Cannes 2012: un palmarès discutable… sauf pour la Palme d’Or

Rideau sur le 65e festival de Cannes

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 29/05/2012 par Jacqueline Brodie

La page est tournée. La 65e édition du grand-maître de l’univers festivals est close. Une édition reflétant si justement l’état de notre monde que les festivaliers en sont sortis quelque peu déprimés. Mauvais temps aussi: pluie et orages détrempant les beaux atours de la soirée de clôture.

L’orage aurait-il aussi perturbé le jury présidé par l’Italien Nanni Moretti? On a dit en coulisses que les discussions furent vives. Résultat: un palmarès discutable. Seul le lauréat de la Palme d’Or, Michael Haneke auteur de Amour, déchirante agonie de la fin de vie d’un vieux couple, a fait l’unanimité.

Œuvre sans concession, d’une insoutenable tristesse, elle crie la détérioration qu’implacablement le temps inflige aux humains. Souffrance, dégradation, humiliation, est-il nécessaire d’en arriver là?

Avec un choix d’acteurs icônes de la «nouvelle vague» pour le couple: Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, tous deux dans la réalité de l’âge de leur rôle respectif, le film atteint une bouleversante puissance. Rappelons que le réalisateur autrichien fut déjà lauréat de la Palme d’Or en 2009.

Téléréalité

Publicité

Étonnement sur le Grand Prix, offert à l’Italien Matteo Garrone pour son décevant Reality, histoire d’un pauvre bougre piégé par le mirage de la téléréalité, thème brûlant d’actualité. Autour de lui s’agite une faune napolitaine colorée et attachante. Entre la farce et la dénonciation des ravages du phénomène médiatique, le film perd vite son souffle et son intérêt. Grand Prix du Festival en 2008 pour son excellent Gomorra.

L’attribution du Prix de la mise en scène au Mexicain Carlos Reygadas pour Post Tenebras Lux a stupéfait la presse festivalière qui a éreinté cette œuvre lugubre et indéchiffrable, portrait d’une famille déplacée. À tel point que le réalisateur a remercié ironiquement en recevant son Prix, «la presse qui l’avait tant flatté». Prix du Jury en 2007 pour Lumière silencieuse.

Vive le whisky

Le Prix du Jury couronne généralement une œuvre originale et singulière tant par sa forme que son contenu. Honneur attribué cette année au Britannique Ken Loach pour The Angel’s Share. Inconditionnel du cinéma néo-réaliste, le réalisateur britannique réussit habilement à travestir en comédie un problème de société.

Une poignée de délinquants – jugés recyclables – par le moniteur que le tribunal leur a assigné, et voilà que, peut-être, une vie nouvelle commence. Chez Loach, pas de méchants; à chacun sa planche de salut. Ici c’est celle du whisky. Cinéma optimiste, axé sur le message. Pour la nouveauté, il faudra regarder ailleurs. Ken Loach a déjà remporté la Palme d’Or en 2006 pour Le vent se lève et trois Prix du Jury à Cannes.

Le Prix d’interprètation masculine est allé au Danois Mads Mikkelsen pour son rôle dans La Chasse de Thomas Vinterberg, portrait d’un honnête homme dont la vie est détruite par le mensonge d’une fillette. Drame illustrant la fragilité et l’impuissance de l’individu face au soupçon d’une communauté et au tabou du sexe. Autre traitement réaliste d’un problème de société.

Publicité

Superstition meurtrière

Prix du scénario au film Au Delà des Collines de Cristian Mungiu qui a valu également à ses deux admirables actrices, Cristina Flutur et Cosmina Stratan, le Prix d’interprétation féminine. Après 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’Or en 2007, le réalisateur roumain revient avec une œuvre rigoureuse et intense sur le fanatisme.

Ici il s’agit d’un couvent et du prêtre qui régit ses nonnes en tyran. Superstition meurtrière tenant lieu de foi, domination et exploitation. Le film est basé sur des faits réels.

Stupéfaction générale chez les festivaliers au constat de l’absence au palmarès du film le plus original de la compétition, Holy Motors, de Leos Carax. Dans une sélection en manque d’éclat, nous arrivait enfin la surprise: le film surréaliste, poétique, tragique, le diamant noir de la compétition; un délire onirique dans une succession d’images sublimes; l’être et ses multiples visages, ses masques, sa vulnérabilité. Oublié!…

Cronenberg et Dolan

Rien non plus pour Cosmopolis, brillante métaphore sur la finance et son pouvoir destructeur signée David Cronenberg. Le film sort en salles dès juin. Aux spectateurs d’apprécier.

Heureuse fin de festival pour notre jeune prodige Xavier Dolan. Son Laurence Anyways, sélectionné dans la section Un Certain Regard et bien accueilli au Festival, a quitté la Côte d’Azur avec deux récompenses: Prix d’interprétation féminine à sa remarquable actrice Suzanne Clément et la «Queer Palm», attribuée à une œuvre traitant de l’homosexualité et de sujets relevant du genre.

