Il y a différentes façons d’effectuer un retour à l’âge d’or de la musique classique. Il y a la façon André Rieu, qui écoule des millions de disques en recréant une Vienne de pacotille dans ses spectacles au kitsch consommé. Et puis il y a le genre de nostalgie qu’alimente le phénomène Alexandre Da Costa, ce jeune virtuose québécois qui sillonne le globe comme une réincarnation des maîtres du tournant du dernier siècle, époque où les grands solistes – Kreisler et, avant lui, Paganini – étaient l’équivalent des vedettes rock d’aujourd’hui.
Bien sûr, il serait fâcheux de réduire Da Costa au rôle de pourvoyeur de frissons fin de siècle. Sa démarche ratisse beaucoup plus large, et son archet se frotte à des partitions plus obscures, comme celles de compositeurs du XXe siècle portugais tels Armande José Fernandes et Luis de Freitas Branco, qui lui offrent l’occasion de revisiter ses propres racines.
Mais ces temps-ci, le violoniste surfe sur une crête de popularité qui est liée à sa façon de tutoyer un tout autre univers, celui de Fritz Kreisler (1875-1962), le violoniste-compositeur qui avait poussé à son point culminant la virtuosité romantique et sensuelle («la personnification du péché», disait un de ses contemporains) au tournant du XXe siècle, tant dans ses interprétations des concertos de Beethoven et de Brahms – pour lesquelles il composa des cadences encore jouées aujourd’hui – que grâce à ses propres valses et miniatures, qui incarnaient l’élégance insouciante d’une Vienne sûre de sa place au centre de la culture européenne.
Il faut toujours penser en fonction du public
Et il faut croire que cette conception de la musique n’est pas tout à fait périmée, puisqu’un récent enregistrement des dites valses et miniatures, qu’Alexandre a réalisé avec l’Ensemble Canimex, s’est déjà écoulé à 20 000 exemplaires, chiffre quasi inespéré, de nos jours, pour un disque classique. Pour le plus grand bonheur des mélomanes torontois, plusieurs de ces pièces côtoieront des partitions de Dvorak, Mozart et Heather Schmidt au programme, lorsque Da Costa se produira le 8 mai lors du dernier concert de la saison de l’ensemble Sinfonia Toronto.
«Ce n’est pas un programme trop pointu», concède Da Costa, que L’Express a rejoint durant une trêve qu’il s’est accordée sous le soleil des Bahamas. «C’est conçu pour amener le public à ensuite aimer les autres programmes que je propose.» Le violoniste est donc conscient de la dimension stratégique – et même pédagogique – de ses choix de répertoire.