Cannes 2016: Xavier Dolan triomphe d’une cruelle compétition

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Publié 24/05/2016 par Jacqueline Brodie

Il fut, il fut, le festival. Et nous l’avons beaucoup aimé. Intense, riche de découvertes et de tensions, ce cru 2016, malgré les circonstances.

Rappelons que la France, toujours sous le coup de l’état d’urgence, avait mis sur pied un imposant dispositif de sécurité: 200 policiers municipaux armés, plusieurs centaines de policiers en tenue et en civil, motards, unités mobiles et militaires, 400 agents de sécurité privés.

Tandis que les 500 caméras de la ville réquisitionnées pour l’occasion nous observaient sans relâche, les tireurs d’élite, vigiles des sommets, du Palais complétaient ce scénario vérité digne d’une super production hollywoodienne. Et pourtant, l’énorme opération de protection fut si bien exécutée, chacun dans son rôle, que le festivalier en souffrit peu.

Foule dans les rues. Immenses panneaux publicitaires de films plantés partout le long de la Croisette, promenade en bordure de la Méditerranée. Juchés sur leurs escabeaux les centaines d’avides collectionneurs d’autographes jubilaient.

Constellations de vedettes pour les badauds: Julia Roberts montant pieds nus le mythique tapis rouge, Jodie Foster qui présentait Money Monster hors compétition; Steven Spielberg lui-même s’est prêté au jeu, signant à tour de bras.

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Beau, chic et méchant

Oui, ce fut un Festival comme on les aime. Avec des films chocs, ceux qui séduisent, ceux qui provoquent, ceux qui divisent. Cruel, le Festival de Cannes… certes.

Notre cinéaste-acteur producteur Xavier Dolan en sait quelque chose. Adulé deux ans auparavant pour son Mommy et fêté comme un jeune dieu sur la Croisette, il a fait, cette année la dure expérience du désamour avec Juste la fin du monde, coproduction avec la France, présentée en compétition officielle.

Pas facile d’accès, son film. Fascinant et… exaspérant. Adapté d’une pièce de théâtre du dramaturge français culte mort du sida en1995 Jean-Luc Lagarce, il met en scène un univers tendu, où l’intensité des sentiments se manifeste dans un fatras de cris, d’outrances, de banalités masquant ce qui ne peut se dire et ne se dira pas: la mort prochaine du jeune auteur à succès de retour dans sa famille pour y annoncer la sombre nouvelle.

On retrouve dans ce puissant huis-clos le sceau Dolan: tension constante, personnages au bord de l’hystérie ou emmurés dans un ailleurs que l’on tait. Parfaitement servi par les acteurs vedettes français Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux et Gaspard Ulliel, l’oeuvre s’avère si efficace qu’on en sort comme on s’échappe d’un piège, quelque peu endolori.

Ovationné à la projection officielle très attendue, sifflé et hué en projection de presse, vilipendé par la presse américaine et anglophone en général, Juste la fin du monde a cependant trouvé grâce auprès de certains critiques étrangers, dont ceux du journal Le Monde.

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Le Jury lui, a apprécié et c’est avec les honneurs que Xavier Dolan quitte Cannes auréolé du Grand Prix, la plus haute récompense après la Palme d’Or. Autre hommage appréciable: le Prix oecuménique lui a aussi été attribué. C’est visiblement bouleversé, ayant peine à contenir son émotion, que notre jeune cinéaste a livré ses remerciements au Jury et au public du Palais des festivals.

Ce millésime 2016 fut exceptionnel. Même dans son pire choix, The Last Face, une aberration de l’Américain Sean Penn, couronné unanimement du titre «nanar suprême» du Festival.

Fidèle à ses auteurs, Cannes offrait une sélection particulièrement forte incluant les dernières oeuvres de ses palmés et autres lauréats d’éditions précédentes.

Aussi certains choix du Jury ont-ils surpris et c’est sous de bruyantes huées qu’il a été accueilli à la conférence de presse qui suit traditionnellement l’annonce du Palmarès. Il fallut toute l’autorité du Canadien Donald Sutherland qui menaça de sortir sur le champ pour calmer la tempête.

L’un des choix le plus contesté est certainement Persona Shopper, le dernier opus du Français Olivier Assayas, son premier film tourné aux États-Unis avec l’actrice américaine dont Kristen Stewart – également en vedette dans le film de Woody Allen.

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Lauréat du Prix de la mise en scène ex-aequo avec Bacalaureat du Roumain Cristian Mungiu (Palme d’Or 2007 pour 4 mois 3 semaines 2 jours).

Tandis que le film d’Assayas s’aventure dans l’épineux sentier du paranormal avec une jeune femme qui tente de prendre contact avec son frère jumeau mort, l’oeuvre de Mungiu, plus concrète, s’attaque avec efficacité à la contagion de la corruption. Deux oeuvres aux antipodes l’une de l’autre.

Corruption encore, à l’état endémique mais aussi modèle de solidarité dans Ma’ Rosa, excellent portrait de famille d’une mère courage du Philippin Brillante Mendoza. Le Prix d’interprétation féminine est allé à son actrice Jaclyn Jose.

