«Cette ruée vers les urnes exprime l’espoir des Haïtiens»

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Publié 14/02/2006 par Alexandre Guetta

Mardi dernier se tenait le scrutin présidentiel en Haïti. Au moment de mettre sous presse, le pays restait dans l’expectative des résultats définitifs et officiels. Mais malgré la désorganisation ambiante et les tensions persistantes, le processus démocratique a pris le dessus et c’est en masse que les Haïtiens ont usé de leur droit de vote. La communauté haïtienne de Toronto, même si elle n’a pu voter à l’instar de tout Haïtien se trouvant hors de son pays, s’exprime sur la tenue de cette élection et sur l’espoir que celle-ci a fait naître en Haïti où actuellement, chaos et incertitude règnent en maître.

Certes, les moyens peuvent parfois s’avérer archaïques et rudimentaires. À la veille des élections présidentielles haïtiennes, des urnes fragiles et conçues de plastique sont acheminées à dos de mulet dans les contrées les plus reculées. Après le scrutin, c’est parfois à la bougie que s’est fait le dépouillement dans certains bureaux de vote, privés d’électricité. Mais l’essentiel est ailleurs… Le peuple haïtien s’est levé, parfois très tôt le matin, pour aller voter en masse.

Après avoir été reporté quatre fois, le scrutin a finalement eu lieu au plus grand soulagement de la communauté internationale mais aussi de la communauté haïtienne de Toronto. Tous s’accordent en effet pour exprimer leur sentiment de satisfaction quant à la tenue du suffrage.

«Cet enthousiasme pour le vote reflète une certaine impatience. Le délabrement total du pays, l’insécurité, la misère à laquelle font face les masses populaires, le taux de chômage et l’analphabétisme sont des choses que les gens ne veulent plus voir. Ils en ont assez» analyse Éric A. Pierre, consul d’Haïti à Toronto, à propos de l’engouement du peuple haïtien pour l’élection.

Il ajoute fièrement: «Cette ruée vers les urnes exprime l’espoir des Haïtiens.»

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Nonobstant, l’espoir n’efface pas la crainte. Dans ce pays ravagé par le chaos, terrorisé par les milices armées, et contrôlé par des chefs de guerre peu scrupuleux, ce «soulèvement populaire» contraste avec les prévisions de la communauté internationale, sans pour autant générer la certitude d’un avenir meilleur.

C’est du moins ce que soutient Chantal Boisson, de nationalité haïtienne et propriétaire d’une franchise UPS à Toronto: «on a tous été surpris par cette mobilisation. Je pensais que les gangs des bidonvilles allaient intimider les citoyens qui voulaient aller voter mais, en réalité, c’est l’inverse qui s’est produit. De ce que j’ai vu et compris de l’extérieur, même les groupes armés semblaient soutenir la tenue de ces élections, ce que je trouve extraordinaire.»

Mme Boisson nuance somme toute ses espoirs en arguant: «Je doute que ces élections vont concourir au rétablissement de l’ordre car ce que les groupes armés recherchent, aucun gouvernement ni aucune autorité ne pourront leur offrir. Personne ne peut autoriser le trafic de drogue ou les kidnappings à répétition. Le nouveau pouvoir aura énormément de mal a rétablir la sécurité…»

Difficile aujourd’hui de savoir de quoi demain sera fait. Le nouveau gouvernement sera-t-il à la hauteur des ambitions et désirs du peuple? Le désarmement des gangs et milices constitue vraisemblablement le plus grand défi, entre de nombreux autres, pour le nouveau pouvoir.

À ce sujet, M. Pierre croit et espère «qu’un gouvernement stable issu d’un mandat populaire puisse prendre des mesures afin d’endiguer ce flot de criminalité, de violence et de désintégration sociale.»

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Analyse que partage Wesley Romulus, vice-président du Collège Boréal pour la région Centre-Sud-Ouest et membre impliqué de la communauté haïtienne, en apportant quelques précisions à propos de l’avenir de la nation: «cela va dépendre de trois choses. En premier lieu, du programme que la nouvelle administration va mettre sur pied. Mais également de la collaboration et l’aide de la communauté internationale. Cela va enfin dépendre de la population haïtienne. Va-t-elle adhérer au nouveau plan que proposera le gouvernement et sera-t-elle assez patiente? Il est évident qu’on ne peut pas faire des miracles du jour au lendemain.»

Des miracles non. Mais une amélioration significative est possible dans un pays où les statistiques sont de plus en plus alarmantes: environ 55% de la population est au chômage et plus de 75% d’entre elle vit en dessous du seuil de pauvreté. Le taux d’espérance de vie dépasse à peine les 56 ans, sans parler de l’eau potable et l’électricité devenues des denrées rares pour la moitié de la population.

Pour subvenir à ses besoins démesurés, outre l’aide internationale, Haïti compte également sur l’aide financière de la diaspora haïtienne. Sans avoir d’estimation précise sur le nombre total des personnes constituant cette diaspora, le consul Éric A. Pierre affirme que l’assistance financière de ces expatriés pour leur pays d’origine est relativement «conséquente». C’est d’ailleurs à ce titre que le consul estime le fait de ne pas pouvoir aller voter à l’étranger comme une «injustice grave».

À l’inverse de ce raisonnement, M. Romulus considère qu’il est normal de ne pas pouvoir participer au scrutin en dehors d’Haïti: «Je ne regrette pas de ne pas avoir été voter. On ne peut pas être aussi éloigné et prétendre savoir ce qu’il y a de mieux pour le peuple qui vit là-bas tous les jours. Il est facile de se dire, assis dans son salon au Canada, qu’on a changé la face d’Haïti. Pour ma part, je trouve cela dangereux. Ce qui peut nous paraître beau de loin est parfois loin d’être beau.»

Ces élections ont le mérite d’avoir montré à la communauté internationale que le peuple haïtien sait se faire entendre et a des revendications on ne peut plus dignes et louables. Il ne reste plus qu’a espérer que cette même communauté internationale, l’ONU en tête, réponde positivement et de manière concrète au cri d’espoir de tout un peuple.

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