Budget fédéral: le déficit zéro avant les prochaines élections

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Publié 29/03/2012 par Fannie Olivier (La Presse Canadienne)

à 16h35 HAE, le 29 mars 2012.

OTTAWA – Le gouvernement conservateur sort son arsenal pour serrer la ceinture à l’appareil gouvernemental et revenir à l’équilibre budgétaire dans trois ans, juste à temps pour la prochaine élection générale.

Le gouvernement fédéral désormais majoritaire s’apprête à retrancher 5,2 milliards $ de moins dans l’augmentation prévue des dépenses des différents ministères, soit 6,9 pour cent de leur budget, avec des départs de fonctionnaires avoisinant 19 200 postes sur trois ans.

Les travailleurs devront eux aussi faire d’importantes concessions, avec le report de l’âge d’admissibilité aux prestations de la retraite de 65 à 67 ans, un changement attendu avec appréhension par une grande partie de la population.

Avec son budget déposé jeudi, le ministre des Finances Jim Flaherty prétend prendre les moyens pour assurer la prospérité à long terme du pays.

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«Nous prendrons des mesures énergiques pour veiller à ce que notre économie crée de bons emplois et qu’elle assure une meilleure qualité de vie à nos enfants et à nos petits enfants», a plaidé le ministre en Chambre.

Des surplus à partir de 2015

Dans trois ans, quand les électeurs iront aux urnes pour élire leur prochain gouvernement, le Canada sera revenu à l’équilibre budgétaire.

En effet, à la fin de la présente année financière, le déficit s’élèvera à 24,9 milliards $, puis passera à 21,1 milliards $ en 2012-2013 pour diminuer graduellement afin d’atteindre 1,3 milliard $ en 2014-2015. L’année suivante, le gouvernement engrangera un excédent de 3,4 milliards $.

«Les choix que nous avons faits sont majeurs. Ils sont responsables. De notre point de vue, ils sont certainement nécessaires (…). Mais ils nous placent sur la bonne voie», a expliqué M. Flaherty aux journalistes.

Les dépenses totales, incluant le service de la dette, s’élèveront à 276 milliards $ en 2012-2013, un hausse marginale de 0,11 pour cent.

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Croissance modeste

Le ministre des Finances se base sur les perspectives de croissance moyennes des économistes du pays, qui s’attendent à une hausse du produit intérieur brut (PIB) réel de 2,2 pour cent au premier trimestre de 2012 et de 2,1 pour cent pour le reste de l’année.

Compte tenu de cette croissance modeste, le gouvernement a choisi de prendre les grands moyens pour parvenir à un retour au déficit zéro, ce qui ne se fera pas sans grincements de dents.

«Énormément de décisions difficiles devront être prises pour restreindre les dépenses à ce point, sur une longue période de temps», a confié l’économiste en chef de la Banque TD, Craig Alexander.

Car même si le budget déposé jeudi amène des réponses quant à l’ampleur des restrictions budgétaires qui s’abattront sur l’appareil d’État, bien des questions restent en suspens.

Ainsi, on ignore qui seront les 19 200 fonctionnaires qui partiront, par des mises à pied ou des mises à la retraite. Le budget se contente d’expliquer que la répartition régionale des fonctionnaires fédéraux sera peu affectée, puisque la majorité des coupes se feront dans la région de la capitale fédérale.

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On ne sait pas non plus comment les différents ministères parviendront à se plier aux coupes annoncées par le grand argentier.

Les sous noirs retirés de la circulation

En chiffres absolus, la Défense nationale verra son budget amputé de 1,1 milliard $ d’ici 2014-2015. Pour la même période, le ministère de la Sécurité publique devra économiser 688 millions $, alors que ceux de la Santé et de l’Agriculture devront couper 310 millions $ chacun.

L’enveloppe accordée à l’aide internationale sera quant à elle diminuée de 378 millions $ d’ici trois ans. La Société Radio-Canada devra de son côté encaisser des coupes s’élevant à pas moins de 10 pour cent pour le même horizon.

Le gouvernement parviendra par ailleurs à économiser des sommes relativement modestes avec des mesures qui frappent l’imagination. Ainsi, le sous noir qui tend à alourdir considérablement le porte-monnaie de tous et chacun, sera graduellement mis hors service dès l’automne prochain, pour une économie annuelle de 11 millions $.

Les conservateurs, fervents monarchistes, accepteront également d’abolir l’exemption d’impôt du gouverneur général. Son salaire sera cependant augmenté pour faire en sorte que la somme nette qui reste dans ses poches demeure inchangée.

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Innovation et ressources

Le gouvernement s’engage à débourser 1,1 milliard $ sur cinq ans pour soutenir la recherche-développement et met sur pied un fonds de 500 millions $ pour favoriser l’expansion de sociétés innovatrices en démarrage. Un changement d’orientation sera observable, la recherche fondamentale délaissée au profit de l’innovation effectuée dans le secteur privé.

L’équipe de Stephen Harper mise sur les exportations et l’exploitation des ressources naturelles pour assurer la croissance de l’économie dans le futur, croit l’économiste Craig Alexander.

