Corruption: un ingénieur chef de Montréal nie avoir exhibé une liasse de billets

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Publié 13/11/2012 par Lia Lévesque (La Presse Canadienne)

à 11h29 HNE, le 14 novembre 2012.

MONTRÉAL – Yves Themens, ingénieur chef de section à la Ville de Montréal, a réfuté l’allégation de l’ingénieur Gilles Surprenant, qui avait affirmé lors de son témoignage devant la Commission Charbonneau qu’il avait exhibé une liasse de billets devant lui, en affirmant qu’il venait de rencontrer «Tony», l’entrepreneur Tony Conte, de Conex Construction.

«C’est totalement faux», a affirmé M. Themens, mercredi, à la procureure de la Commission, Me Claudine Roy, qui l’interrogeait à ce sujet.

M. Themens, un cadre intermédiaire au service de la voirie, dit ne pas comprendre pourquoi M. Surprenant, un ancien collègue de travail, aurait inventé de telles choses.

M. Themens a toutefois admis avoir reçu, voire demandé à des entrepreneurs, des billets de hockey, et avoir participé à des parties de golf.

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Jamais décelé de dépassements de coûts

Dans le cadre de son travail d’endossement des sommaires décisionnels préparés par les ingénieurs, il a affirmé n’avoir jamais décelé de gonflements manifestes de coûts, bien que d’autres témoins aient évoqué que les coûts des travaux avaient grimpé pendant plusieurs années à cause de la collusion entre les entrepreneurs et parce que l’ingénieur Gilles Surprenant gonflait lui-même les prix unitaires des matériaux dans le système informatisé Gespro.

«Avec toutes les étapes de validation, je ne pense pas qu’on pouvait passer des niaiseries», a avancé M. Themens.

Il a confirmé avoir travaillé notamment avec l’ingénieur Gilles Surprenant pour ajuster des sommaires décisionnels pour expliquer des hausses de coûts, par exemple, mais «pas pour inventer des choses qui étaient fausses».

S’il y avait anomalie, il réclamait des justifications, des éclaircissements à l’ingénieur responsable du dossier, a-t-il témoigné. Quand celles-ci étaient obtenues, M. Themens endossait la réclamation au sommaire décisionnel et le dossier suivait son cours.

Le témoin a aussi affirmé qu’à la suite de reportages dans les médias évoquant le petit nombre d’entreprises qui obtenaient des contrats de la Ville de Montréal, en 2009, le directeur général associé lui avait demandé de faire lui-même une compilation des millions de dollars de contrats accordés à quatre entreprises.

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Ses recherches avaient confirmé les reportages.

Il a relaté que diverses mesures avaient été prises pour tenter de corriger la situation, notamment en cessant de rendre disponible la liste des preneurs de cahiers de charges, à compter du 30 octobre 2009.

Services d’une escorte

La veille, poursuivant son témoignage à la Commission Charbonneau, l’ingénieur superviseur Gilles Vézina, employé par la Ville de Montréal, a raconté s’être fait offrir – en plus des billets de hockey, repas au restaurant et bouteilles de vin – les services d’une escorte par deux entrepreneurs en construction, des offres qu’il a toutefois repoussées.

M. Vézina a révélé que ces services d’une escorte dans un hôtel lui avaient été proposés à deux occasions, vers la fin des années 1980 ou le début des années 1990, à la suite d’un repas au restaurant avec ces entrepreneurs.

Il a refusé les offres, n’étant marié que depuis quelques années, a-t-il justifié. Il a affirmé ne pas s’être étonné de cette offre, estimant que les entrepreneurs voulaient seulement savoir ainsi ce qui lui plairait ou jusqu’où ils pouvaient aller.

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L’ingénieur superviseur a aussi estimé avoir reçu régulièrement des bouteilles de vin de la part de 15 à 20 entrepreneurs en construction, à raison d’une ou deux par entrepreneur. Ces bouteilles étaient le plus souvent livrées à son domicile et rarement au bureau.