Attribué à l’acteur du film iranien Forushande (Le Client) Shahab Hosseini, le Prix d’interprétation masculine a surpris. Non qu’il ne fut point mérité. Le Clientest une oeuvre forte mettant en évidence l’attitude opposée de l’homme et de la femme devant l’épreuve. Cependant, déjà récipiendaire du Prix du scénario, le réalisateur Asghar Farhadi faisait ainsi coup double alors que d’autres films de même niveau restaient sur le carreau.

Ainsi le grand perdant est l’un des favoris, Toni Erdmann, de l’Allemande Maren Ade, oeuvre jubilatoire contenant à elle seule tous les thèmes sociaux des compétiteurs. Tous les médias ont craqué, pas le Jury.

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Ouverture du Festival en beauté avec Café Society de notre octogénaire bienaimé l’Américain Woody Allen, le cinéaste qui a fait voeu de non-compétitivité.

Certains critiques ont fait la fine bouche, à tort. Située dans les années 30 à New York, cette comédie grinçante passe tout à l’étrille de son humour particulier. Ode à New York, mise en pièces de Hollywood, satire de lui-même: amour, famille, religion, rien n’est épargné. Avec quel humour!

Tel un équilibriste, cet artiste de 80 ans parvient à tant de légèreté dans la peinture du drame qu’on ne peut que saluer son génie: la gravité jouée en Marivaux new-yorkais.

Premier à entrer dans le vif de la compétition, Rester Vertical, du Français Alain Guiraudie (L’Inconnu du lac), est fidèle à la trajectoire singulière de son auteur.

Fourmillant d’invention, explorant des thèmes inusités, il parvient à brosser d’attachant tableaux de personnages libres, tel son héros bisexuel et monoparental, créant un monde naturaliste dans lequel ses personnages communiquent par l’échange sexuel. Désir de solitude, Désir de possession de l’autre, d’affirmation de soi face à la meute, viril à mort! Une oeuvre pas banale, c’est le moins qu’on puisse en dire.

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Avec Sieranevada du Roumain Cristi Puiu, autre registre. Long huis-clos dense, parfois essoufflant à suivre. Une famille roumaine est réunie pour célébrer l’anniversaire de la mort du père. Échanges politiques, religieux, divergences, conflits amoureux, mensonges, trahisons dans une mise en scène et des dialogues si absurdes, des situations où chacun parle pour soi, sorte de monologues de plusieurs voix parallèles, qu’on évoque Ionesco. Beau film sur la solitude de l’être et le remise en question de soi. Absent du palmarès.

Pour son retour en compétition Bruno Dumont, présentait Ma Loute, une totalement féroce critique sociale. Dans cette fresque déjantée au paroxysme du burlesque, située dans le nord de la France, deux clans: celui des habitants du château et celui des guenilleux ramasseurs de moules. Les châtelains, famille de dégénérés avec en tête, un Fabrice Luchini bossu et d’un ridicule irrésistible, une Juliette Binoche non moins caricaturale, sont porteurs de tous les vices. Quand aux guenilleux, ils sont tout bonnement cannibales.

D’où l’explication de disparitions fréquentes au village! Originale méthode de nettoyage de la société bourgeoise pervertie! Curieuse farce de société sous forme de cinéma grandguignol. Absent du palmarès.

Palme d’Or bis

I, Daniel Blake, du vétéran britannique Ken Loach maître, avec les frères Dardenne, du cinéma social réaliste a fait l’unanimité, ralliant presse, public et Jury qui lui a attribué la Palme d’Or, sa deuxième.

Film vibrant de solidarité, véritable oeuvre humaniste, I, Daniel Blake est avant tout un plaidoyer pour le respect de l’être humain. En suivant son personnage central, un menuisier blessé au travail, perdu dans les méandres d’une bureaucratie absurde et implacable, il trace un portrait redoutable de services sociaux qui fonctionnent à l’encontre de leur finalité. Exceptionnelle réalisation, sobre, d’une grande justesse, filmée avec rigueur et authenticité.

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Deuxième Britannique au palmarès, la réalisatrice Andrea Arnold a reçu le Prix du Jury pour American Honey. C’est son 3e à Cannes. «N’êtes-vous pas blasée?» lui a demandé en plaisantant l’animateur.

Pour sa première incursion en société américaine, elle a opté pour le road movie en compagnie d’une bande de jeunes paumés, vendeurs d’abonnements de magazines. Portrait saisissant d’une certaine jeunesse USA sans éducation, sans idéal, sans ambition, vivant de larçins et au jour le jour.

Soûlés de musique, drogués, un groupe de jeunes – chacun ayant fuit un milieu à problèmes – vit sous la coupe d’une femme, leur aînée et de son compagnon, personnage sans foi ni loi, qui les exploitent. Inconscients, ils se croient libres. Seule une jeune femme semble lucide et se permet de rêver. Triste jeunesse.

Autre grand absent du palmarès, Jim Jarmusch, peintre d’une autre Amérique, la sienne, tendre et si simple. Son dernier film, inspiré de sa ville, Paterson est un pur ravissement, un poème intégral, alliant bonheur visuel et harmonie du dialogue. Les couples s’aiment. On y parle de traditions. Chaque plan est un délice. On pense au haïku.

Des rires et des pleurs… Cruelle, la compétition!

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