«Le gouvernement souhaite l’accélération des exportations de l’énergie et des ressources à l’étranger», a indiqué l’économiste, ce qui explique en partie pourquoi il annonce dans son budget une révision du processus d’examen environnemental des grands projets, comme la construction de pipelines.

Cette accélération des processus d’analyse est susceptible de provoquer la colère des environnementalistes au pays, tout comme l’abolition de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie.

Parmi les autres gagnants de ce budget, la Garde côtière touchera par exemple 5,2 milliards $ au cours de la prochaine décennie pour le renouvellement de sa flotte.

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Un nouvelle enveloppe de 275 millions $ sur trois ans sera par ailleurs accordée pour les écoles autochtones, ainsi que 331 millions $ sur deux ans pour améliorer les systèmes d’aqueducs dans les réserves.

Points saillants

Voici les points saillants du budget déposé jeudi par le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty:

– Le gouvernement réduit de 5,2 milliards $ les dépenses ministérielles, soit 6,9 pour cent de leur budget, avec des départs de 19 200 fonctionnaires à terme, ce qui représente 4,8 pour cent de la fonction publique fédérale.

– L’âge d’admissibilité aux prestations de la Sécurité de la vieillesse passe de 65 à 67 ans. Il en est de même pour les prestations du Supplément de revenu garanti, dont bénéficient les personnes âgées démunies. La hausse graduelle de l’âge d’admissibilité à ces prestations débutera en avril 2023 et s’étendra jusqu’en janvier 2029.

– Le gouvernement annonce une réforme importante de ses programmes d’aide à l’innovation qui se traduira notamment par l’abolition du soutien à la recherche fondamentale et une baisse du crédit d’impôt pour la recherche et le développement.

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– À la fin de la présente année financière, le déficit s’élèvera à 24,9 milliards $, pour diminuer graduellement afin d’atteindre 1,3 milliard $ en 2014-2015. L’année suivante, le gouvernement prévoit engranger un excédent de 3,4 milliards $.

– Les dépenses totales, incluant le service de la dette, s’élèveront à 276 milliards $ en 2012-2013, une hausse marginale de 0,11 pour cent.

– Une somme de 5,2 milliards $ en 11 ans sera consacrée au renouvellement de la flotte de la Garde côtière canadienne.

– Le portefeuille de la Défense nationale sera réduit de 326,8 millions $ en 2012-2013 et ultimement de 1,12 milliard $ en 2014-2015. Après la fin de la mission de combat en Afghanistan, la Défense et les Forces armées canadiennes devraient améliorer les processus d’attribution de contrats, rationaliser l’acquisition de matériel de soutien et centraliser la gestion des biens immobiliers, entre autres.

– La Monnaie royale canadienne cessera de distribuer la pièce d’un cent à compter de l’automne prochain, ce qui permettra des économies annuelles de 11 millions $.

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– Une somme de 275 millions $ en trois ans sera consacrée à l’éducation pour les Premières Nations, en plus de 330,8 millions $ en deux ans pour l’amélioration de la qualité de l’eau sur les territoires autochtones.

– Le ministère fédéral de la Sécurité publique subira une ponction de 179,4 millions $ en 2012-2013. De cette somme, près de la moitié, soit 85,5 millions $, devra être puisée dans le budget des services correctionnels du Canada. En 2014-2015, les économies devront avoir atteint 295,4 millions $ aux services correctionnels du Canada.

Réactions froides et tièdes

L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) estime que les citoyens canadiens se «font passer un sapin» par le gouvernement conservateur, avec l’abolition de quelque 19 200 postes sur trois ans au sein de la fonction publique.

Le vice-président exécutif régional de l’AFPC, Larry Rousseau, estime que gouvernement sacrifie les travailleurs au profit des grandes entreprises et au nom de la sacro-sainte lutte au déficit. Selon lui, l’exercice financier déposé par le ministre des Finances, Jim Flaherty, aura pour effet de freiner la croissance économique et la prospérité au pays.

Le Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC) savait que le budget de la société d’État serait amputé, mais critique vertement les compressions de 115 millions $ sur trois ans annoncées dans le budget fédéral. L’offre de Radio-Canada en information et divertissement sera réduite, estime le président du SCRC, Alex Levasseur.

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Il a accusé le grand patron de la boîte, Hubert T. Lacroix, d’être au service de Stephen Harper plutôt que de se poser comme défenseur de la société d’État. Entre 700 et 800 suppressions d’emploi sont à prévoir, selon lui, en raison de ces nouvelles compressions budgétaires. Ces pertes d’emploi s’ajoutent aux quelque 800 survenues il y a deux ans, rappelle M. Levasseur.

«On roule aujourd’hui avec un budget qui est à peu près le même que celui qu’on avait en 1991 (en dollars réels)», affirme M. Levasseur.