Une fois, une bouteille lui a été livrée de la part de Garnier construction par l’intermédiaire de l’ingénieur subalterne Luc Leclerc, ce qu’il n’a pas trouvé élégant, a-t-il témoigné.

Pas au courant du stratagème

Gilles Vézina, le supérieur de l’ingénieur Luc Leclerc, qui a admis avoir reçu au moins 500 000 $ en pots-de-vin lorsqu’il était employé par la Ville de Montréal, a affirmé n’avoir jamais eu connaissance de ce stratagème.

L’ingénieur superviseur a assuré n’avoir pris connaissance du rôle des ingénieurs Gilles Surprenant et Luc Leclerc que lors de leur témoignage devant la Commission Charbonneau, en octobre.

Les deux ingénieurs retraités ont admis avoir touché chacun des centaines de milliers de dollars en pots-de-vin de la part des entrepreneurs en construction, durant plusieurs années, sans compter les repas au restaurant, tournois de golf, billets de hockey et autres faveurs.

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M. Vézina était même le supérieur immédiat de M. Leclerc et devait cosigner les réclamations d’extras qu’il présentait à la Ville au nom des entrepreneurs en construction.

Pas de pitié

L’ingénieur Luc Leclerc avait justifié lundi son manque apparent de remords par le fait qu’à son avis, même s’il en exprimait, les citoyens ne lui pardonneraient pas ses gestes.

«Si j’avais cru que d’avoir la larme à l’oeil au cours de mon témoignage, ou le trémolo dans la voix, ou la tête entre les deux jambes avait changé quoi que ce soit au passé, vous pouvez être sûr que j’aurais même mis le genou par terre», a-t-il lancé lundi, à la reprise des audiences de la Commission Charbonneau.

«Mais malheureusement, la vie n’est pas un roman, n’est pas du cinéma. Je sais que ça n’aurait absolument rien changé. Ce qui est fait est fait, et je ne peux plus le défaire. (On) peut exprimer des regrets à la population, mais je ne pense pas que la population pardonne.»

Contre-interrogé par le procureur de la Ville de Montréal, Martin St-Jean, l’ancien chargé de projets au département de la voirie a justifié de cette façon son absence de regrets manifestes, contrairement à son collègue Gilles Surprenant, qui a aussi admis avoir participé au même stratagème et touché des centaines de milliers de dollars en pots-de-vin.

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Pourtant, à la toute fin de son contre-interrogatoire, Luc Leclerc a changé de cap, et demandé à son tour pardon aux Montréalais et à ses collègues ingénieurs, comme son collègue Gilles Surprenant l’avait fait.

«Je regrette ce que j’ai fait. J’en appelle à la clémence de la population en général, aux payeurs de taxes de Montréal, également aux membres du syndicat des ingénieurs, aux membres de l’Ordre et à tous les employés actuels.»

Il a offert à la Commission de continuer sa collaboration comme «témoin repentant» sur des questions éthiques. «C’est la seule manière que je pense que je peux me racheter, c’est de collaborer», a-t-il ajouté.

Il avait d’abord menti

Pourtant, il a dû admettre que même lorsque les enquêteurs de la Commission Charbonneau l’ont interrogé pour la première fois en mai 2012, il leur a menti, prétendant qu’il ne lui restait plus d’argent provenant de ces pots-de-vin. «Je leur ai dit qu’il n’en reste plus, que j’ai tout dépensé», a-t-il témoigné.

Ce n’est que le 29 octobre dernier qu’il leur a finalement remis quelque 90 000 $, soit la somme qu’il lui restait.

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M. Leclerc a travaillé une vingtaine d’années pour la Ville et a participé à la surveillance de contrats totalisant 207 millions $, selon le relevé dévoilé par le procureur de l’Association de la construction du Québec, Daniel Rochefort.

Il a aussi avoué qu’il n’avait même pas de prétexte valable autre que la gratification personnelle pour avoir participé à ce système de corruption. «Je n’ai jamais eu de menaces de personne; je n’ai même pas cette excuse-là.» Il a même joué au golf à deux reprises avec le parrain de la mafia, Vito Rizzuto.