Publicité

Pas vraiment matière à s’esclaffer au suivi des œuvres présentées en compétition. Éléments dominants: argent tueur à répétition, mort omniprésente. Seuls, Wes Anderson avec son délicieux conte Moonrise Kingdom présenté en ouverture et l’hyperprimé Ken Loach, avec sa fable douce-amère The Angel’s Share, ont réussi à nous dérider. Merci, nous en avions besoin!

Ces messieurs…

Grande absence fort remarquée de la course à la Palme d’Or: la présence féminine. Remarquée et contestée.

Des pétitions adressées aux sélectionneurs du Festival ont circulé, signées par des réalisatrices réputées dont Coline Serreau (Trois hommes et un couffin) et de nombreuses femmes oeuvrant dans l’industrie cinématographique; près de mille signatures en France sous le titre: «À Cannes, les femmees montrent leurs bobines, les hommes leurs films». Mouvement suivi aux États-Unis avec plus de 1500 signataires.

Difficile de croire qu’aucune réalisatrice ne méritait une place dans cette sélection hautement éclectique incluant un «abonné» tel Kiarostami dont l’ultra léger Like Someone In Love fut loin d’éblouir le festivalier, pas plus que le politico-mélo de l’Égyptien Yousry Nasrallah, Après la bataille.

Un combat que connaissent bien nos réalisatrices qui, au Québec, ont fondé l’organisation «Réalisatrices équitables» afin de faire avancer leur légitime revendication à l’équité auprès de nos instances gouvernementales bailleuses de fonds publics destinés à la réalisation.

Publicité

Rappelons que l’un de nos deux films en compétition, le court Chef de meute, fort bien accueilli, est l’œuvre d’une jeune femme Chloé Robichaud, qui travaille actuellement à son premier long métrage. Espoir…

Ces dames…

Présentes ô combien, actives et efficaces, les femmes jouent un rôle majeur dans notre industrie et comptent pour beaucoup dans l’impact de la participation canadienne à cette 65e édition du Festival de Cannes.

Qui sont-elles? Deux femmes, deux visions qui se rejoignent, assurer la vitalité de notre cinéma et sa promotion: Carolle Brabant, directrice générale de Téléfilm Canada, l’agence fédérale, pivot de notre industrie cinématographique; Karen Thorne-Stone, présidente et directrice générale de la SODIMO, la Société de développement de l’industrie des médias de l’Ontario.

Dynamique, passionnée, la patronne de Téléfilm ose. Sa plus récente initiative, l’événement couronné de succès «Hommage aux talents canadiens à Cannes».

Un trophée, le Diamant canadien, création du joaillier Birks, récompense désormais nos talents. Cette année, deux jeunes actrices en sont lauréates: Sarah Gadon, vedette de Cosmopolis de David Cronenberg et de Antiviral de Brandon Cronenberg, ainsi que Emily Hampshire, également interprète de Cosmopolis, qu’on voit brièvement dans Laurence Anyways, en attendant le rôle principal que lui destine Xavier Dolan dans son prochain film.

Publicité

Autre initiative très courue: «Dialogue Père & Fils : les Cronenberg à Cannes» animé par le directeur artistique du TIFF, Cameron Bailey. Distrayant avec un David en verve et plein d’humour et Brandon plutôt introverti, semblant s’abriter dans l’ombre de l’aura paternelle.

La SODIMO est partout

À la barre de la SODIMO, Karen Thorne-Stone explique le rôle de la société à Cannes. Il est multiple: soutenir les projets d’une cinquantaine de producteurs ontariens; construire des ponts avec les agences d’autres pays afin d’encourager les coproductions; négocier ces dernières. Cosmopolis, coproduction Canada-France, illustre parfaitement ces efforts.

Il faut aussi promouvoir les films sélectionnés, leurs créateurs et leurs interprètes; organiser des occasions de rencontres internationales en collaboration avec le TIFF; participer aux initiatives des autres agences provinciales. Ainsi, d’une collaboration avec l’agence du Québec, la SODEC, naîtra An Ennemi, premier film de Denis Villeneuve tourné en anglais.

Une journée à Cannes avec Karen Thorne-Stone: 9h, présentation informative aux coproducteurs internationaux pour encourager les coproductions avec l’Ontario; 10h, rencontres avec des représentants d’agences officielles afin d’initier ou stimuler la coopération avec nos producteurs; 11h, entrevue avec une télévision étrangère dans le but de promouvoir les films et encourager les tournages des compagnies étrangères en Ontario; 12h30, lunch de travail avec des producteurs européens pour finaliser des contrats et en préparer de futurs; 14h, rencontre informative avec divers professionnels de l’industrie au Pavillon du Canada; 16h, participation à une session où divers pays présentent leurs avantages, crédits d’impôt, variété géographique etc.. 19h, dîner d’affaires avec partenaires. Action, action… À vous donner le vertige.

Faut-il s’étonner que la production soit florissante en Ontario?

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur