines introductions différentes, plus difficiles, en donnant un côté plus classique à certaines chansons, je risque d’intéresser le public d’une autre manière, et d’intéresser un public qui, habituellement, va voir autre chose que des artistes de variété.

L’Express – Un jour, vous m’avez confié que la chanson dont vous étiez le plus fier, c’était Sa jeunesse. Quelle est la chanson d’une autre artiste que vous auriez le plus aimé avoir écrite?

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CA – Il y en a une en particulier : j’aurais aimé avoir écrit Y’a d’la joie. Parce que je n’aurais pas pu le faire.

L’Express – Pourquoi donc?

CA – Parce que je ne suis pas un auteur joyeux. Nous avons très peu d’auteurs joyeux. On a eu Trénet. Mais quand je cherche en mémoire, je n’en trouve pas d’autres. Ni Béart, ni Brassens – je ne dis pas que ce n’était pas drôle, Brassens, mais ce n’était pas joyeux – ni Brel, ni Ferré, ni Nougaro, ni Lavilliers. Même Lynda Lemay, qui écrit des choses drôles, n’est pas une joyeuse non plus. J’aurais aimé écrire une chanson joyeuse. Je n’en ai jamais écrit et je ne saurais pas comment!

L’Express – Parmi vos projets récents, il y a ce nouvel album de duos qui paraîtra en décembre. Comment s’est fait la genèse de cet album: avez-vous contacté vos partenaires, ou est-ce eux qui sont venus cogner à votre porte?

CA – C’est un peu les deux. Curieusement, ceux qui sont venus cogner à ma porte sont les étrangers. Johnny Hallyday, Nana Mouskouri – qui est Française, pour nous – c’est moi qui les ai contactés. J’ai eu envie de faire ce disque parce que j’ai toujours une nostalgie du duo. Il reste toujours en moi beaucoup de Roche et Aznavour, et je crois que c’est un hommage merveilleux à Pierre Roche.

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L’Express – Avez-vous enregistré ces duos à l’ancienne, face à vos partenaires, ou est-ce que chacun a enregistré sa partie séparément, comme on le fait souvent de nos jours?

CA – Non, on a travaillé ensemble. J’ai été chez Sting dans son studio en Angleterre, dans un château médiéval. Avec Céline, nous l’avons fait à Las Vegas, avec Nana Mouskouri, nous l’avons fait à Paris. Bien sûr que pour les duos avec Sinatra, Piaf et Dean Martin, c’est une autre histoire…

L’Express – Comme tous les musiciens, vous êtes mélomane. Quand vous écoutez de la musique pour vous-même, à la maison, qu’écoutez-vous?

CA – Peu de choses, en fait, parce qu’il y a peu de choses qui m’intéressent vraiment. J’écoute les disques que les jeunes m’envoient, puisqu’en ce moment, la jeunesse semble avoir envie de chanter, c’est une manière de sortir de leurs difficultés et de leur anonymat. Je les écoute pour savoir s’il y a quelque chose d’intéressant à présenter au public. Je dois dire que la plupart du temps, ça ne l’est pas. Mais quand on tombe sur des gens comme Lynda Lemay ou Grand Corps Malade, on a quand même un bon groupe de jeunes nouveaux. Vous savez, je n’écoute pas beaucoup le passé – j’écoute le futur!

L’Express – J’ai récemment rencontré à Bucarest une dame qui connaît des douzaines de vos chansons par cœur, et qui parle français comme vous et moi. Mais ce genre de rayonnement international de la chanson française n’a pas lieu aujourd’hui. Pourquoi?

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CA – Parce qu’ils n’aiment pas sortir de chez eux, parce qu’ils n’ont pas le courage d’aller devant une salle à moitié pleine – ou à moitié vide –, parce qu’ils ont peur de la réaction d’un public qui ne les connaît pas, parce qu’ils sont anonymes et que l’anonymat leur fait peur. C’est là que je ne suis pas d’accord, je trouve que la dernière chose qu’il reste à un chanteur, c’est justement de jouer cette aventure.

L’Express – Vous retournez aux États-Unis ce soir, où l’on vient d’élire pour la première fois un président de couleur. La France a toujours été une terre d’accueil, elle a accueilli votre famille dans les années 20, mais serait-elle prête à faire la même chose?

CA – Je dirai “Alleluia” pour l’Amérique, mais je ne pourrais pas dire la même chose pour la France. Chez nous, (les immigrants) sont moins restés ce qu’ils étaient qu’en Amérique. Là-bas, les Polonais ont leur défilé, les Sud-Américains aussi. En France, personne ne défile. En France, à partir du moment où l’on a un petit diplôme, où l’on a sa carte de séjour, on devient Français. La France est un pays ouvert et fermé. C’est un pays qui semble fermé, mais qui s’ouvre facilement quand il y a un petit problème. Et des petits problèmes, ils en ont beaucoup, mes amis les émigrants…

L’Express – Au fil des ans, on vous a posé toutes les questions possibles et impossibles, mais vous, quand vous vous regardez dans la glace, quelle question vous posez-vous?

CA – Je ne m’en pose pas beaucoup! Il y a quelques jours, on m’a proposé d’être l’ambassadeur d’Arménie en Suisse. J’ai dit oui sur le moment, puis j’ai réfléchi dans la nuit, et le lendemain, je lui ai fait dire «Non, je ne veux pas». Je veux être ce que je suis, c’est-à-dire un fils d’émigrants. J’ai épousé la France comme la France m’a épousé. J’ai eu des difficultés, puis j’ai eu le bonheur d’avoir d’autres choses après. Je suis un vagabond, je l’ai toujours été. Vous ne pouvez pas savoir le nombre d’appartements et de maisons où j’ai vécu. J’ai été dans tous les pays du monde et je continue de visiter le monde entier, je veux rester ce que je suis. Quand je regarde dans la glace, c’est celui-là que j’aime, pas l’autre…

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Charles Aznavour présentera le spectacle Aznavour en liberté à la salle Roy Thomson le samedi 26 avril 2009. Billets : 416-872-4255

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