L’ingénieur retraité a aussi soutenu que l’absence de vérification et le manque d’effectifs au département de la voirie ont eu pour conséquence de favoriser l’implantation du système de corruption.

Au début de sa carrière, en 1990, des vérificateurs internes choisissaient deux ou trois contrats accordés par son département et les examinaient à fond, a-t-il relaté. Ils cherchaient notamment à savoir s’il n’y aurait pas eu moyen de payer moins pour exécuter les travaux de la Ville.

Vers 1995, ces vérificateurs sont disparus et, selon le témoignage de Luc Leclerc, il n’y a plus eu de vérification interne ou externe.

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Manque d’effectifs?

Le manque d’effectifs dans son département a aussi facilité l’implantation de ce système de corruption, selon lui, parce qu’une certaine proximité s’est installée entre entrepreneurs et fonctionnaires, qui avaient souvent affaires aux mêmes personnes au fil des ans.

Lui qui a également été président du Syndicat des ingénieurs de la Ville de Montréal et de la Communauté urbaine de Montréal pendant quelques années a soutenu avoir fait «énormément» de représentations auprès de ses patrons pour se plaindre des conséquences de ce manque d’effectifs. La Ville accordait également des mandats à des firmes privées de génie.

L’ingénieur retraité a aussi soutenu que les agents techniques sur le terrain François Thériault et Michel Paquette touchaient également des pots-de-vin.

«Vous saviez que MM. Thériault et Paquet recevaient des sommes, et eux savaient que vous, vous receviez des sommes?», lui a demandé le commissaire Renaud Lachance. «C’est exact», lui a répondu M. Leclerc.

MM. Paquette et Thériault ont été suspendus par la Ville de Montréal le 2 octobre dernier.

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Un rapport dès 2004

Par ailleurs, la Ville de Montréal a publié un rapport laissant croire que la municipalité savait déjà, il y a plusieurs années, qu’elle payait trop cher pour des projets de construction, et que les factures étaient parfois gonflées de plus de 30 pour cent.

En réponse à des allégations voulant que des responsables municipaux dissimulaient de vieux documents, la Ville a dévoilé lundi une demi-douzaine de rapports commandés depuis 2004.

Le rapport remontant à 2004 mentionne que Montréal est un marché fermé en matière de construction, les contrats étant accordés de façon répétitive à une demi-douzaine d’entreprises.

L’actuel directeur général de la Ville, Guy Hébert, affirme que des gestes ont commencé à être posés en 2009, avec l’entrée en vigueur d’une série de mesures visant à éviter la collusion et la corruption dans l’octroi de contrats municipaux.

Liste de suggestions

Un autre rapport, celui-là daté de 2006, a établi une longue liste de suggestions pour s’attaquer à ce problème potentiel. Selon M. Hébert, ces recommandations sont aujourd’hui en vigueur.

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L’existence de ces rapports a été évoquée la semaine dernière, lorsque le numéro 2 de la Ville, Michael Applebaum, a démissionné de son poste de président du comité exécutif.

Ce dernier avait exprimé sa frustration à l’égard de la décision de ses collègues de retarder la publication du rapport datant de 2004 au moins jusqu’après la rencontre du conseil municipal de cette semaine, qui vise à choisir un maire intérimaire.

M. Applebaum était également contrarié par le refus de ses collègues d’accepter sa proposition de revenir sur une hausse de 3,3 pour cent des taxes municipales. Selon lui, les contribuables avaient raison d’être en colère à propos du gaspillage et de la corruption, et ne méritaient pas de se faire asséner une telle hausse.

Une troisième raison justifie également le départ de M. Applebaum: ses confrères n’ont pas proposé sa candidature pour le poste de maire par intérim. Le conseil municipal choisira une personne pour remplacer Gérald Tremblay, qui a démissionné dans la foulée des allégations de corruption au sein de l’administration montréalaise.

