Chansons ouatées pour jeunes gens élégants

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Publié 18/04/2006 par Dominique Denis

Dans le paysage actuel de la pop française, Chevrotine occupe le même espace que Autour de Lucie, Air ou Jean-Louis Murat, entre autres pourvoyeurs d’atmosphères éthérées.

Un genre aussi séduisant que dangereux, où le style se substitue souvent à la substance, cachant le fait que derrière l’enveloppe sonore, il ne se passe pas grand chose. Mais les jours où l’on n’a pas envie de se casser la tête, cette enveloppe suffit largement à notre bonheur.

Si Chevrotine tire élégamment son épingle de ce petit jeu, c’est que le quintette français, qui signe avec Holden (La Tribu / Sélect) son troisième CD, assume sans peine sa relative vacuité.

Là où Murat – que l’on retrouve sur L’orage – est un auteur de chansons doublé d’un coloriste inspiré, Chevrotine construit sa musique comme un décorateur conçoit un espace: par de judicieux agencements de formes et de couleurs, ponctué de références tantôt ironiques, tantôt attendries, qui reflètent une connaissance approfondie des divers courants pop dont la convergence se retrouvait déjà, il y a 40 ans, chez Françoise Hardy ou, du côté British, chez Sandy Shaw ou Dusty Springfield. Et la présence vocale diaphane d’Armelle Pioline ne fait qu’accentuer cette généalogie.

Bref, il serait incongru de se pencher ici sur le contenu des chansons du groupe, d’en citer les paroles, mais ce n’est pas le genre de reconnaissance auquel aspire Chevrotine: s’ils sont aussi les héritiers de la «musique d’ameublement» dont leur compatriote Érik Satie fut l’inventeur, alors nos alchimistes pop nous livrent ici un mobilier taillé sur mesure pour une vie de loft.

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La réhabilitation de Patrick Norman

Quand j’étais ado, il était de rigueur de se payer la tête de Patrick Norman, que ce soit pour son vibrato chevrotant, son répertoire qui sentait l’eau de Cologne ou cette tête joufflue couronnée du genre de boucles auxquelles on reconnaissait les hommes dans la quarantaine – des Québécois, bien souvent – qui avaient cédé à la vanité d’une permanente et à l’illusion de virilité qu’elle conférait.

En autres mots, sur notre échelle du ridicule, il se plaçait à peine un cran au-dessus de Johnny Farago.

Mais le temps comble le fossé des générations et gomme bien des préjugés, tout en donnant aux survivants un certain cachet d’authenticité.

Et avec le recul, on prend conscience de l’hypocrisie de voir en La complainte du phoque en Alaska un classique de la chanson francophone, d’une part, et de reléguer Quand on est en amour au rayon quétaine. Après tout, qu’est-ce que la célébrissime chanson de Beau Dommage, sinon une valse country?

Dans ce sens, la présence de Michel Rivard au rang des invités d’honneur de Simplement (DEP) pourra être perçu comme une forme de réparation symbolique, tout comme le fut la présence de Norman sur Salut Joe!, le très branché hommage à Joe Dassin, il y a quelques mois.

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En dépouillant – à la façon unplugged – une quinzaine de chansons qui ont balisé son parcours depuis 1969, Patrick Norman met ici en évidence certaines filiations entre folk, country, blues, R&B et chanson sentimentale, des filiations que l’ignorance ou la mauvaise foi nous faisaient négliger, mais qui s’imposent, dans ce décor acoustique, comme une belle évidence.

Maintenant libre de puiser dans son bagage d’influences et de souvenirs, sans autre impératif que celui du plaisir, Norman revisite la Nouvelle-Orléans de Aïko Aïko, l’intarissable source de feeling nostalgique qu’est l’Italie (Pour un instant d’amour, Mon Pays), taquine le blues sur Mon cœur est à toi, et s’offre même des vacances aux Antilles, le temps de On part au soleil.

Il serait exagéré d’accorder à Simplement la même importance que les ultimes enregistrements de Johnny Cash (qui l’ont aussi réhabilité auprès d’une nouvelle génération), mais il faut reconnaître que dans les deux cas, on célèbre le triomphe de l’art réellement populaire sur l’obsolescence planifiée des modes.

Corps à corps avec Corcoran

Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens de se rendre en Gaspésie chaque été, les CD du Festival en chansons de Petite-Vallée constituent un excellent substitut, une façon de maintenir contact avec les artistes et artisans qui incarnent une certaine idée de la chanson québécoise (les Vigneault, Bori, Flynn, Rivard, Séguin et compagnie), tout en faisant la connaissance de ceux qui appartiennent à la relève, pour lesquels Petite-Vallée sert de vitrine, d’école – et de tremplin.

Moins axé sur les vertus télégéniques de ses participants que Star Académie, le Festival joue néanmoins un rôle rassembleur comparable, et le succès de plusieurs de ses lauréats passés en a fait une référence incontournable, au même titre que Granby.

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L’édition 2005 de Petite-Vallée était placée sous le parrainage de Jim Corcoran.

Un choix inspiré, vu son engagement inébranlable envers la chanson comme véhicule artistique, linguistique et identitaire (un rôle qu’il a également joué auprès de Ontario Pop). Tout ça parce que je t’aime (Productions de l’Onde/ Sélect) nous permet d’entendre Marie-Claire Séguin et Bori en duo sur Grâce à elle, Pierre Flynn (qui sera le parrain de l’édition 2006) prêter sa voix chaude à L’aube tarde, Marie-Denise Pelletier extraire le chagrin claustrophobe de Perdus dans l’même décor, et Corcoran lui-même, à la tête des musiciens du festival, se livrer à une improvisation étonnamment cohérente sur Faute de frappe, un texte qui trahit son obsession d’appréhender le monde par le biais de métaphores langagières.

Quant aux représentants de la relève, ils se distinguent dans le répertoire du parrain (C’est pour ça que je t’aime, repris à la manière Hot Club de France par quelques membres du groupe Karkwa) ou encore dans leur propre répertoire (l’étonnant 24 Sherbrooke, de Ian Murchison).

Même s’il ne renferme pas de moments qu’on puisse qualifier de transcendants, le document de cette 23e édition du festival assure un rayonnement additionnel à l’événement – et aux idéaux salutaires qu’il incarne.

Parions qu’on chantera encore haut et fort à Petite-Vallée longtemps après que la machine Star Académie aura été envoyée à la casse.

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