L’abolition du sou noir permettra d’économiser du métal, a estimé le porte-parole du lobby environnementaliste Équiterre, Steven Guilbeault. Mais c’est bien là son seul commentaire positif sur le budget. «Encore cette année, les conservateurs trouvent d’autres façons de compromettre la qualité de l’environnement au Canada et la santé des Canadiens au profit des grandes entreprises et de leurs amies, les pétrolières de l’Alberta», a-t-il laissé tomber en entrevue téléphonique quelques minutes après le dépôt du budget.

M. Guilbeault a dénoncé la décision prise par le gouvernement d’accélérer les processus d’examen environnemental des grands projets, alors même que l’entreprise Enbridge fait la promotion de l’oléoduc Northern Gateway, long de 1170 kilomètres, qui relierait l’Alberta au nord-ouest de la Colombie-Britannique. «On va de plus en plus hypothéquer la capacité de la population et des organisations environnementales de poser des questions, de comprendre les impacts et même d’améliorer la qualité des projets qui sont présentés.»

L’environnementaliste voit aussi d’un très mauvais oeil l’abolition de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’écologie, une organisation dont le mandat était de trouver des façons de concilier les considérations environnementales et économiques. Le fait que l’organisation ait récemment publié des rapports entourant les changements climatiques et la nécessité de mettre un prix sur le carbone n’est probablement pas étranger à cette décision, a-t-il suggéré.

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«Le premier ministre déclare “garder la ligne dure contre le crime”. Ce budget révèle plutôt une “ligne dure contre la nature», a ironisé de son côté la chef du Parti Vert, Elizabeth May.

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a accueilli favorablement le maintien du contrôle des dépenses et le retour à l’équilibre budgétaire préconisé dans le budget Flaherty, mais elle a émis quelques réserves quant au financement de l’innovation.

La principale attente des entrepreneurs était de voir le gouvernement prendre les moyens de revenir à l’équilibre budgétaire, et le gouvernement y a répondu de façon adéquate, a indiqué Jean-Guy Côté, directeur des stratégies et des affaires économiques de la FCCQ. «On représente des entrepreneurs pour qui les dettes ne sont jamais très bon signe», a-t-il dit.

En revanche, la principale crainte de la FCCQ s’est concrétisée. L’organisme déplore que l’exercice financier mette de l’avant des mesures de Recherche et développement «dirigés» au lieu de laisser les initiatives aux entreprises. «Pour beaucoup d’entreprises, les crédits d’impôt pour l’innovation augmentent la productivité. Le gouvernement fédéral change pas mal la donne avec des subventions directes. On ne sait pas trop comment ça va se mettre en place.»

Relations fédérales-provinciales

Au Parlement, les trois partis d’opposition ont bien sûr dénoncé plusieurs aspects du budget, affirmant notamment que ce sont les provinces qui paieront le prix du retour à l’équilibre budgétaire du gouvernement fédéral.

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Même si les transferts aux provinces resteront en principe inchangés, disent Néo-Démocrates, Libéraux et Bloquistes, des mesures mise de l’avant dans ce budget alourdiront par ricochet le fardeau que devront assumer les provinces. En faisant passer l’âge d’admissibilité aux prestations de retraite de 65 à 67 ans, de même que le supplément de revenu garanti, le gouvernement obligera les provinces à débourser d’avantage en aide sociale pour les plus pauvres.

L’opposition officielle, le NPD, a rappelé qu’une telle mesure ne figurait pourtant aucunement dans la plateforme électorale conservatrice, au printemps dernier. Les transferts en santé, même s’ils continueront d’augmenter de 6 pour cent pour les cinq prochaines années, seront par la suite de 3 pour cent.

«Les conservateurs se sont fait élire sur la promesse de créer des emplois. À la place, aujourd’hui, on apprend qu’ils vont mettre la hache dans les pensions de retraite et les services de santé. C’est une énorme trahison», a lancé le chef néo-démocrate Thomas Mulcair.

«C’est totalement inadmissible que dans un pays riche comme le Canada on ait encore autant d’aînés dans la pauvreté. M. Harper préfère qu’il y en ait plus», a suggéré M. Mulcair.

L’opposition dénonce par ailleurs qu’aucune somme n’ait été réservée pour compenser les provinces pour ce qu’elles devront débourser afin de mettre en vigueur la loi durcissant la justice criminelle que les Communes viennent d’adopter, notamment pour construire de nouvelles prisons.

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«C’est un budget qui est vraiment mauvais pour les relations entre les provinces et le gouvernement fédéral, parce que c’est clair que c’est les provinces qui vont payer le prix si cher pour les coupures qui viennent maintenant du gouvernement fédéral», a soutenu le chef libéral Bob Rae.

Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, a cité à l’appui la fin d’un projet pilote qui prolongeait de cinq semaines les prestations d’Assurance-emploi pour les travailleurs dans les secteurs touristiques et forestiers. Cela permettait de combler le vide entre la fin des prestations et le début du travail saisonnier.

«Les cinq semaines, les gens vont faire quoi durant le trou noir? Ils vont aller sur les crédits des provinces. C’est un budget où l’on pellette dans la cour des provinces un certain nombre de dépenses que le gouvernement fédéral ne veut plus assumer», a-t-il avancé.

Le budget fédéral

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