Alanis Obomsawin, cinéaste autochtone

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Publié 23/10/2007 par Aline Noguès

Le 8e festival annuel imagiNATIVE vient de se clore en célébrant une nouvelle fois les dernières oeuvres cinématographiques d’artistes autochtones. Parmi eux, la renommée documentariste Alanis Obomsawin. Cela fait 40 ans qu’elle porte son regard sur les peuples autochtones. C’est en quelque sorte une question de responsabilité. Ses origines sont indiennes, elle se doit de parler de ce qui ne va pas, pour faire changer les choses. Mais la responsabilité, c’est aussi celle de montrer la réalité sans la déformer, sans porter sur elle un regard erroné. Ce que ceux qui s’attellent à la tâche ne parviennent pas tous à faire avec autant de talent…

Alanis Obomsawin est née en 1932 au New Hampshire, en territoire abénaquis, puis a vécu sa jeune enfance dans le Nord-Est de Montréal, à la réserve d’Odanak.

Elle y vivra jusqu’à l’âge de 9 ans, avant de s’installer avec ses parents à Trois-Rivières. Mais Alanis Obomsawin ne se coupera jamais de ses racines. Ni Canadienne, ni Québécoise, elle se considère exclusivement Abénaquise. Son enfance à Trois-Rivières n’a pas été très tendre: elle subit les brimades de ses camarades engoncés dans des préjugés racistes.

Mais sa farouche volonté de parler de son peuple n’est pas une revanche. «L’idée est de prendre notre place, d’avoir un endroit – le film documentaire – où notre peuple peut avoir la parole et montrer ses traditions, ses coutumes, son histoire… Pendant plusieurs générations, cette dernière a été bannie. Moi je souhaite documenter l’histoire du plus de communautés possible car elle représente les racines des gens, celles aussi des jeunes d’aujourd’hui et des jeunes à venir. Il faut qu’ils sachent d’où ils viennent, ce qui s’est passé dans la vie de leurs ancêtres.»

Alanis Obomsawin est d’abord chanteuse, auteure et conteuse, et se lance dans le cinéma en 1967. Son genre de prédilection: le documentaire engagé. Pour faire parler les siens… pour faire parler des siens. Qu’on leur donne enfin la parole et que ces films servent à quelque chose. L’art pour l’art? Très peu pour elle.

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Le cinéma doit avoir une visée sociale, être à l’origine de changements. «On ne peut rien changer si on n’en parle pas, si on ne dénonce pas les injustices. Il faut faire voir aux gens la vérité, les comportements politiques qui ont fait souffrir nos peuples.»

Et pour la réalisatrice, le film est le meilleur moyen de faire passer le message. Selon elle, l’image, la télévision ont pris tellement de place dans la vie des jeunes qu’il lui semble approprié d’utiliser ce média pour se faire entendre: «Si on arrive par là à faire des choses qui peuvent éduquer les jeunes et en plus les guider dans la vie, c’est très fort!»

Couverte de prix et de distinctions, détentrice de plusieurs doctorats honorifiques, Alanis Obomsawin a réalisé une série de films sur la crise d’Oka de 1990, des films portant sur le combat de communautés pour préserver leurs droits de pêche, sur le désespoir des jeunes autochtones, sur la difficulté à garder ses traditions, sur un centre de désintoxication près d’Edmonton, sur les sans-abri à Montréal…

Les autochtones sont toujours au coeur de son travail. Mais sur ces thèmes parfois délicats, le regard doit l’être également. C’est au journaliste ou au cinéaste de faire preuve d’un sens de la responsabilité. Malheureusement, les Indiens ont souvent vécu des expériences malheureuses: des autochtones montrés sous leur pire jour, celui de la misère et de l’alcoolisme… ce qui ne manque pas de faire enrager Alanis Obomsawin.

«Certes, ce sont des choses qui existent mais on peut porter différents regards. Si on veut aborder ces choses-là, il ne s’agit pas de montrer ces gens dans la rue, saouls… c’est un regard horrible. C’est déjà terrible ce qui arrive aux autochtones, il faudrait en parler avec responsabilité. Lorsque je vois ce genre de films, je me demande ce qu’il y avait dans l’esprit du réalisateur. Il y a parfois des gens malintentionnés! C’est très facile de mettre la tête de quelqu’un dans la boue mais à quoi cela sert-il? Lorsque vous voyez une personne dans la misère, si vous avez le moindre respect pour l’être humain, au lieu de montrer des images comme celles là, vous parlez à cette personne, vous la laissez s’exprimer. Personne n’est né dans cette misère-là, diverses raisons y poussent des individus. Il faut respecter ces gens et leur donner la parole.»

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Alanis Obomsawin ne va pas juqu’à dire que seuls les autochtones peuvent faire des films sur les autochtones mais elle se méfie du regard extérieur qui ne peut saisir parfaitement ce qui se passe chez les Premières Nations: «C’est un autre regard, certains ont réalisé des productions très valables mais d’autres ont fait plus de tort que de bien. Je ne dirais pas que c’est un prérequis d’être autochtone pour parler des autochtones, mais c’est un plus.»

Aujourd’hui, Alanis Obomsawin se réjouit de voir que malgré des problèmes de société persistants chez les autochtones, comme le fort taux de suicide, la situation s’améliore peu à peu, grâce à un retour aux sources. «Ce qui est important, c’est de savoir qui l’on est, de se sentir bien dans sa peau. Pendant longtemps, les autochtones ont dû accepter les valeurs des Blancs et leurs manières de fonctionner. Mais ce qui était contraire à nos traditions n’a apporté que du mal. Aujourd’hui, les gens ont compris cela. Alors ils retournent à des manières de faire et de penser héritées de leurs ancêtres. C’est un pas vers la guérison.»

Lorsqu’on demande à Alanis Obomsawin si elle ne craint pas de se laisser étiqueter, de manière réductrice, réalisatrice autochtone ne parlant que des autochtones, elle se fâche presque: «Les films que je fais sont ce qu’il y a de plus important dans ma vie, alors ce que l’on pense de moi m’importe peu. D’ailleurs, ajoute-t-elle dans un sourire teinté de détermination, tant que je vivrai et que je serai en santé, je continuerai, car il y a encore tellement de travail à faire!»

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