Canadiens et Français sont-ils si différents?

Les observations d'une Torontoise établie en France

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Publié 14/10/2008 par Élisabeth Martineau

Une drôle d’expérience. Cela fait un certain nombre d’années que je n’ai pas passé autant de temps à Toronto, ma ville natale. À 41 ans, j’ai vécu presque la moitié de ma vie en France. Avant, j’étais 100 % anglophone. Maintenant, je suis la «Française» de la famille, celle qui a fait sa vie de l’autre côté de l’océan. Résultat : mon anglais est teinté d’un accent tout à fait charming et mon français préserve un tout petit peu sa saveur exotique.

Mais c’est bien ici, à Toronto, que demeurent mes souvenirs de jeunesse. C’est ici que je retrouve ma famille et mes amis d’enfance.

En vacances cet été, je découvre, ou redécouvre Toronto presque comme une étrangère. J’entends les gens autour: c’est une famille française, ils se disent. Mais non, je suis d’ici! Je connais toutes ces rues, toutes ces stations de métro, dans l’ordre, et la couleur correspondant au carrelage sur les murs. J’ai grandi près du Bloor West Village, j’ai été au lycée dans le Annex, j’ai travaillé à mi-temps sur Queen Street et j’ai fait mes études à l’Université de Toronto….

Aujourd’hui, je me fonds dans cette foule de gens d’ailleurs. Je regoûte à la richesse d’un mélange culturel et je vois à quel point les Canadiens sont différents des Français. Je le savais mais cette fois-ci, étant devenue davantage «Française», je trouve amusant de souligner certains points.

Les Canadiens, ou du moins les Torontois, parlent à tout le monde. C’est incroyable. Partout où je vais, il y a moyen de parler avec un commerçant, mon voisin dans le tramway… Lorsqu’on se promène en famille, les gens nous demandent d’où l’on vient, si l’on est en vacances. Déjà lorsqu’on rentre dans un magasin et on nous demande: «How are you today?», mon côté français a envie de répondre: «De quoi je me mêle?».

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Ça ne se fait pas en France de demander aux gens comment ils vont. C’est une question beaucoup trop intime que j’ai tenté de poser quelques fois au début de ma vie française. Maintenant, je dis bonjour et c’est tout. J’ai compris qu’il faut du temps avant de franchir l’étape du: comment ça va ? Mais une fois franchie, c’est le feu vert pour une relation «sérieuse» et durable.

À Toronto, on vit pour travailler. En France, on travaille pour vivre. On cherche tous l’équilibre parfait mais alors, quand on se fait envoyer des courriels sur Blackberry alors qu’on est en vacances (et j’ai vu plusieurs exemples cet été à Toronto), je ne comprends pas. Les Torontois sont comme mariés à leur travail, fidèles après vingt ans de service, se sentant indispensables à leur entreprise, irremplaçables même. En France, lorsqu’on travaille, on travaille. Mais les vacances, c’est sacré et c’est pris très au sérieux.

On m’a dit que quand un Torontois s’arrête de travailler, il ne sait pas quoi faire. Est-ce que la campagne s’est tant éloignée avec l’agrandissement continuel de l’agglomération? C’est vrai, quand j’étais enfant, on voyait des fermes le long de Finch Avenue et l’air était frais. C’était peut-être plus facile de trouver de la tranquillité. J’aurais envie de dire aux Torontois en tout cas: profitez de la vie et de ce beau paysage qui vous entoure!

À Toronto, on n’a aucun complexe à porter l’habit qui montre au monde entier le Dieu en qui on croit. Mes filles n’en revenaient pas de voir voiles, turbans, kippas… En France, Dieu est tabou. Depuis la séparation de l’État et de l’Église en 1905, il n’y a rien à faire. Dieu est devenu propriété privée et il demeure, si on est croyant, dans la sphère privée de la vie. Pour aborder le sujet, il faut être bien au-delà du comment allez-vous, et encore. Une vision mémorable pour moi cet été: une jeune femme musulmane portant un voile noir et blanc avec Louis Vitton écrit partout dessus. Dommage que j’ai oublié mon appareil-photo ce jour-là.

Deuxième tabou en France: l’argent. Ceux qui en parlent n’en ont pas beaucoup en général. Sinon, c’est motus et bouche-cousue. En France, il faut bien sûr gagner de l’argent pour payer ses factures, son crédit immobilier… mais ce n’est pas bien vu d’en faire un but en soi.

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Emprunter n’est pas facile. Il faut être en parfaite santé, jeune, n’ayant jamais eu de soucis bancaires. Surtout, il faut avoir de l’argent pour que la banque vous en prête. Au Canada, tout travail a une valeur monétaire. Même une adolescente peut être payée lorsqu’elle garde son propre petit frère. Quant au crédit, un Canadien peut être mourant, handicapé, sans le sous, sans papier et sans emploi, l’argent est toujours là pour être dépensé.

À Toronto, on se sent protégé. Bon, je n’ai peut-être pas été dans les quartiers les plus «dangereux». Toutefois, je n’ai jamais eu peur, pas comme en France certaines fois. Le policier dans l’esprit canadien est là pour nous aider. C’est un genre de Superman qui nous sauve des méchants. En France, on se met instinctivement à trembler dès qu’on voit un gendarme. J’ai toujours mes papiers sur moi, je conduis comme il faut, mais il n’y a rien à faire, j’ai peur d’être arrêtée, peur que l’homme bleu trouve quelque chose qui ne va pas, le moindre détail…

À Toronto, on mange pour vivre, ou survivre. En France, on vit pour manger. D’accord, c’est une grosse généralité mais quand même, on passe des heures à table en France les dimanches et les jours de fête. On fait une pause-promenade pour digérer et on goûte avant de se quitter en fin de journée. Ça fait drôle au début, mais on s’y habitue, sans problèmes.

Les Torontois, comme tous les Canadiens, sont très obéissants. Rares sont ceux qui osent traverser la rue alors que le feu est encore rouge, même s’il n’y a pas un chat, même si c’est la nuit et que personne ne va voir le délit. Tous payent leur parking, leur ticket de métro, même si le contrôleur est parti faire une pause-pipi. C’est beau, et ce n’est vraiment pas comme ça en France. Je vous le garantis.

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Mes propos sont à prendre avec beaucoup d’humour. Bien sûr, on ne peut pas réduire la ou les cultures à quelques lignes. Quand mes enfants me demandent si je préfère vivre au Canada ou en France, je suis incapable de répondre. C’est comme demander à un enfant quel parent il préfère. J’aime les deux, différemment. Et je suis l’enfant de chacun. C’est une chance, une richesse. C’est vivant !

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