Battre son plein: curiosité et controverse

Bastille Fête Français 16 juillet 2022 Bentway
Un festival qui «bat son plein». Photos: l-express.ca
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Publié 20/03/2012 par Martin Francoeur

Récemment, je me suis interrogé sur l’origine de l’expression «battre son plein».

Il m’est arrivé de décortiquer dans ces pages certaines expressions qui, à un moment donné, ont piqué ma curiosité. Soit parce qu’elles cachent une histoire captivante, qu’elles ont une origine méconnue ou parce qu’elles ont traversé le temps malgré des mots ou des sens qui ne sont plus en usage. Le monde des expressions est un univers fascinant.

L’expression «battre son plein» signifie «arriver à son moment le plus intense» ou plus simplement «être en cours».

Le festival bat son plein

Un festival peut battre son plein. La semaine de la déficience intellectuelle peut battre son plein. La saison des sucres bat son plein. La course au leadership du Nouveau Parti démocratique bat son plein. Les utilisations sont nombreuses et donnent lieu à une variété et une originalité dans le style.

C’est l’emploi de cette expression avec un sujet pluriel qui m’a conduit vers une petite recherche.

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Donc, je me suis demandé si on pouvait écrire «battent leur plein» lorsqu’on a un sujet pluriel. Peut-on, par exemple, dire que les Journées mondiales de la jeunesse battent leur plein? Ou que les soldes de l’Après-Noël battent leur plein?

Un son employé comme nom?

Un ami me disait qu’on ne pouvait pas transformer «battre son plein» en «battre leur plein» au pluriel, puisque le «son» était ici employé comme nom. Plein son, c’est comme plein volume, pleine sonorité. Comme si, à l’origine, on avait dit que l’orchestre «battait son plein» ou que la marche militaire «battait son plein».

Cette hypothèse est intéressante, mais elle ne semble pas rallier les linguistes et les auteurs d’ouvrages consacrés aux expressions.

Le Robert des expressions et locutions, d’Alain Rey et Sophie Chantreau, évoque d’ailleurs cette divergence. L’ouvrage mentionne que l’expression «battre son plein» signifie «arriver à son point d’activité, d’intensité le plus grand».

Sens propre et figuré

Au sens propre, «l’expression se dit, lors de la marée, de l’eau qui, ayant atteint le niveau le plus haut, reste étale avant de redescendre».

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On fait aussi remarquer qu’au figuré – et dans un sens voisin –, on trouve l’expression «être dans son plein», qui fait référence au «plein» de la lune. Ce qui est sûr, à la lumière de ces explications, c’est que «plein» est ici un nom, un substantif, et non un adjectif qui qualifierait, par exemple, le nom «son». Le «son» dans l’expression «battre son plein» est simplement un adjectif possessif placé devant le nom «plein».

Cela écarte donc l’hypothèse selon laquelle l’expression viendrait plutôt d’un instrument de musique qui battait un son plein.

«Des cuistres, ayant imaginé qu’il s’agissait d’un instrument qui battait un son plein, écrivirent au pluriel: les fêtes battaient son plein et, fiers de cette élégance, accusaient de barbarisme ceux qui disaient très correctement: battaient leurs pleins», peut-on lire dans le Robert des expressions et locutions.

Ce n’est pas le bruit, c’est l’intensité

Sur le site web expressio.fr, on note d’ailleurs que lorsqu’une fête «bat son plein», ce n’est pas qu’elle est bruyante, mais qu’elle est bien à son plus haut niveau d’intensité.

L’Académie française tend aussi à donner raison à Littré qui, le premier, a avancé l’explication selon laquelle l’expression est empruntée à la langue des marins.

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«Si l’expression battre son plein a naguère encore suscité quelques controverses, tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui à donner raison à Littré. […] Son est bien un adjectif possessif et plein un substantif, les meilleurs auteurs se rangent à ce point de vue. Le plein, c’est la pleine mer, et l’on dit que la marée bat son plein lorsque, ayant atteint sa plénitude, elle demeure un temps stationnaire. On dit donc bien les fêtes battent leur plein.»

Échanges épiques sur «battre son plein»

Certains forums de discussion, sur le web, présentent des échanges épiques entre amateurs de langue française qui maintiennent leur penchant pour le «son plein» au singulier puisqu’il s’agirait du substantif «son» et de l’adjectif «plein».

Mais il faut plutôt accréditer la thèse de la marée qui atteint sa plénitude. Et considérer que «plein» est ici employé comme nom.

Avouons tout de même que ce débat est fort intéressant… Et il témoigne, une fois de plus, de la richesse de notre langue et de sa petite histoire.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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