Un ex-bras droit du maire défend sa gestion

De son côté, le haut fonctionnaire André Lavallée, ancien bras droit du maire de Montréal Gérald Tremblay, a exceptionnellement été relevé de son devoir de réserve pour plaider qu’il ignorait l’existence d’un système entraînant l’explosion des coûts des contrats de construction.

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M. Lavallée a soutenu mardi qu’il a posé des questions sur les augmentations constatées dans les contrats municipaux, alors qu’il était membre du comité exécutif de Montréal, de 2005 à 2009.

Mais M. Lavallée, que les péquistes ont recruté pour s’occuper des dossiers de la métropole, a affirmé qu’avec le recul, il est insatisfait des réponses qu’il a obtenues du personnel administratif.

«Nous avons constaté à plusieurs reprises, sur la base des rapports produits par l’administration, par la direction générale de la Ville, dans certains contrats des augmentations de coûts, a-t-il dit. À chaque fois ç’a été questionné. On nous a répondu tantôt des augmentations du coût de l’essence, tantôt des augmentations de l’acier, on a justifié de toutes sortes de façons.»

Tout cela illustre la gravité de la situation, puisque les faits exposés devant la commission sur la construction, présidée par la juge France Charbonneau, n’ont jamais été transmis aux élus montréalais, a expliqué M. Lavallée lors d’un point de presse.

«Avec le recul, avec ce qu’on apprend à la commission Charbonneau, on est peut-être à même de constater que c’est pas nécessairement les bonnes réponses qui ont été fournies aux élus, au contraire, a-t-il dit. D’aucune façon, à aucun moment, j’ai été informé, en ce qui me concerne, de l’existence d’un ‘pattern’, encore moins d’un ‘pattern’ de collusion et de corruption.»

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Le contrat des compteurs d’eau

Pour démontrer son intégrité, M. Lavallée a affirmé qu’il avait réclamé l’annulation d’un controversé contrat sur l’installation de compteurs d’eau, dont le coût a été jugé trop élevé.

Le ministre responsable de la région de Montréal, Jean-François Lisée, a lui aussi pris la défense de son secrétaire général associé à la région métropolitaine, en apparaissant à ses côtés lors du point de presse.

«On a été élus le 4 septembre pour défendre l’intégrité, et pour rétablir l’intégrité, a-t-il dit. Et cela signifie lutter contre la corruption, mais cela signifie aussi défendre l’intégrité des personnes qui n’ont rien à se reprocher, qui sont compétentes, qui se sont levées pour lutter contre la corruption et qui ne doivent pas être victimes de problèmes de perception alimentés faussement de façon partisane.»

M. Lisée a précisé que, même si M. Lavallée n’a été témoin d’aucune «irrégularité directe», il a déjà rencontré à deux occasions des enquêteurs de la commission Charbonneau pour leur transmettre des informations de «contexte».

La Ville de Montréal a dévoilé lundi une série d’études secrètes sur la collusion et le gonflement du coût des contrats, disponibles à partir de 2004.

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Échos à l’Assemblée nationale

Au cours des derniers jours, libéraux et caquistes ont pris M. Lavallée pour cible, et sa sortie leur a fourni une nouvelle occasion d’intervenir en Chambre.

La députée libérale Lise Thériault, porte-parole en matière d’éthique et de déontologie, a affirmé que le gouvernement devrait poser davantage de questions à M. Lavallée.

«Comme le ministre, lui, refuse de poser les questions à son secrétaire général, puisqu’il semble vouloir se mettre la tête dans le sable, la première ministre (Pauline Marois) peut-elle nous dire, dans sa pratique de la politique tolérance zéro, si elle va rappeler son ministre à l’ordre et exiger qu’il pose les bonnes questions», a-t-elle demandé.

Le député de la Coalition avenir Québec Jacques Duchesneau, porte-parole en matière de justice, a continué de soulever des doutes sur son intégrité.

Selon M. Duchesneau, M. Lavallée a «gravité autour d’une administration qui est pointée du doigt quotidiennement à cause des vices et de la crédibilité qui est grandement affectée».

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D’autres reportages de la Presse Canadienne sur les audiences de la Commission Charbonneau.

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