Bienvenue dans mon Canada

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Publié 09/12/2008 par Didier Kabagema

Les événements qui se déroulent à Ottawa méritent qu’on jette la lumière sur ce qui est une situation sans précédent au Canada. Le Premier ministre Stephen Harper s’est mis dans une situation dramatique sans qu’on l’y incite. Quoique diront les historiens qui rédigeront des textes sur la tentative de renversement du gouvernement Harper, les commentateurs de tous bords reconnaissent que l’opposition au parlement canadien réagit à la suite d’un énoncé économique ouvertement belliqueux et revanchard à l’endroit des adversaires des conservateurs.

Monsieur Harper a trouvé bon d’insérer des mesures qui diminuent le financement des partis d’opposition, qui suspendent le droit de grève pendant deux ans chez les fonctionnaires fédéraux et gèlent la question épineuse d’équité salariale dans l’appareil de l’État. La ruée dans les brancard ne s’est pas faite attendre et le gouvernement Harper a une véritable coalition d’opposants qui n’attendent que le dépôt de l’énoncé économique pour voter une motion de non confiance.

Il faut dire que l’idéologue qu’est monsieur Harper ne s’est pas montré pressé d’annoncer de l’aide aux industries touchées par la crise économique mondiale, alors que c’est le cas dans le reste des pays industrialisés, de l’Australie à l’Allemagne en passant par les USA. Non, le Premier ministre, économiste de formation, prend son temps et promet de se pencher sur la question en janvier 2009 en prônant la réduction des dépenses et non l’influx de capitaux dans les industries au bord de la faillite. 

Devant cette révolte à Ottawa, monsieur Harper a trois choix. Celui de suspendre le Parlement afin de calmer les esprits et éviter du même coup un vote de non confiance au moins jusqu’en janvier. Il peut également demander au Gouverneure générale Michaelle Jean de dissoudre l’assemblée canadienne et refaire des élections. Le troisième choix est d’accepter de donner sa démission. Par conséquent, tous les yeux sont tournés vers la Gouverneure générale qui doit soupeser les options pour le bien commun des Canadiens.

L’histoire du Canada est à la croisée des chemins car la personne qui occupe le poste est une femme noire, journaliste de formation, francophone, intellectuelle engagée. Les regards sur elle en disent long sur le pays. Les gens de l’Ouest n’avaient jamais pensé qu’une intellectuelle du Québec comme représentante de la Reine d’Angleterre déciderait du sort de leur parti favori. Les regards du centre du pays espèrent qu’elle donne une chance à la coalition d’opposants qui veut le pouvoir vu l’affinité que le centre a avec les libéraux. Ceux de l’Est sont surpris mais prêts à tous les scénarios car les conservateurs ont beaucoup déçus dans cette région et les blessures sont profondes.

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Jamais au Canada, les politiciens de tous bords n’ont retenu leur souffle en attendant le verdict d’une intellectuelle noire. Jamais, ces messieurs habitués aux réunions entre hommes de même race, même pedigree, même ancêtres et surtout même préjugés ont imaginé dans leurs cauchemars les plus délirants que ce qu’ils considèrent leurs droits innés de diriger ce pays conquis par les Anglo-saxons, tiendraient dans la balance d’une femme à l’accent français, aux ancêtres esclaves et à la couleur de la peau aussi noire que celles de citadins de Toronto qui défrayent sans cesse la rubrique des crimes et des gangs armés. Ceci est un précédent qui mérite d’être souligné.

Je crains que les médias canadiens ne pourront pas saisir l’ampleur de la situation pour deux simples raisons. La première est que la plupart des médias d’importance ne reflètent pas la réalité ethno-culturelle du Canada, surtout celle de la région du centre du pays. La seconde est qu’il y a de nombreuses barrières éditoriales qui feraient qu’un journaliste saisi par l’importance de la situation ne verrait pas son papier publié car les rédacteurs-en chef sont d’une ancienne génération. 

Le résultat de la démarche de Mme Jean n’est pas aussi important que le fait que l’histoire du Canada sera marquée d’une façon ou d’une autre par l’impact de la décision de cette femme. Elle entre ainsi encore plus dans l’histoire de ce pays car il ne sera pas possible de dire en terme vague, comme on le fait de l’apport des Amérindiens à l’héritage canadien, qu’une femme noire fut Gouverneure générale.

Il faudra ajouter que cette dernière a montré le chemin à suivre pour la stabilité du Canada et que seule, devant ses responsabilités, elle a agi en tant que Chef d’État pour le bien commun de ses compatriotes. Ces derniers ont eu, au-delà de leurs préjugés et de leurs esprits partisans, à obtempérer et suivre la décision de cette femme noire, cette Canadienne venue de loin, Haïti. Il n’est que justice de voir que le pouvoir jalousement gardé par les politiciens leur échappe pour un certain temps et qu’ils deviennent les auditeurs d’une femme issue des minorités visibles. Sans elle et sa décision, ils sont réduits à être des pantins aux ambitions aussi crasses que leur manque d’ouverture d’esprit.
 
Bienvenue dans mon Canada. 

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