Bilinguisme officiel: Graham Fraser hausse le ton

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Publié 03/06/2008 par Yann Buxeda

Si le flegme et la tenue de Graham Fraser sont toujours irréprochables, le Commissaire aux langues officielles a su montrer la semaine dernière qu’il n’avait rien perdu de sa verve critique. Le dépôt de son rapport annuel au Parlement met en exergue les nombreux manquements du gouvernement Harper quant à ses obligations en matière de langues officielles, et le fait sans complaisance aucune.

«Le gouvernement continue d’appuyer en principe la dualité linguistique canadienne, mais cet appui ne se manifeste pas par une vision d’ensemble à l’égard des politiques gouvernementales et de la fonction publique.»

Manque de vision et d’action, leadership hésitant et incertain, les qualificatifs employés par Graham Fraser au sujet du gouvernement Harper en matière de langues officielles sont cinglants. Et le rapport déposé auprès du Parlement s’apparente presque à un recueil des recommandations effectuées par le commissaire au cours des derniers mois, tant les progrès réalisés par l’administration Harper s’avèrent faméliques.

La gestion de la mise en oeuvre du Plan d’action sur les langues officielles, arrivé à échéance le 31 mars dernier, reste notamment en travers de la gorge de Graham Fraser. Ce qui constitue l’épine dorsale du brûlot remis par le commissariat a pourtant fait l’objet de toutes les consultations et études nécessaires: «Depuis plusieurs mois, la ministre Verner et le premier ministre Harper ont en main le rapport sur les consultations entreprises sur le sujet, mais ils n’ont encore annoncé aucune mesure concrète. En fait, on se croirait dans une pièce de Samuel Beckett qui pourrait s’intituler En attendant le Plan d’action

Un manque de réactivité et d’action que l’on retrouve à une échelle plus large, déplore le commissaire, qui a enregistré «très peu de progrès dans plusieurs domaines d’activités. En fait, les données présentées dans [son] rapport indiquent que la situation de la langue de travail se serait même détériorée dans certaines institutions.»

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Graham Fraser pointe par ailleurs quelques cas spécifiques, notamment celui des juges de la Cour suprême du Canada, dont le bilinguisme est indispensable afin d’offrir une représentativité objective de la réalité du Canada.

Le rapport met également en lumière quelques manquements majeurs au sein du milieu éducatif, et insiste sur l’impact essentiel du bilinguisme canadien pour les nouveaux entrants sur le marché du travail: «Le gouvernement fédéral doit agir avec les provinces et les territoires pour que les Canadiens et les Canadiennes qui veulent tirer avantage des deux langues et des deux cultures aient accès à des occasions d’apprentissage stimulantes et enrichissantes.»

Une grogne soutenue

La publication d’un rapport aussi tranché n’a pas manqué de susciter des réactions au sein de la communauté francophone du Canada.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) est montée au créneau très rapidement, par l’intermédiaire de sa présidente Lise Routhier-Boudreau, qui a vu dans ce rapport «une série de constats qui reflètent le peu de gestes concrets qu’on voit au niveau de cette mise en œuvre, qu’il s’agisse de la promotion de la dualité linguistique, des services et communications dans les deux langues ou de l’appui au développement des communautés».

Toutefois, la FCFA s’étonne des suivis plutôt «faibles» du commissaire aux recommandations qu’il avait formulées dans son rapport d’enquête sur les compressions budgétaires effectuées par le gouvernement en septembre 2006. Le commissaire avait alors conclu que plusieurs des compressions effectuées, dont l’abolition du financement du Programme de contestation judiciaire, constituaient des violations au chapitre de la Loi sur les langues officielles. L’automne dernier, le commissaire a formulé trois recommandations claires afin que le gouvernement fédéral prenne des mesures correctives à l’intérieur d’une période de 120 jours.

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«Or, dans son rapport annuel, M. Fraser note que le gouvernement n’a rien dit au sujet de ces mesures correctives, et formule une nouvelle recommandation demandant au Conseil du Trésor de prendre des mesures pour que ne se reproduisent plus des situations semblables à celle qu’on a vu en septembre 2006. Il est clair que nous aurions aimé voir un ton plus incisif du commissaire par rapport au peu de suivi donné par le gouvernement en termes de mesures correctives», souligne Mme Routhier-Boudreau.

Même son de cloche du côté de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) qui soutient globalement les recommandations et points de vue développés dans ce rapport, mais avoue sa perplexité quant au commentaire du commissaire demandant aux communautés de s’efforcer d’accroître leur vitalité.

«Le commissaire nous demande de faire plus avec moins, souligne Mariette Carrier-Fraser. Moins d’argent, moins de ressources, mais plus de défis. Nous gérons une décroissance de ressources depuis plus d’une décennie. Les organismes communautaires nous témoignent de leur essoufflement, ajoute-t-elle. Nos leaders de la francophonie sont devenus cyniques quant à l’absence de dénouement aux consultations empilées sur consultations.»

Du côté de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), l’enthousiasme est de mise et sa présidente, Raymonde Boulay-Leblanc, salue l’engagement du commissaire en matière de culture: «Dans son premier rapport, M. Fraser avait recommandé d’élargir la portée du prochain Plan d’action pour les Langues officielles au domaine des arts et de la culture de la francophonie canadienne. Aujourd’hui, il réaffirme sa positon pour que les arts et la culture restent au coeur du Plan d’action.»

Reste à savoir si le rapport déposé saura attirer un minimum l’attention du gouvernement Harper, dont les préoccupations actuelles semblent irrémédiablement tournées vers la gestion de sa popularité. Il en va de la crédibilité du commissariat.

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